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Réformer les prisons en faisant appel au privé

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• Prisons : les succès de la sous-traitance au privé et des privatisations
• Etats-Unis, Australie, Royaume-Uni : des exemples de réussite dans la lutte contre la récidive
• Le « pay for success » ou l’efficacité de la réinsertion
• Le partenariat avec le privé signifie aussi des économies pour l’Etat

Privatiser les prisons ? L’idée est que les autorités publiques, représentant théoriquement les contribuables, puissent profiter des avantages des mécanismes de marché dans la fourniture de services « publics ». Typiquement, ces mécanismes permettent l’innovation, l’efficacité et la baisse des coûts dans la fourniture du service. Les améliorations obtenues pourraient ensuite stimuler les prisons publiques, constituant ainsi une saine émulation. C’est ce qui avait motivé un mouvement de privatisation dans les années 1980. Après le Royaume-Uni ou les États-Unis, la France avait suivi la tendance avec la délégation de service au privé permise par la Loi Chalandon de 1987. Aujourd’hui après d’autres réformes, un tiers des prisons en France sont ainsi partiellement gérées de manière privée : construction des prisons, maintenance des bâtiments, gestion des repas, blanchisserie, accueil des familles…

Nombreux sont ceux qui pensent que bien des raisons militent contre cette privatisation, du fait du supposé conflit d’intérêt entre d’un côté la recherche du profit et, d’un autre, la baisse de la criminalité (et donc de la population carcérale), la baisse de la récidive, la qualité des services offerts aux prisonniers etc. Pourtant, tout dépend de ce que l’on entend par « privatisation », de comment on la met en place, avec quelles règles et avec quel suivi (notamment dans les mesures de performance et la reddition des comptes). Il nous faut en réalité sortir de l’idéologie et épouser un pragmatisme de bon aloi, qui se concentre sur ce qui marche, dans lequel la société civile et la société politique apprennent de leurs erreurs et corrigent le tir de manière constructive, sans se recroqueviller sur les conservatismes et les corporatismes.

S’ouvrir à des idées nouvelles

Il s’agit également d’ouvrir la prise en charge des prisons à d’autres acteurs pour mobiliser la puissance créatrice de la société civile en matière de solutions aux besoins sociaux. Car, il n’y a pas ici l’idée qu’il n’existerait qu’une solution unique. Au sein même des « solutions privées », il existe des modalités différentes. De ce point de vue, la « privatisation » peut ainsi passer par les entreprises privées mais aussi par des associations et des fondations. Tout dépend de l’histoire, de l’organisation, du service requis, et de bien d’autres paramètres. De même une solution pour répondre à un besoin peut « marcher » un temps puis devoir être modifiée pour s’adapter à de nouvelles conditions. Il ne s’agit donc pas de présenter la privatisation totale des prisons en tant que la « solution » et surtout pas « contre » les prisons publiques. C’est une voie : un outil qui ouvre tout un ensemble de possibilités pour produire un service « public » de meilleure manière – et ainsi utiliser au mieux l’argent des contribuables. Encore une fois, le pragmatisme, bien évidemment éclairé par les principes et notamment le respect de l’état de droit, doit nous guider.

Le rôle des incitations

Le succès d’une délégation de service public au secteur privé dépend des incitations qui sont stipulées dans les contrats passés entre les responsables publics et les prestataires privés concernés. Et de bonnes incitations sont constituées par des objectifs concrets et mesures précises, qui permettront de déterminer effectivement si le prestataire a « respecté le contrat ». Quand la délégation de la production du service au privé se fait sans poser tous les objectifs et critères de mesure de la qualité du service rendu, ou sans les poser de manière explicite, il est à craindre que l’activité du prestataire soit biaisée pour répondre à ses objectifs de rentabilité plutôt qu’aux exigences du service requis.

En matière de privatisation des services carcéraux, les incitations ont sans doute trop longtemps été quelque peu floues. Par souci éthique on s’est concentré sur le respect des normes sanitaires etc., ce qui est évidemment fondamental, mais loin d’être suffisant. Les prestataires ont pu être rémunérés au nombre de détenus, un peu comme un hôtel. Leur intérêt était dès lors d’obtenir un maximum de « locataires ». Or, ce qui compte pour la société n’est pas qu’un nombre maximal de gens soit incarcérés – au contraire sans doute-, c’est bien davantage que la criminalité baisse et que la sécurité augmente dans nos rues et quartiers.

Cela passe sans doute par une politique répressive mieux adaptée : peut-être un durcissement des sanctions prévues pour certains délits avec une politique de la « vitre brisée »[[Selon laquelle il existe un lien direct de cause à effet entre le taux de criminalité et le nombre croissant de fenêtres brisées à la suite d’une seule fenêtre brisée que l’on omet de réparer.]], et parallèlement une décriminalisation de délits « sans victimes ». Mais cela passe également par une réduction importante de la récidive. Or, c’est bien là que l’on trouve un rôle crucial des maisons d’arrêt de réinsertion : ce qui compte pour la société, c’est que les détenus puissent se réinsérer et ne pas tomber dans la récidive. Il faut donc que les incitations des prestataires soient posées clairement en ce sens : mieux former les détenus et les aider dans leur réinsertion, en leur trouvant un emploi par exemple.

