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Y-a-t-il une limite à la lutte contre la mort ?

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D’une certaine manière, avec le coronavirus nous vivons en grand, en collectif, le combat de la famille Lambert contre la mort. Faut-il tout faire, tout entreprendre pour sauver des vies ? Cette question n’obtiendra sans doute jamais de réponse absolue. Elle est terrible car dans le principe il est évident qu’il faut tout faire pour sauver des vies, pour sauver toute vie. Et en même temps, l’imperfection humaine trouve ses limites jusque dans son combat contre la mort.

L’acharnement thérapeutique qui est généralement considéré comme abusif ne peut lui-même faire l’objet de règles précises tant les cas sont variés et tant l’espérance de la vie peut parfois faire des miracles. Néanmoins, il est admis que la lutte contre la mort individuelle trouve ses limites dans les limites de la nature humaine et dans le discernement. Cette règle est sans doute plus vraie encore au niveau collectif qu’au niveau individuel. Dans chaque combat contre la maladie et la mort, il y a un seuil au-delà duquel les moyens déployés sont plus coûteux que profitables, moins en termes monétaires qu’humains, psychologiques, sociaux… Il est bien sûr toujours terrible d’être face à ce dilemme qui ressemble à celui de la mère grecque de Camus à laquelle le SS demande de désigner celui de ses fils qu’il doit fusiller. Il ne serait pas mieux d’ailleurs d’agir de manière aléatoire comme dans un bateau en perdition dont les marins affamés tirent au sort celui qui va être mangé pour le bien de tous les autres. Ne devrait-il pas plutôt mourir tous ? Le débat ne peut être fermé. Mais précisément, il s’agit ici de tout autre chose, d’un choix qui peut et doit être raisonné autant que faire se peut. Essayons.

Faudrait-il interdire la circulation de tout véhicule terrestre à moteur pour gagner ces vies perdues ?

En 2019, le nombre de morts sur les routes de France métropolitaine était de 3 239 décès. Selon l’OMS, les accidents de la route ont fait 1,4 million de morts en 2016 dans le monde. Faudrait-il interdire la circulation de tout véhicule terrestre à moteur pour gagner ces vies perdues ? Une très récente étude parue dans la revue anglaise European Heart Journal juge la pollution de l’air responsable de 8,79 millions de morts par an dans le monde, dont 67.000 en France. Faudrait-il arrêter toute activité polluante pour éviter ces décès ? Il y aurait chaque année dans le monde 2 millions de morts par suite d’accidents ou maladie du travail. Faudrait-il supprimer le travail pour autant ?

Non, bien sûr, il faut raison garder. Nous avons besoin de travailler, d’utiliser nos véhicules, d’avoir des usines qui produisent … et polluent parfois malheureusement. Mais notre responsabilité d’homme nous oblige à trouver les mesures adaptées pour réduire ces causes de mortalité sans mettre en péril non plus la liberté et la vie des hommes autrement. Pour le tabac, on a interdit de fumer dans les endroits publics pour attenter le moins possible à la santé des autres. Pour le coronavirus, c’est plus compliqué parce que chacun peut devenir transmetteur de la maladie par son simple comportement, par ses allées et venues, sauf s’il se protège et adopte ce qu’on a appelé des « gestes barrières ». La question reste de savoir jusqu’où il est raisonnable d’immobiliser la société pour lutter contre ce nouveau fléau dont il semble que nous pourrions tous être frappés. Le cas est assez voisin de celui de la circulation automobile en ce sens que les morts sont souvent des victimes innocentes tuées par des chauffards. Mais à défaut de savoir qui peut devenir le « chauffard » d’un jour, pour éviter toute mort, il faudrait arrêter toute circulation automobile, ce que nous n’avons pas fait car le rapport gains/avantages serait disproportionné.

Pourquoi alors avons-nous immobilisé le monde pour cause de Covid 19 ? Il y a l’incertitude bien sûr. Les dernières épidémies ne plaident pas en faveur de ceux qui crient au loup. On prédisait des millions de morts de la vache folle ou de la grippe aviaire et il n’y en eut que quelques centaines ou milliers. Mais il est vrai qu’il ne faut pas négliger les risques des épidémies de grippe qui ont parfois beaucoup tué, comme la pandémie de 1781-1782 qui a touché les deux tiers de la population de Rome et une grande partie de la population d’Angleterre avant de se propager jusqu’aux Amériques, ou la grippe espagnole qui fit entre 20 et 50 millions de morts en 1918-1919, selon les estimations, et aurait touché environ la moitié de la population mondiale.

