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Les fractures politiques et économiques de la « droite » eurosceptique

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Le rassemblement des patriotes européens est lancé, titre le communiqué de presse du Rassemblement National. Seize formations politiques européennes, dont la Ligue de Matteo Salvini, le PiS du président polonais Andrzej Duda, le Fidesz de Viktor Orban, le RN et d’autres comme Vox en Espagne ou le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), ont signé une déclaration commune sur l’avenir de l’Union européenne. Ils critiquent notamment « la voie fédéraliste [que prend l’Union européenne] qui l’éloigne inexorablement des peuples qui sont le cœur battant de notre civilisation. » Les signataires de la déclaration, issus (hors Fidesz) des groupes Identité et Démocratie (ID) et Conservateurs et Réformistes européens (ECR) au Parlement européen, plaident « pour une Europe respectueuse des peuples et des nations libres », et n’acceptent pas « que les peuples soient soumis à l’idéologie bureaucratique et technocratique de Bruxelles qui impose ses normes dans tous les pans de la vie quotidienne. »

C’est la première pierre vers la constitution d’une grande alliance au Parlement européen selon le communiqué. Il est cependant intéressant d’observer que des partis pourtant membres des groupes ID et ECR ne sont pas signataires. Tout comme d’autres partis proches issus des gouvernements des pays du groupe de Višegrad. Surtout, les partis signataires divergent sur bien des points importants, notamment sur l’économie et les relations avec la Russie de Vladimir Poutine et la Chine communiste.

Il est important de comprendre qui sont les partis signataires et ceux qui ne le sont pas pour appréhender les fractures entre les partis signataires au niveau géopolitique, puis au niveau économique.

Les signataires

Cette alliance récente et peut-être occasionnelle a rassemblé 16 partis politiques, de 15 pays différents. Les voici dans le tableau ci-dessous :

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Les partis signataires sont actuellement représentés par 114 députés européens. Si leur alliance aboutissait à la création d’un nouveau groupe parlementaire européen, il serait le 3e, derrière le Parti populaire européen (178 députés) de la CDU d’Angela Merkel et des Républicains, et le Parti socialiste européen (146). Il serait aussi plus important que le groupe Renew Europe (98), dont La République En Marche fait partie.

Mais le groupe Identité et Démocratie est composé de 72 députés et le groupe des Conservateurs et Réformistes européens de 61, soit 133 en tout. Sachant que le Fidesz siège chez les non-inscrits depuis cette année, certains partis de ces deux groupes manquent donc à l’appel.

Les absents

De nombreux partis sont absents de cette soudaine coalition. Le tableau suivant détaille les partis non-signataires, membres des groupes Identité et Démocratie et Conservateurs et Réformistes européens. Ils sont au nombre de 12, issus de 8 pays.

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Les absents représentent donc 33 députés européens. Cela peut sembler anecdotique, mais avec ce nombre de députés supplémentaires, le nouveau groupe des « patriotes » pourrait passer à 147 députés, soit plus que les socialistes européens ! Il deviendrait donc le deuxième groupe au Parlement européen qui avec lui basculerait nettement à droite.

Le grand absent de cette nouvelle coalition qui se dessine est sans nul doute Alternative pour l’Allemagne. Le premier parti contestataire et eurosceptique du plus grand pays, et du plus important, de l’Union européenne, manque à l’appel. C’est un allié fort en moins, probablement mis de côté par les signataires eux-mêmes, car « trop d’extrême droite ».

Un autre parti important qui n’a pas rejoint le PiS et le RN est le PVV (Parti pour la Liberté de Geert Wilders) qui, même si son score aux dernières européennes est très faible, est le 3e parti hollandais. Lors des législatives de mars 2021 il est arrivé en troisième position avec 10,79%. Ja 21, signataire et tout petit parti, n’a lui récolté que 2.31% des voix à la même élection.

