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Le revenu universel appauvrit ses bénéficiaires

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Si les débats sur le revenu universel sont encore si vifs, c’est peut-être parce que l’absence d’études scientifiques d’envergure significative et dans un contexte occidental[1] laissait jusqu’ici le champ libre à la spéculation sur ses effets réels. Ce manque a été partiellement comblé cet été par la publication des résultats de la plus grande expérience jamais menée sur ce revenu de base et ses effets en matière de lutte contre la pauvreté.

Dans plusieurs régions des Etats-Unis, un revenu inconditionnel de 1000 $ par mois pendant a été versé pendant trois ans à des foyers à faible revenu choisis au hasard. Le groupe de contrôle auquel on les comparait a reçu 50 $ par mois sur la même période, et chaque cohorte a été scrutée – avec son accord – quant à l’utilisation de l’argent versé et son impact sur des indicateurs de bien-être financier, moral et même physique. Comme les scientifiques l’écrivaient dans les documents détaillant le protocole expérimental, ils s’attendaient à ce que le groupe test utilise cette somme importante de 36 000 $ pour sortir de la spirale de la pauvreté. Celle-ci se caractérise souvent par l’impossibilité de consacrer du temps et de l’argent à l’amélioration de sa situation à long terme tant la pression des dépenses du mois suivant est forte, et ce, sur le plan financier et du point de vue mental par l’anxiété et le découragement qu’elle génère.

Les résultats ont-ils été à la hauteur des attentes ? Eh bien cela dépend de là où s’arrêtera votre lecture. Car un coup d’oeil rapide aux éléments mis en avant par l’entreprise OpenResearch – qui a financé et fait réaliser l’étude – donne une vision assurément positive : « L’argent augmente les possibilités », lit-on par exemple comme résumé général de l’expérience[2]. Et de décliner les bienfaits de cette manne financière pour les ménages concernés : « L’argent augmente l’épargne, le bien-être financier, et la résilience », augmente de 14% la poursuite d’études et de formations, de 10% la probabilité d’aller chez le dentiste et de 26% les chances pour les participants de « lancer ou aider à lancer une entreprise ». Et ainsi de suite, le tout agrémenté de citations de participants illustrant combien le programme les a concrètement aidés.

Sans surprise, ce sont majoritairement ces éléments pré-mâchés qui sont repris dans la presse lorsqu’elle se fait écho de cette étude. Une lecture plus attentive invite pourtant à la prudence. Prenez le bien-être financier, l’épargne et la résilience aux difficultés budgétaires : il suffit de lire les six lignes qui suivent le titre pour apprendre que l’épargne nette est en fait en diminution car plus que compensée par de nouvelles dettes, que les incidents de remboursement et autres saisies bancaires ne sont nullement en recul, et qu’au total le patrimoine net des bénéficiaires a légèrement diminué au bout de trois ans ! Le groupe de contrôle (celui des 50 $ mensuels) obtient de meilleurs résultats, un comble.

Mais une véritable lecture de la publication de l’étude proprement dite donne une image pratiquement à l’inverse de ce qui est mis en avant sur le site. Car si les commanditaires de l’expérience ne ménagent pas leurs efforts pour la présenter sous un jour positif, les scientifiques qui l’ont menée ont l’honnêteté de ne pas la travestir en dissimulant les aspects franchement décevants sur des aspects fondamentaux. Certes la situation financière des ménages s’améliore au début de l’expérience, mais l’effet disparait au bout des trois ans. La santé des participants n’est globalement pas meilleure, l’endettement augmente, les revenus d’activité diminuent, le temps de travail diminue (8 jours de travail en moins par an) tout comme l’employabilité des bénéficiaires, et les exemples s’enchaînent de résultats qui jettent un sérieux doute sur le potentiel du revenu universel comme facteur d’amélioration pour la condition des plus démunis. Serions-nous trop pessimistes ? L’effort d’investissement en formation pourrait-il expliquer la diminution du travail ou l’augmentation de la dette ? La réponse est clairement non :

« Le transfert a généré les plus fortes augmentations du temps consacré aux loisirs, ainsi que des augmentations plus faibles du temps consacré à d’autres activités telles que le transport et les finances. Bien que nous ayons posé des questions détaillées sur les commodités, nous ne constatons aucun impact sur la qualité de l’emploi, et nos intervalles de confiance peuvent exclure toute amélioration, même minime. Nous n’observons pas d’effets significatifs sur les investissements en capital humain, bien que les participants les plus jeunes puissent suivre une éducation plus formelle. Dans l’ensemble, nos résultats suggèrent un effet [négatif] modéré sur l’offre de travail qui ne semble pas compensé par d’autres activités productives. »[3]

Reste l’augmentation générale des dépenses, parfaitement avérée, et qui se concentre principalement sur les catégories de l’alimentation, du logement et des dépenses liées à l’automobile. On parle d’au moins 300 $ de plus dépensés chaque mois, un chiffre qui met en évidence l’usage concret des sommes versées pour des besoins immédiats, mais plaira aussi aux partisans de la logique keynésienne selon laquelle c’est la consommation qui génèrerait la richesse et mériterait donc une stimulation par la redistribution.

On peut douter du caractère moral d’un revenu inconditionnel pour chacun, notamment au regard des principes libéraux censés fonder nos démocraties. Reste que les arguments « utilitaristes » avancés par nombre de ses promoteurs sont théoriquement intéressants et méritent d’être testés, surtout avec des fonds privés. Cela tombe bien, puisque sur les 60 millions qu’aurait coûté l’étude d’OpenResearch, 14 millions seraient directement issus de la fortune de Sam Altman, PDG d’OpenAI, la célèbre entreprise derrière l’intelligence artificielle générative ChatGPT. Pourrait-on soupçonner un conflit d’intérêt, alors qu’OpenAI a bien besoin de solutions clé-en-main à proposer au milieu politique pour répondre aux craintes d’un chômage technologique massif permis par l’essor fulgurant de l’IA ? Au fond peu importe, puisque l’étude semble avoir été menée dans les formes les plus rigoureusement académiques, comme en témoigne sa publication par le prestigieux National Bureau of Economic Research (NBER). Enfin il semble utile de rappeler que l’étude comporte quelques limites, à commencer par le caractère limité dans le temps (bien que récurrent) du versement fait aux participants, ou encore l’épidémie de Covid-19 qui a marqué la période de l’étude (2020-2023).

Au prix de la modique somme de 60 millions de dollars, on aura donc appris que le problème de la pauvreté ne se résume pas au manque de moyens financiers, et pourrait bien avoir des racines socio-culturelles que la bonne volonté de l’Etat-Providence ne saurait effacer à coups de chèques. L’économiste Thomas Sowell, qui lui a fait l’expérience directe de la pauvreté, a expliqué cette réalité déplaisante à longueur d’ouvrages, dont la lecture aurait pu faire économiser quelques millions au nouveau philanthrope de la Silicon Valley.


[1] Des études similaires menées dans des pays en développement comme le Liberia ont donné des résultats différents et nettement plus encourageants, mais difficilement transposables vu la radicale différence de contexte économique et socio-culturel.

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