Mais si on généralisait les plans de précaution du Covid 19 à tous les risques de mort connus, la pauvreté enflerait comme jamais et le nombre de morts de malnutrition aussi.

Le Covid 19 est plus infectieux et plus mortel qu’une grippe ordinaire, mais sa létalité semble bien moindre que celle de son cousin, le Sras, le syndrome respiratoire aigu sévère de 2002-2003, dont le taux de létalité avait été estimé à 43% chez les plus de 60 ans et 13% chez les moins de 60 ans. Il avait été jugulé grâce à la mise en place de mesures barrières, sans médicaments antiviraux. Dans les années 90, les experts avaient annoncé 200 000 morts dans l’épidémie de Creutzfeld Jacob (vache folle) qui ne s’est jamais produite. Le nombre de décès dus à la grippe porcine A(H1N1) a été beaucoup plus élevé malgré des chiffres contradictoires estimés par l’OMS à 18 500 décès en 2009, puis rehaussé ensuite à un chiffre incertain de 100 à 400 000 personnes. La grippe saisonnière pour sa part est de loin la plus mortelle : 650 000 morts chaque année environ dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la Santé. L’agence française de santé publique a considéré que la grippe de la saison 2018-2019 a provoqué le décès de 8 117 personnes dans l’Hexagone.

Il est difficile de savoir quel est le risque potentiel du Covid 19. Mais il est vraisemblable, si l’on voit ses résultats dans les pays asiatiques qui l’ont vécu avant nous, qu’il sera loin , très loin des 3 millions de décès recensés dans le monde en 2016 par l’OMS au titre d’infections des voies respiratoires inférieures, comme le coronavirus, qui sont la maladie transmissible la plus mortelle. On n’a pourtant mis en branle aucun plan de survie pour sauver ces 3 millions de malades ! Pas plus qu’on a interdit par des mesures de police drastique le tabac, l’alcool et la vente de bonbons et de boissons sucrées pour empêcher chaque année le décès dans le monde de 7, 2 millions de personnes des suites du tabagisme, 3 millions de l’alcoolisme, 3 millions d’obésité…. D’ailleurs, il faut se méfier de ces chiffres car la maladie ne fait souvent que devancer ou accélérer la mort naturelle, ce qui est fréquemments le cas des patients atteints du Coronavirus dont l’âge moyen est élevé ou dont l’organisme est affaibli par d’autres maladies.

Mais si on prenait de telles mesures drastiques, si on généralisait les plans de précaution du Covid 19 à tous les risques de mort connus, si on immobilisait le monde à la moindre alerte, la pauvreté enflerait comme jamais et le nombre de morts de malnutrition estimé aujourd’hui à 3,1 million par an serait sans doute multiplié par 10, par 100. De même, il y aurait une baisse sensible de la recherche et de l’innovation démunies de moyens et l’allongement de la vie, la lutte contre d’autres maladies et contre d’autres morts seraient remis en cause. Car il faut constater que malgré les épidémies qui nous frappent, les pollutions, les accidents du travail et de la route, le tabac et l’alcool… l’homme vit mieux et plus longtemps qu’autrefois.

Il est difficile de fixer la limite de la lutte pour la vie, mais il est certain que le principe de précaution ne peut pas être appliqué sans limites sinon de façon réversible. Car il y a un moment où la précaution justifie qu’on ne prenne plus de précautions ou qu’on sache en prendre moins. La précaution eût été de disposer de stocks suffisants de masques et de savoir produire des tests massivement. Ces deux instruments semblent avoir permis, avec un suivi très complet des cas de contamination, à la Corée du Sud et à Taïwan notamment de bien faire face à l’épidémie. A défaut, faut-il faire payer aux Français par trop de précautions l’absence des précautions qui auraient du être prises ?

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Lise 15 avril 2020 - 1:49

Limite de la lutte contre la mort
Merci, merci, cela fait du bien à lire. Je me sens moins seule à penser de cette façon. Pourtant, je suis une personne plein de compassion, d'empathie… Un autre texte aussi était excellent sur notre attitude face à la mort. J'ai aimé vraiment vous lire.

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