Bernanos, avec « La France contre les robots », ajoute-t-il un essai de plus contre la société industrielle dans la veine des écrits de Simone Weil ou de Jacques Ellul ? Oui bien sûr, mais l’auteur y prend aussi le parti de la liberté avec des propos d’une étonnante actualité.
On ne présente plus Georges Bernanos (1888-1948), écrivain catholique et monarchiste, proche un temps de l’Action française. Il est surtout connu pour ses romans, notamment ceux qui ont été portés à l’écran (« Sous le soleil de Satan », « Journal d’un curé de campagne » par des metteurs en scène célèbres avec des acteurs non moins fameux), et sa pièce de théâtre « Dialogue des Carmélites » qui deviendra aussi un opéra, un film et un téléfilm. Bernanos fût récompensé par le prix Femina en 1929 pour « La Joie », et par le Grand prix du roman de l’Académie française en 1936 pour « Journal d’un curé de campagne ».
Mais Bernanos est aussi engagé dans la vie publique et politique avec ses essais, comme « La grande peur des bien-pensants » (sur la III° République ») ou « Les grands cimetières sous la lune » (sur la guerre d’Espagne). C’est à cette catégorie des essais, pour ne pas dire des pamphlets, qu’appartient « La France contre les robots ».
Une critique de la société moderne…
Écrit depuis le Brésil où Bernanos avait trouvé refuge en 1938 après avoir quitté la France, dégoûté par l’attitude des politiques français face à Hitler, « La France contre les robots » est publiée au sortir de la guerre, en 1945.
Les robots dont il est question ici ne sont pas ceux de la « Guerre des Étoiles », mais tout simplement les machines ou, comme le dit Bernanos, la « Machinerie » accusée de transformer l’Homme. L’Homme deviendrait totalement dépendant des machines et sa vie serait « tout entière orientée par la notion de rendement, d’efficience et finalement de profit ».
Cette critique est finalement assez convenue et nous pourrions passer beaucoup de temps à la discuter, car Bernanos n’a pas tort sur toute la ligne. Ainsi, à l’heure où les écrans, de toute taille, envahissent notre quotidien et cherchent à orienter notre pensée, comment de pas trouver un caractère prémonitoire à cette phrase : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure » ? Un peu plus loin dans l’ouvrage, il affirme : « La plus redoutable des machines est la machine à bourrer les crânes, à liquéfier les cerveaux ».
Rappelons-nous que Bernanos rédige après le génocide industrialisé des Juifs par le régime nazi, et qu’il tient à souligner combien les machines exacerbent les mauvais côtés de l’Homme. Comme il l’écrit, si les machines « n’ont rien changé à la méchanceté foncière des hommes », elles ont cependant « exercé cette méchanceté, elles leur en ont révélé la puissance » et le fait que l’exercice de cette puissance « n’avait, pour ainsi dire, pas de bornes ».
… mais surtout de l’État moderne…
De fait – et c’est là nous semble-t-il, un point capital de l’ouvrage – si cette formidable puissance de la machine est tenue par l’État, tout est à redouter. Ce que craint finalement Bernanos, c’est que l’État moderne devienne un moloch technique, c’est-à -dire qu’il profite de la technique pour asseoir sa tyrannie. Quand on voit ce que fait aujourd’hui le pouvoir chinois – qui est l’imitation de la série télévisée britannique « Black Mirror » – il y a effectivement de quoi s’inquiéter. Pour les Chinois d’abord. Pour nous ensuite, tant nos gouvernements semblent parfois vouloir copier Xi Jinping et sa bande.
Avec ce programme, l’individu est effacé. Comme l’écrit Bernanos, « l’État Technique n’aura demain qu’un seul ennemi : ‘l’homme qui ne fait pas comme tout le monde’ – ou encore : ‘l’homme qui a du temps à perdre’ – ou plus simplement si vous voulez : ‘l’homme qui croit à autre chose qu’à la Technique’ ».
Si Bernanos écrit cette centaine de pages en 1945, c’est qu’il est persuadé que la guerre « travaille pour l’État totalitaire ». En effet, elle forme « une nouvelle espèce d’hommes, assouplis et brisés par l’épreuve, résignés à ne pas comprendre, à ne pas ‘chercher à comprendre’ », des hommes qui ont désappris une fois pour toutes les libertés de la vie civile.
… d’une brûlante actualité
Le pamphlet de Bernanos, même s’il a plus de 75 ans, peut encore s’adresser aux hommes d’aujourd’hui. Nous l’avons vu l’État tyran, la lobotomisation de masse, la guerre – aujourd’hui celle contre le virus déclarée par Macron – tout cela est d’une brûlante actualité.
Que dire alors – au moment où la liberté d’aller et venir est limitée et que se met en place le passeport vaccinal – de ce passage : « J’ai vécu à une époque où la formalité du passeport semblait abolie à jamais. N’importe quel honnête homme, pour se rendre d’Europe en Amérique, n’avait que la peine d’aller payer son passage à la Compagnie Transatlantique. Il pouvait faire le tour du monde avec une simple carte de visite dans son portefeuille. […] Il y a vingt ans, le petit-bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu’alors réservée aux forçats. Oh ! oui, je sais, vous vous dites que ce sont là des bagatelles. Mais en protestant contre ces bagatelles le petit-bourgeois engageait sans le savoir un héritage immense, toute une civilisation dont l’évanouissement progressif a passé presque inaperçu […]. Le petit bourgeois français n’avait certainement pas assez d’imagination pour se représenter un monde comme le nôtre si différent du sien où à chaque carrefour la Police d’État guetterait les suspects, filtrerait les passants, ferait du moindre portier d’hôtel, responsable de ses fiches, son auxiliaire bénévole et public. […] Le jour n’est pas loin peut-être où il nous semblera aussi naturel de laisser notre clef dans la serrure, afin que la police puisse entrer chez nous nuit et jour, que d’ouvrir notre portefeuille à toute réquisition. Et lorsque l’État jugera plus pratique, afin d’épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L’épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée » ?