Cet ouvrage publié chez un éditeur plutôt ésotérique est pourtant très sérieux. Avec talent, les deux auteurs n’ont rien de moins que la volonté de démontrer l’existence de Dieu. Une prétention démesurée car on ne prouve pas Dieu et il serait plus raisonnable d’évoquer, comme saint Thomas d’Aquin, des voies permettant de se convaincre de cette existence, plutôt que des preuves. Mais la démarche est intéressante. MM Bolloré et Bonnassies expliquent qu’en l’état de la science, il faut admettre que le monde né du Big Bang ne peut pas ne pas avoir de cause et que tout converge pour considérer qu’à l’origine, il y eut un minuscule noyau d’énergie contenant en puissance et de manière extrêmement précise et sophistiquée tout le développement de l’univers et de notre planète. En introduction, Robert Woodrow Wilson, prix Nobel de physique 1978, écrit que « En effet, pour que l’univers primordial ait pu évoluer vers celui qui nous a engendré et que nous comprenons aujourd’hui, le Big Bang a nécessairement dû être réglé de manière ultraprécise » (p. 13).
Nos auteurs rappellent que selon le second principe de la thermodynamique défini par Carnot et Clausius et auquel est soumis l’univers, « sans apport extérieur d’information ou d’énergie, tout système fermé s’use et voit grandir son entropie » (p. 49). Il en est, expliquent-ils, comme d’une bougie qui se consume petit à petit et sera inéluctablement complètement usée bientôt, ou comme d’un feu de cheminée qui s’achèvera quand tout le bois sera brûlé. Ce principe impose une flèche du temps, à l’encontre des mondes cycliques de l’antiquité et de nombreuses religions. Notre monde aura donc une fin. Et inversement « si l’on regarde vers le passé, l’Univers a forcément eu un début, puisqu’il est impossible d’imaginer un système fermé qui se consume depuis l’éternité car, sinon, il serait usé depuis l’éternité ». Le monde a donc eu un commencement, et donc une cause. Il a eu nécessairement une cause car comme l’observait déjà Parménide « du néant absolu, rien ne peut sortir » : s’il y avait un néant absolu, il existerait encore et rien n’existerait.
Des scientifiques, Alexander Friedmann et Georges Lemaître, ont exposé au début du siècle dernier la théorie de l’expansion de l’univers bientôt vérifiée (1929) par Edwin Hubble avec le télescope de l’observatoire du Mont Wilson. A partir de quoi, le père Lemaître, prêtre de son état, émet l’hypothèse que l’univers proviendrait d’un « atome primitif ». Non sans oppositions, cette idée est peu à peu admise par le monde scientifique qui l’a décrite d’abord comme celle d’un Big Bang dont le nom lui restera attaché. Par hasard, peut-être, en 1964 deux ingénieurs des laboratoires Bell, Arno Penzias et Robert Wilson (celui qui eut plus tard le prix Nobel) repèrent un parasite étrange sur une très grande antenne directionnelle qu’ils essaient de mettre au point. Ils ont découvert la présence résiduelle du signal électromagnétique émis lors du Big Bang que George Smoot parvint plus tard, en 1992, à photographier. En projetant sur écran cette première lumière cosmique, il eut cette formule « c’est comme voir le visage de Dieu ». Il obtint à son tour le prix Nobel de physique pour cet exploit.
Désormais, le Big Bang fait consensus. Avant lui, il y a 13,8 milliards d’années, il n’y aurait rien, ni temps ni espace, ni matière. Et ce commencement aurait été celui d’un espace infiniment petit renfermant seulement une énergie pure de laquelle tout découlera. Bien plus, le réglage de ce minuscule noyau semble incroyablement précis pour avoir pu enfanter notre univers et surtout pour avoir permis le passage de l’inerte au vivant, il y a 3,5 à 3,8 milliards d’années, puis le développement de celui-ci. Comment alors ne pas s’interroger sur « la possibilité d’un geste créateur à l’origine de cette singularité » ? La création de l’ADN, du génome humain… apparaissent comme des choses tellement particulières et complexes que laisser leur apparition au hasard serait invraisemblable. Dans le même esprit le grand mathématicien Kurt Gödel affirmait dès les années 1930 que selon son théorème d’incomplétude « la mécanisation des mathématiques, c’est à dire l’élimination de l’esprit et des entités abstraites, est impossible » (p. 311), ce qui en d’autres termes signifie que l’homme ne peut pas se réduire à une Intelligence Artificielle ni être remplacée ni dépassée par elle.
Dans leur long ouvrage, nos deux auteurs montrent que la science n’est pas incompatible avec la religion judéo-chrétienne, voire qu’elle peut en confirmer le récit. Selon eux, l’idée d’un Dieu paraît plus crédible que celle d’une absence de dieu à l’origine de l’univers. Dès 1922, Einstein, convaincu du Big Bang après quelques tergiversations, aurait répondu à l’interrogation d’une étudiante sur ses recherches « Je veux savoir comment Dieu a créé l’Univers. Je ne suis pas intéressé par tel ou tel phénomène, tel ou tel détail, Ce que je veux connaître, c’est la pensée de Dieu » (p. 133).
Au demeurant, la science n’a sans doute pas dit son dernier mot. Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie en 1977, admettait (La fin des certitudes, Odile Jacob, 2009) l’idée d’un univers en expansion selon laquelle nous devrions aboutir en remontant le temps à une singularité, un point contenant la totalité de l’énergie et de la matière de l’univers. Pour autant, il ne retenait pas l’idée que le Big Bang donnait un commencement au temps. Il préférait penser que le temps précède l’existence. Mais il relativisait en considérant que « la relativité générale n’est pas close, pas plus que la mécanique classique ou quantique ». Dans un fabuleux roman, La formule de Dieu, José Rodrigues dos Santos tire des mêmes données scientifiques que MM. Bolloré et Bonnassies, une toute autre conclusion ! Restons donc prudent. Dans la préface de la seconde édition (1787) de sa Critique de la raison pure, Emmanuel Kant, observait que Dieu, la liberté et l’immortalité relevaient plus de la croyance que du savoir. Il avait sans doute raison. Mais c’est déjà beaucoup que la science n’exclue pas l’idée de Dieu, voire y conduise. Pour le moins ce livre très didactique est passionnant et ouvre au débat.