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La dernière trouvaille de France Stratégie

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La mise sous tutelle de cet organisme ne résoudra pas la question de son (in)utilité. Il est fort probable que l’économie française se porterait mieux sans ses propositions.

I – Présentation de France Stratégie

A vrai dire, nous avons trop souvent croisé le fer contre ses propositions, pour que le centre public d’étude et de réflexion « FRANCE STRATÉGIE » soit inconnu de nos lecteurs. Ils se rappellent sans doute notre dernière philippique contre le loyer fictif, avec la mise en évidence de grossières erreurs de calcul inadmissibles à ce niveau. FRANCE STRATÉGIE est la nouvelle appellation du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, qui a pris en 2013 la succession du Commissariat à la Stratégie, héritier lui-même de l’ancien Commissariat au Plan. Rattachée au Premier Ministre, c’est une structure lourde puisqu’elle réunit une bonne centaine de personnes (cf. sur le site officiel, les pages « Équipe »), dont pour l’essentiel des économistes, des hauts fonctionnaires et des experts de fort calibre. Cinq missions lui sont dévolues dans les domaines de la prospective, de la stratégie, de l’évaluation des politiques publiques, des différentes formes de concertation et de débat public, des comparaisons internationales des politiques publiques. FRANCE STRATÉGIE a également la charge d’animer un réseau de sept Conseils et Centres, dont notamment le Conseil d’Orientation des Retraites, le Conseil d’Orientation pour l’Emploi, le Conseil d’Analyse Économique et le Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales. A vrai dire un bien vaste réseau, qu’il serait très certainement dommage de priver des conseils d’un pilote avisé. À ceci près que depuis un certain temps, s’inspirant ouvertement des thèses de Terra Nova et d’une partie de l ‘intelligentsia de gauche (Piketty, Attali et consorts) l’Agence s’est lancée dans la provocation systématique et la formulation des propositions les plus farfelues, en témoignant d’une antipathie marquée aussi bien envers les propriétaires fonciers réduits sans ménagement au rang de « rentiers », que des retraités accusés d’accaparer avec leurs pensions excessives des ressources qui seraient bien mieux employées dans une politique ambitieuse pour la jeunesse.

II – De quoi s’agit-il ?

Même si FRANCE STRATÉGIE nous a déjà habitués par le passé à quelques embardées mémorables, il faut reconnaître que cette fois-ci, elle a frappé un grand coup. Ce mercredi 11 octobre, elle lance sur son site une note d’analyse (N° 62) qui tient en 12 pages serrées et qui indique « Comment assurer la résorption des dettes publiques en zone euro« . A priori le titre est suffisamment neutre, il ne vend pas la mèche et il dissimule parfaitement l’explosif caché à l’intérieur. Il faut donc défaire soigneusement le paquet pour accéder à la charge. Mais là on n’est pas déçu!

De quoi s’agit-il? L’étude part du constat que les dettes publiques de la zone euro ne cessent de croître, qu’elles ont atteint des niveaux préoccupants et que même les politiques les plus volontaristes et les plus rigoureuses des États ne produiront guère d’effet tangible avant plusieurs décennies. Or durant ce laps de temps, les États se trouvent dans une position de vulnérabilité telle que leur défaillance n’est pas à exclure. FRANCE STRATÉGIE se propose donc de tracer les pistes permettant de surmonter ce risque. On n’entrera pas dans le détail très technique de toutes les solutions alternativement avancées qui jouent notamment sur la variation des degrés de solidarité entre les États ou sur le concours plus ou moins appuyé de la Banque centrale, avec éventuellement l’émission d’obligations perpétuelles à taux zéro. Mais toutes ces solutions plus ou moins indexées sur une croissance rien moins qu’acquise ne peuvent évidemment supprimer le risque, elles se bornent donc à le différer, à le partager, à le transférer ou même en solution ultime à le noyer avec le recours peu aguichant à la planche à billets.

