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Faut-il privatiser la justice ?

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Dans son dernier ouvrage, Privatisons la justice, publié chez Libréchange ces derniers semaines, Bertrand Lemennicier répond positivement et radicalement à cette question. Avec compétence et une forme de provocation.

Il observe, chiffres à l’appui, que la centralisation de la justice française parachevée par Michel Debré, a représenté des coûts exponentiels sans pour autant obtenir l’efficacité attendue. De 1971 à 2014, le budget de la justice est passé de 168,29 millions d’équivalent euros à 7 824,12 M€, le nombre de magistrats a doublé et le nombre des personnels de justice a triplé. Le budget annuel de la justice par magistrat est dans la moyenne haute en France, à raison de 1 082 439€, contre 3 759 629 en Suède par exemple, mais 671 676 en Allemagne et 787 948€ en Autriche. Là où le système judiciaire est accusatoire, c’est-à-dire qu’il laisse à la victime le soin de présenter ses preuves avec l’aide de ses avocats, onéreux, comme en Angleterre, l’aide judiciaire est plus importante que dans les pays comme la France ayant un système inquisitoire dans lequel l’administration de la justice constitue le dossier à charge et à décharge à l’encontre des prévenus.

Les systèmes sont également différents selon que la justice elle-même est gratuite ou non. À dire vrai, il semble que seule l’Autriche fasse payer aux plaidants le coût intégral de l’administration de la justice, sauf à offrir aux plus démunis une aide judiciaire plus conséquente qu’ailleurs pour assurer l’égalité d’accès à la justice. Cette justice payante a pour le moins le mérite de ne pas inciter les citoyens à abuser du système. Et la vérité des prix de la justice réduit les files d’attente.

Après avoir analysé le fonctionnement de la justice publique, B. Lemennicier suggère de la transformer, en l’externalisant et par là même en la soumettant à la concurrence. Ce serait, écrit-il une façon « de redonner aux victimes, les consommateurs de justice, le pouvoir de résoudre leurs conflits selon un principe de droit « naturel » ou « spontané » qui s’oppose au positivisme juridique ». Ce serait aussi le moyen de rendre les juges plus responsables. Ce serait encore l’occasion de favoriser une justice de « restitution », c’est-à-dire de réparation du dommage, plutôt qu’une justice de « rétribution » de l’Etat au travers des peines infligées.

Il constate que déjà de nombreuses options existent face à la justice publique au travers de la médiation, de l’arbitrage, de la conciliation ou de la transaction. L’histoire elle-même et les exemples étrangers montrent que la justice n’a pas toujours été le monopole de l’Etat, qu’elle ait été partagée entre plusieurs autorités territoriales ou avec des autorités tribales ou religieuses. La diversité des autorités de justice durant toute la période médiévale a favorisé l’émergence des libertés publiques en Occident ainsi que l’a bien démontré H J Berman dans son remarquable ouvrage Droit et Révolution traduit par Raoul Audouin et publié en 2002 aux presses de l’Université d’Aix en Provence.

Mais si, comme le dit à juste titre Bertrand Lemennicier, il n’est « nul besoin d’une norme extérieure pour créer un ordre juridique et « civiliser » les membres d’une société », la justice a toujours besoin de la menace d’un recours à la force. Et à défaut de celle de l’Autorité publique, il faut redouter le déferlement de la violence débridée. Certes, « nous vivons dans un monde sans monopole de la justice au niveau mondial » mais c’est parce que les nations régissent leurs relations par la convention ou par la guerre (ou la menace de celle-ci). Et précisément la justice est instituée comme un moyen de coercition pour éviter la guerre de tous contre tous au sein des nations en cas de désaccord. D’ailleurs, lorsque le privilège de la justice était morcelé, comme au Moyen Âge européen, elle n’était pas privatisée pour autant, mais partagée entre diverses autorités auxquelles était reconnu l’usage de la force sur leur territoire.

Bertrand Lemennicier a parfaitement raison de vouloir œuvrer pour développer le polycentrisme juridique, qui est plus créateur de bonnes solutions et plus riche de services adaptés à la diversité des situations que le monopole public figé dans les échelons que grimpent à l’ancienneté les magistrats syndiqués pour préserver leurs privilèges. Mais la justice a besoin du bras armé de la force publique pour son exécution. Elle peut en avoir besoin pour conduire les justiciables au procès comme pour les obliger à exécuter leur peine. À défaut, il faudrait recourir à des polices privées capables de générer et de provoquer bientôt des guerres généralisées entre gangs. Car si la force publique ne contraint pas le redevable défaillant ou le prévenu récalcitrant à aller au procès ou à exécuter la sentence, qui l’y obligera ? La pression sociale peut y suffire parfois au sein de groupes étroits et unis par des obligations et intérêts réciproques, comme des ligues de marchands ou les membres d’une église, mais les sociétés modernes sont trop lâches pour que le droit s’y applique sans la contrainte.

Cet ouvrage très dense passionnera tous ceux qui s’intéressent à la justice. Nombre de ses suggestions méritent d’être portées au débat, de la vérité du prix de la justice doublée éventuellement d’un chèque justice au développement des diverses formes possibles de la justice privée pour ceux qui en conviendront. Au-delà, je crains pour ma part qu’à défendre une totale privatisation de la justice, la thèse ne nuise à sa cause plutôt que de lui profiter.

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3 commentaires

Laurent 46 19 octobre 2017 - 5:36

Et puis quoi encore ?
Privatiser la justice ? et puis quoi encore pour le donner à Vinci ou Suez comme tout le reste !!

Ces deux groupes font déjà ce qu'ils veulent avec les collectivités locales et de plus en plus avec l'Etat avec les PPP.
Il y a des soit disant experts qui sont complètement fou, il faut les enfermer comme les extrémiste écolo par exemple qui deviennent Ministre !
Le problème est dans l'attitude des Français, il y a 40 ans en arrière, les politiques ne se permettaient pas ce qu'ils se permettent aujourd'hui et malheureusement, la justice n'est que de la politique.
Quelqu'un a dit que les Français étaient des veaux c'est pire encore, de nos jours il faut leur apprendre ce qu'il faut manger, demain il faudra leur tenir la fourchette !

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Guy CHAPLAIN 21 octobre 2017 - 6:04

Non aux Syndicats de magistrats
Il me semble que privatiser et créer de la concurrence une en justice risque de favoriser des jugements très différents d'un tribunal à l'autre, ce qui est déjà en partie ce qui existe(des laxistes et non laxistes)pas normal dans une démocratie.
Il me semble que les magistrats comme pour l’armée ne devraient pas pouvoir se syndiquer, ni pouvoir faire gréve et surtout revoir la composition du C.S.M et RESPONSABILISER les juges.Comme tout citoyen les magistrats doivent rendre des comptes
Ancien commissaire enquêteur,( enquêteuses d'utilité public) je peux dire que certains juges en prennent a leur aise avec les lois qu'ils sont sensés faire respecter par le commun des citoyens
""Au nom du peuple FRANÇAIS""
Une démocratie, qui plus est au pays des Droits de l'Homme, peut elle tolérer qu'un groupe de magistrats entretienne
"UN MUR DES CONS"

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Kanaky 661 22 octobre 2017 - 10:41

Vendre son âme.
Arrêtez de tout vendre. Seuls les riches auront le droit de se défendre. Il faut déja passer par un avocat pour se présenter en justice pour "" TENTER "" d'obtenir réparation et ce n'est pas chose facile . Combien faudra-t-il payer un juge . ? Un Président ou l'avocat général .

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