Nouveau créneau de services

Aux USA la politique pénale a, comme dans d’autres pays, récemment changé de cap, en mettant l’accent sur la réinsertion. La récidive est un problème majeur aux États-Unis : 45% des détenus libérés en 1999 étaient revenus en prison sous trois ans. L’approche dominante, répressive, a fini par créer une « culture de la prison » qui encourage de nombreux opérateurs de prisons à se focaliser d’abord sur la punition. Pourtant un environnement carcéral violent peut mener à des résultats négatifs pour les prisonniers et donc, au final, pour la société. A l’inverse, si les prisons misent sur la réinsertion, par le biais de programmes de formation professionnelle, de programmes éducatifs, de suivi psychothérapique, elles peuvent aider à faire des détenus des membres plus contributifs de la société (Davilmar 2014). Les prisons privées jusqu’ici n’avaient pas vraiment excellé en matière de prévention de la récidive.

Mais les entreprises privées ont récemment anticipé le changement de direction dans la politique pénale américaine. C’est ainsi que les deux plus grands groupes gestionnaires de prisons aux Etats-Unis, GEO et CCA, ont entrepris ces dernières années de diversifier leur offre en incluant des services qui ne consistent pas à garder les gens derrière les barreaux. Par exemple en 2011 GEO a acheté Behavioral Interventions, le premier producteur mondial d’équipement de surveillance pour les gens en attente de procès ou en liberté conditionnelle. Cela faisait suite au rachat en 2009 de Just Care, un fournisseur de services médicaux en soins psychiatriques aux agences publiques. Le président fondateur de GEO George Zoley ne s’en cache pas : « Notre engagement est d’être le leader mondial dans la fourniture de programmes de réinsertion des délinquants, ce qui coïncide avec l’accent mis de plus en plus fortement sur la réinsertion tout autour de la planète ». En 2014, CCA rachetait Correctional Alternatives, une société qui fournit des services de logement et de réinsertion comprenant des programmes de réinsertion résidentielle, de permission et de détention à domicile (WSJ 2015).

De l’Australie au Royaume-Uni

L’Australie a décidé en 1995 de permettre la privatisation de prisons et elle est sans doute aujourd’hui le pays comptant le plus de détenus « privés ». 10 des 94 prisons australiennes sont gérées par le privé à ce jour (le degré de privatisation est variable selon les prisons : la prison de Junee a été totalement financée par des sociétés privées, celle de Wandoo est juste gérée et maintenue par le privé, l’immobilier appartenant à l’état). L’exemple australien permet de saisir comment la privatisation peut permettre d’accroitre la reddition des comptes en matière carcérale. La raison ? Les incitations une fois encore. Les autorités publiques ont prévu dans les contrats des clauses spécifiant des pénalités financières en cas de manquements aux normes ou d’erreurs manifestes ayant des conséquences sérieuses. La mort d’un détenu en prison privée se traduit par près de 100 000 dollars australiens à payer par la société d’exploitation de la prison. C’est le même montant pour une évasion. Diverses pénalités, inférieures, sont prévues en cas de non-respect du cahier des charges en matière de programmes d’éducation, de normes sanitaires, de test aux stupéfiants etc. (SMH 2012). La firme Serco a perdu 680 000 dollars australiens sur l’exercice 2013-14 pour 18 manquements allant de retards dans l’accompagnement du prisonnier au procès (11000 dollars à chaque fois) jusqu’à des évasions (Glushko 2016). Les incitations prévues dans ces contrats privés n’ont pu être imposées aux structures publiques gestionnaires de prisons…

Ces contrats peuvent également requérir des équipes plus professionnelles, qui permettent de fournir des services de meilleure qualité en matière de suivi psychologique ou de désintoxication par exemple. Malgré ces services supplémentaires, cette délégation au privé a permis d’économiser de l’argent du contribuable par la capacité des entreprises privées à contrôler et baisser leurs coûts (SMH 2012). En Nouvelle Galles du Sud par exemple la prison privée de Junee a un coût journalier par détenu de 112 dollars australiens, contre 170 dans une prison publique comparable du même état (Glushko 2016). Une des raisons de cet écart de coût tient notamment au type de syndicalisme dans les prisons privées, qui, moins militant et revendicateur, ne tente pas de « dicter ses conditions » à l’administration pénitentiaires en matière d’organisation ou d’avantages sociaux, comme cela est le cas dans le secteur public (SMH 2012).