Or pour vaincre tous ces obstacles, FRANCE STRATÉGIE observe finement qu’il existe un moyen beaucoup plus simple, beaucoup plus sûr et beaucoup plus rapide de restaurer efficacement la solvabilité des États. C’est d’organiser une sorte de « casse » public sur les biens immobiliers résidentiels du secteur privé. Il suffit de décréter que l’État s’approprie du jour au lendemain une partie du terrain sur lequel est bâti tout immeuble résidentiel pour qu’instantanément la solvabilité de l’État se redresse, puisqu’il inscrit à l’actif de son bilan la contrepartie du produit de ce qui est présenté comme un impôt exceptionnel. Certes, me direz-vous, l’État est plus riche (et les propriétaires fonciers plus pauvres!), mais jusqu’à présent cela ne procure au Trésor public aucune liquidité supplémentaire susceptible de diminuer l’endettement constaté. C’est sans compter sur l’imagination débordante de FRANCE STRATÉGIE qui « essore » jusqu’à la corde le propriétaire ainsi spolié, en exigeant de lui une sorte de loyer sur la partie du terrain dont l’État lui laisse généreusement l’usage, après en avoir indûment confisqué la propriété. Le propriétaire ne peut pas s’acquitter chaque année de cette nouvelle charge imprévue? Qu’à cela ne tienne, l’État bon prince lui fait crédit: la redevance non acquittée ira en portant intérêt grossir la valeur du capital foncier que l’État s’est approprié et en bon prêteur à gages, il revendiquera en conséquence une fraction plus importante du prix de l’ensemble bâti ou de son estimation lors de la prochaine mutation (vente ou succession) constatée.

III – Évaluation critique

Naturellement, très satisfaits d’eux-mêmes, les quatre auteurs (dont le Commissaire Général adjoint) de cette proposition géniale n’en reviennent pas eux-mêmes et se félicitent de tous ses avantages: elle re-solvabilise efficacement les États, la redevance foncière réduit les impôts des propriétaires, puisque leur revenu (et aussi leur capital!) est amputé d’autant, l’expropriation plante un bon coup d’épingle dans la bulle immobilière qui va se dégonfler instantanément et in fine cela accroîtra la mobilité de la population active auparavant captive de sa propre implantation foncière. En effet dans une certaine philosophie faussement libérale, le salarié n’est rien de plus qu’un simple pion que l’on déplace instantanément sur l’échiquier de l’emploi. Or dans l’esprit de nos penseurs, il s’agit d’un moyen de production parfaitement fongible, entièrement et immédiatement délocalisable pour rejoindre au plus tôt l’emploi qu’on lui assigne. On assure ainsi cette parfaite fluidité de l’emploi, qui séduit tant le monde de la finance. Bref rien que des avantages, ce qui n’est évidemment pas le point de vue des propriétaires.

Pour eux, cette expropriation rampante va inciter l’État à augmenter encore la dépense publique, puisque l’exemple de la CSG montre suffisamment que l’appétit public est insatiable dés lors qu’il s’agit de glisser sur la pente de la facilité. Qui garantit donc que cet impôt prétendument exceptionnel ne suivra pas le sort de la plupart de ses prédécesseurs inlassablement reconduits et majorés? Que vaut encore la parole d’un État, s’apprêtant à devenir voleur, après avoir été trop souvent menteur? D’autre part si le Conseil constitutionnel fait primer son rôle de juge sur celui de « conseil », l’atteinte à la propriété ne fait aucun doute et la réforme passerait alors inévitablement par une modification de la Constitution, dont on imagine sans peine le trajet compliqué et incertain. Enfin au lieu du dégonflement progressif de la bulle immobilière, on entrerait immédiatement en période de crise avec un effondrement quasi-immédiat du marché:

– tant de l’ancien sous le nombre des biens immédiatement mis en vente
– que du neuf, aucun acquéreur sensé n’acceptant de payer 100% du prix d’un bien dont le copropriétaire public, qui s’est installé de force et en parasite n’est ni honnête, ni sûr, ni à vrai dire fréquentable.

Et plus personne n’ayant intérêt à devenir ou à rester propriétaire de son logement ou plus largement à investir dans un logement quelconque, on peut s’attendre à une crise économique et locative majeure dont nos quatre apprentis sorciers n’ont sans doute pas la moindre idée. D’ailleurs, pourquoi réserver cette merveilleuse suggestion aux seuls biens immobiliers et ne pas procéder de même pour les actifs financiers ou mieux pour les œuvres d’art (dont on bloquerait ainsi subsidiairement le risque de transfert à l’étranger, puisqu’avec l’État en croupe, elles deviendraient quasiment incessibles du jour au lendemain)?