Le premier parti flamand, membre de l’ECR, est lui aussi absent. Le NVA n’a en effet pas signé cette charte, probablement à cause de la présence du Vlaams Belang, adversaire et premier concurrent lors des prochaines élections.

Membre du groupe ECR et du gouvernement slovaque (la Slovaquie faisant partie du groupe de Višegrad), le parti « légèrement eurosceptique » Liberté et Solidarité, libéral, dont la place aurait pu être à Renew, est un autre absent. Voulant lutter contre le populisme et favorable au mariage homosexuel, on peut comprendre qu’il ne suive pas les signataires. Manque également le premier parti slovaque, membre du gouvernement, et parti du président du gouvernement Eduard Heger, « OĽaNO ». Ancien de l’ECR, ce parti a, en 2019, rejoint le Parti populaire européen. De même, « Nous sommes une famille » n’est pas signataire, alors que ce parti nationaliste et populiste est farouchement opposé à l’immigration, eurosceptique, et membre du même parti européen que le RN.

Le plus grand parti slovène, du dirigeant Janez Jansa (qualifié d’illibéral par certains), n’est pas non plus signataire. Il est en effet membre du PPE (comme le Fidesz d’Orban l’a été) et ne paraît pas attiré par cette possible coalition.

On aurait pu s’attendre à ce que le parti du président du gouvernement populiste tchèque Andrej Babiš (ANO 2011) ait sa place dans ce regroupement. En effet, le dirigeant tchèque semble être un allié de ses homologues hongrois et polonais. Mais son parti est affilié au groupe centriste Renew Europe. Libéral et populiste, Andrej Babiš s’est montré tour à tour pro-UE, pro-Euro, puis farouchement anti-Euro et eurosceptique. Un autre parti tchèque membre de l’ECR, le Parti démocratique civique (libéral-conservateur), n’a pas répondu présent. Deux des quatre pays du groupe de Višegrad ne sont donc pas représentés.

Que les partis issus des groupes ID et ECR, comme les partis non-affiliés mais proches idéologiquement, ne soient pas signataires, est un signe de fracture idéologique, à la fois économique, mais aussi géopolitique. Et même au sein de cette nouvelle alliance, les divisions sont fortes sur ces sujets.

Fracture géopolitique : atlantistes contre russophiles et sinophiles

Il existe une fracture géopolitique entre les partis politiques des groupes ECR et ID. Le premier groupe est atlantiste, et soutient au sein du Parlement européen l’action géopolitique des Etats-Unis. Ancien groupe des conservateurs britanniques, aujourd’hui dominé par le PiS, sa ligne ne semble pas avoir bougé. Certains partis du second groupe souhaiteraient à l’inverse s’éloigner de l’OTAN au profit d’un rapprochement avec la Russie.

Le PiS, leader de cette nouvelle coalition, est aussi très atlantiste. Il soutient corps et âme l’OTAN dont la Pologne est membre, vu comme un protecteur contre la Russie, ennemi historique. Débordant le PiS par la droite, le parti national-libéral-conservateur Konfederacja (la confédération) a eu droit à des attaques venant de la chaîne de télévision publique TVP1 (contrôlée par le gouvernement du PiS) qui a laissé penser que les militants et membres du mouvement étaient des « agents du Kremlin ». Le sentiment antirusse est donc très fort.

A l’inverse, le Rassemblement National, et en particulier certaines figures du mouvement comme Thiery Mariani, est assez proche de la Russie et souhaite une alliance avec Vladimir Poutine. Pour ses précédentes campagnes, le parti a bénéficié d’emprunts de banques russes et les décisions de la Russie sont toujours excusées. Le parti de Marine Le Pen est également réticent à l’égard de l’OTAN.