C’est ainsi qu’on perçoit les relents de la veille rancœur des intellectuels (?) de la gauche française , avec aussi le mépris rentré de l’Inspection des Finances vis-à-vis de ce que ces messieurs appellent avec condescendance  » la rente immobilière ». En réalité et par pure idéologie, ces gens-là n’ont toujours pas compris que l’immobilier fait directement partie de l’économie d’une Nation, qu’il existe un marché de l’immobilier, des entreprises et des métiers du bâtiment, des centres de formation, une importante filière d’apprentissage, toute une palette d’investisseurs, des prix, un parc locatif et qu’amputer le pays de l’apport du bâtiment, ou scléroser son activité, c’est se diriger à coup sûr vers d’énormes problèmes en termes de production, d’emploi, de formation, de crédit, de consommation, de logement, d’organisation du territoire et même de compétitivité internationale. Et n’en déplaise à ces superbes cerveaux, comment ne pas leur rappeler en toute humilité que notre pays a sans doute beaucoup plus à gagner au « rentier » d’aujourd’hui qui fait construire sa maison qu’au fort brillant Inspecteur des Finances, leur collègue d’hier, qui a réussi, en mettant à terre le Crédit Lyonnais, la faillite la plus spectaculaire et la plus couteuse de l’histoire financière récente du pays?

IV – Pour conclure : Une mise sous tutelle qui ne résout sans doute pas grand-chose

Quoi qu’il en soit, cette note d’analyse N° 62 conjugue ainsi une inutile provocation destinée à choquer le bourgeois avec un encouragement implicite à laisser filer la dépense publique pour laquelle il suffira à l’avenir – et quoique ses promoteurs s’en défendent – de faire varier le curseur du taux d’expropriation. FRANCE STRATÉGIE offre ici un magnifique exemple de ce que l’État peut inventer pour gaspiller l’argent du contribuable, sans l’once du moindre retour utile à la Nation. D’ailleurs, fort mécontent de cette publication intempestive dont le pouvoir se serait bien passé juste avant la discussion de la loi sur le logement, l’entourage du Premier Ministre ne mâchait pas ses mots: « France STRATÉGIE a pris l’habitude de publier des idées irréalistes sans aucune impulsion politique« . D’autant que l’Allemagne et l’Italie s’étaient immédiatement émues de ces propositions délirantes édictées pour toute la zone euro et publiées officiellement sous l’autorité apparente du Premier Ministre, mais visiblement sans que personne de son Cabinet n’ait donné un quelconque imprimatur. Et quand on s’aperçoit que les Conseils d’Orientation de l’Emploi, d’Orientation des Retraites ou encore de l’Analyse Économique appartiennent tous au même réseau, sous la coupe du même chef de file, il y a évidemment quelque souci à se faire.

Au point que le Premier Ministre envisagerait de placer la turbulente officine sous la tutelle du futur Délégué à la Transformation Publique, ce qui n’est pas à proprement parler un cadeau vu l’ampleur du « reconditionnement » intellectuel à effectuer. Du moins, même si son ancien Président est devenu l’un des plus proches conseillers du Prince, on se prend à espérer que France STRATÉGIE ne puisse bientôt plus continuer librement et en dehors de tout contrôle à alerter les médias et à affoler les foules par des propositions complètement extravagantes issues d’un monde privilégié et irresponsable de hauts fonctionnaires, d’économistes et d’experts bobos complètement coupés des réalités de la vie courante. Doutons quand même que cette demi-mesure parvienne à satisfaire les contribuables exaspérés par les onéreuses facéties de l’occupante du prestigieux hôtel de Vogüé, car on ne compte plus le nombre de ceux qui pensent qu’il n’y a aucune raison de différer la dissolution pure et simple d’un organisme qui a largement fait la preuve de son inconséquence et même parfois de sa nocivité . C’est sans doute la raison pour laquelle, audacieuse mais non point téméraire, FRANCE STRATÉGIE évite soigneusement de rappeler sur son propre site le budget qui lui est alloué, en montrant ainsi que même dans le plus public des laboratoires d’idées, l’information économique a ses limites.

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9 commentaires

Bertrand 19 octobre 2017 - 5:30

Bravo ! Merci
Heureusement que vous êtes là pour nous alerter sur tous ces charlots, menteurs et voleurs payés par nos impôts !

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Laurent 46 19 octobre 2017 - 5:39

Des hauts Fonctionnaires !
composé de hauts fonctionnaires et d'experts de toute sorte tous de gros fainéants grassement payés. Il faut supprimer tout cela et mettre tous ce beau monde au RSA pour qu'ils apprennent de nouveau à vivre.

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Dominogris 19 octobre 2017 - 7:02

Ce n'est pas qu'une taxe de plus
Il semblerait que les crânes chauves de France Stratégie (dont on se demande s'ils en ont une pour la France et les Français) s'asseoient joyeusement sur le droit de propriété.
C'est vrai qu'eux-mêmes n'ont pas besoin d'être propriétaires, assurés qu'ils sont vivre jusqu'à leur tombe aux frais du contribuable.

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pierreg 21 octobre 2017 - 3:24

allons jusqu'au bout du raisonnement
L'etat me spolie d'un pourcentage de mon bien dont il devient d efait proprietaire, par malheur je dois refaire toiture, et facades, l'etat participera t'il au prorata de sa part aux travaux? et pourrais je dans ce cas le mettre end emeure de s'acquitter de sa quote part comme tout coprprietaire? en hiver je dois mettre ma residence secondaire hors gel l'etat prendra t'il a sa charge une part du budget chauffage? on me retorquera qu'il y a deja participation d el'etat par le biais d ela TVA mais ce n'est pas recevable la participation d el'etat devra se faire au niveau depenses et là je ctrains que nos "specialistes" n'aient strictement aucune idee des couts d'entretien et travaux de batiments

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Thierry BENNE 24 octobre 2017 - 7:09

REPONSE À PIERREG

Votre question est posée trop finement, pour que vous ne vous doutiez pas qu'en limitant son expropriation à une part du terrain, l'État n'ait nul envie de s'encombrer de toutes les charges, de toutes les taxes et de tous les travaux afférents au bâti lui-même. Du moins selon France Stratégie…

La seule satisfaction qu'on puisse tirer de ce libelle provocateur est qu'il a contribué à discréditer et à ridiculiser au moins pour un temps ses auteurs et avec eux, l'officine qui a publié leurs élucubrations sans exercer la moindre révision technique, critique, ni hiérarchique.

On peut ainsi mesurer au plan des procédures le haut degré de fiabilité scientifique des dernières publications de l'Hôtel de Vogüé.

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Pierre-Ernest 22 octobre 2017 - 6:38

Sans hésitation
Dissolution immédiate !

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Jean Guicheteau 23 octobre 2017 - 8:10

Inconstitutionnel et coûteux
Cette proposition, qui consiste si j'ai bien compris à rendre l'Etat propriétaire d'une partie du patrimoine privé, ne peut se réaliser que par une expropriation de cette partie, c'est à dire avec une "juste et préalable indemnité" selon la Déclaration des droits de l'homme incluse dans la Constitution; ça risque de coûter plus cher à l'Etat in fine.

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Thierry BENNE 24 octobre 2017 - 6:53

RÉPONSE À JEAN GUICHETEAU

Vous avez raison, mais visiblement à France Stratégie, on ne se pose pas ce genre de question, on fait de la stratégie, pas du droit. La mode actuelle, qui vient de haut, consiste à taper sur l'immobilier, alors on suit la mode, on tape et on tape fort sans envisager un seul instant de soumettre au Premier Ministre – dont on dépend pourtant – des écrits hautement et inutilement subversifs. Une stratégie qui semble pourtant avoir aujourd'hui atteint ses limites, si l'on s'en tient à l'irritation manifeste de Matignon.

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Gilbert CLARET 24 octobre 2017 - 6:49

La dernière trouvaille de FRANCE STRATEGIE: le casse du siècle
Merci à Thierry Benne de porter à notre connaissance cet extraordinairement pernicieux rapport de France Stratégie. On aimerait savoir quel est le montant des ressources annuelles, forcément d'origine étatique, mises à la disposition de cet organisme. Pour paraphraser la requête de Caton l'Ancien "Delenda est FRANCE STRATEGIE" et il y a urgence en ces temps de réduction de la dépense publique.

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