Un autre parti signataire, l’EKRE (Parti populaire conservateur d’Estonie), a déclaré que la Russie occupe une partie du territoire estonien. Son actuel leader, Martin Helme, est antirusse et estime que l’Estonie doit se protéger de son « ennemi juré ». Loin de la vision du RN…

Le Fidesz, à l’inverse, s’est rapproché de la Russie depuis quelques années, et de la Chine tout récemment avec des projets universitaires et logistiques. L’influence russe et chinoise ne fait que croitre en Hongrie, pourtant membre de l’OTAN. Cela inquiétait d’ailleurs Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat de Donald Trump. Le pays a notamment commandé et injecté à sa population des vaccins russes et chinois, dont l’efficacité est contestée. La Ligue de Matteo Salvini noue aussi des contacts avec la Russie de Vladimir Poutine, son parti a même signé un « accord de coopération » avec Russie Unie, mouvement du président russe. La Ligue est également favorable à un rapprochement économique avec la Chine.

On le voit, les divisions géopolitiques sont importantes entre les partis signataires. Elles ne le sont pas moins sur le plan économique.

Fracture économique : libéraux contre antilibéraux

L’ECR, fondé initialement par les conservateurs anglais après une scission avec le PPE, se voulait initialement libéral-conservateur. Si le départ des Britanniques a conduit à un tournant moins libéral, le groupe reste jusqu’à présent attaché aux libertés économiques. Le groupe ID, lui, semble beaucoup plus hétéroclite sur ce sujet.

Le parti de droite dure Vox est assez libéral. Il propose une réduction drastique des dépenses publiques, la fin de toutes les subventions, et un recentrage des dépenses sur les fonctions régaliennes. Il est partisan d’une flat-tax sur l’impôt sur le revenu à 21%. Il n’est pas non plus clairement eurosceptique.

Le PiS a mis en place une politique sociale renforcée, et d’un Etat-providence puissant. Malgré quelques nationalisations, l’économie s’est malgré tout libéralisée (comme pour toute l’Europe de l’Est) : l’indice de liberté économique a augmenté de près de 9 points en 11 ans (2009-2020) pour atteindre 69.1, contre 66.0 pour la France. L’économie polonaise est donc plus libre que l’économie française !

Si le Fidesz de Viktor Orban est, hors RN, l’un des partis les moins libéraux avec le PiS, il accorde néanmoins beaucoup de liberté au commerce et aux investissements, et n’impose qu’une faible taxation (impôt sur le revenu à taux unique de 16 %, impôt sur les sociétés à 10 et 19 %). Au niveau européen, le Fidesz est un allié économique pour les libéraux. Il a plusieurs fois contré, au sein du PPE, les volontés interventionnistes sur les réglementations de ses anciens alliés.

La Ligue est protectionniste au niveau économique, mais tout de même favorable à des baisses d’impôts, à la flat-tax pour l’IR, ou encore à la suppression des droits de successions.

Dans le même groupe européen que le RN mais non signataire, le parti hollandais de Geert Wilders reste assez éloigné des idées de Marine Le Pen. S’il est plus dur que le RN face à l’Islam et aux immigrés musulmans, il défend certaines libertés économiques. Le portrait de Margaret Thatcher est même affiché dans les locaux du mouvement ! Son discours, contrairement à celui du RN, ne fustige pas l’économie libérale, les riches ou la mondialisation.

Seul le RN apparaît en réalité comme un parti économiquement (et socialement) socialiste. Les autres partis non libéraux sont certes protectionnistes, mais laissent cependant pas mal de souplesse à l’économie à l’intérieur de leurs frontières.

Cet éventuel 3e groupe au Parlement européen, derrière le PPE et le PSE, pourrait se diviser assez vite.

Pour notre part, il nous parait plutôt souhaitable que se crée dans les prochaines années, une alliance capable de réunir les défenseurs de la liberté et les opposants à la bureaucratie bruxelloise. Elle pourrait voir le jour avec notamment les partis absents de cette coalition, issus de l’ECR, et associés à certains partis politiques actuellement au PPE ou à Renew Europe. Ce groupe aurait alors une chance de faire basculer l’idéologie du Parlement européen.

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