L’expérience de la prison d’Acacia, la plus grande du pays, est instructive. Confiée à la société Serco en 2006, le rapport de 2011 de l’inspecteur indépendant de l’État des services carcéraux indiquait que la prison est « sans doute une des meilleures si ce n’est la meilleure d’Australie occidentale ». Rappelant la « culture pro-sociale » envers les prisonniers traités « avec respect et décence », le rapport concluait que la prison d’Acacia, dont le coût est inférieur de 30 % aux autres, était « la prison suivie de plus près et rendant le plus de comptes d’Australie » (Stutchbury 2011). En février 2016, le contrat était reconduit suite à un appel d’offres, mais à un coût moins élevé de 8%. Certains contrats annexes n’ont en effet pas été reconduits avec Serco et les autorités publiques ont pu négocier le contrat sur la prison Acacia pour « obtenir un meilleur rapport qualité/prix pour les contribuables » comme a pu le dire le Ministre en charge des services de correction (Parker 2016). Un signe que la délégation de services publics au privé avec appels d’offres permet en réalité une forte reddition des comptes. Évidemment une évaluation complète du succès de la privatisation nécessite encore des travaux de comparaison, notamment sur la base d’évaluations plus régulières des autorités de tutelle, mais les observateurs sont optimistes.

En Grande Bretagne, le think tank britannique Reform a produit une analyse de données montrant la supériorité des prisons privées sur les prisons publiques comparables. En matière de management des ressources et d’effectivité opérationnelle, 12 prisons privées sur 12 font mieux que les prisons comparables du secteur public. En termes de décence et bonnes manières, 7 des 12 prisons opérées de manière privée font mieux que leurs équivalents publics. Même score pour la réduction de la récidive. Le think tank a en outre mené des nouvelles recherches sur les taux de récidive des délinquants par prison : 10 des 12 prisons privées avaient des taux de récidive de délinquants ayant purgé 12 mois ou plus inférieurs aux prisons publiques comparables. Enfin 7 prisons privées sur 10 avaient des taux de récidive inférieurs, pour les délinquants ayant purgé moins de 12 mois (Reform 2013).

Le « Pay For Success », un nouveau paradigme

Pour inciter les prestataires privés à obtenir les résultats escomptés des autorités délégantes, rien de tel que le « Pay For Success » (le « paiement à la réussite »), qui constitue sans doute un changement de paradigme dans la gestion des services publics délégués au privé, consistant à jouer sur les incitations des « prestataires ». Chaque année des milliards (d’euros ou de dollars…) sont budgétés par les États sans réelle évaluation sérieuse de leur impact dans la plupart des pays. Dans ce contexte, l’introduction de systèmes de financement qui mobilisent l’argent du contribuable sur la base du succès des programmes, mesuré à l’aune de critères précis, apparaît salutaire.

Une illustration parmi d’autres de ce changement de paradigme vient de Pennsylvanie. En février 2013, l’administration de l’ancien gouverneur de Pennsylvanie Tom Corbett décide de revoir tous les contrats avec les centres de correction communautaires privés de l’état. L’idée est que le contribuable de l’état de Pennsylvanie paie désormais ces prestataires non sur l’unique base du nombre de détenus, mais sur leur performance. Et en matière de criminalité, une performance cruciale des maisons d’incarcération et de réinsertion est évidemment la baisse du taux de récidive des populations carcérales dont on leur confie la responsabilité. Deux ans après l’introduction du système, l’administration annonçait un recul de la récidive sur les deux années consécutives pour les 42 maisons concernées, à hauteur de -11,3% sur 2014/2015 (Gilroy 2015).

Le but est que les équivalents américains de nos centres d’hébergement et de réinsertion sociale permettent aux prisonniers en liberté conditionnelle de se réinsérer dans la société. Car avant ce changement de stratégie, c’étaient malheureusement 60 % des détenus bénéficiant de liberté conditionnelle qui tombaient dans la récidive. Il s’est donc agi de modifier les incitations des maisons d’incarcération et de réinsertion pour qu’elles accroissent leur performance en matière de non récidive. La nouvelle stratégie prévoit que si le taux de récidive d’une société prestataire de maison de réinsertion augmente deux années consécutives, le contrat peut être rompu. Si le taux de récidive baisse au delà d’un certain seuil, les prestataires privés peuvent recevoir des bonus. Ils ont donc clairement des incitations à accroître la formation des détenus et les suivre de près lors de leur libération conditionnelle. En Australie la prison de Victoria Ravenhall, un partenariat public privé qui ouvrira ses portes en 2017, fonctionnera sur ce modèle.

Une autre forme de « privatisation »

Le Pay For Success intègre généralement avec intérêt des formes de partenariat élargi, impliquant notamment des associations pour coordonner l’action de différents intervenants des secteurs lucratif ou non lucratif sous le contrôle d’un évaluateur indépendant. Les « investisseurs » ne sont payés en retour qu’en cas de succès.

Dans l’état de New York un partenariat public-privé a ainsi été lancé entre l’état, une association, le Center for Employment Opportunities (Centre pour les Opportunités d’Emploi) ou CEO et une quarantaine d’investisseurs. La privatisation signifie donc ici délégation au privé lucratif et non lucratif. CEO s’occupe déjà de réinsertion des ex-détenus et l’idée a été de démultiplier son effet grâce à des investisseurs privés, parmi les quels on compte Larry Summers, célèbre économiste et ancien Secrétaire au Trésor américain. Ces investisseurs parient en quelque sorte sur la capacité du programme à faire mieux et moins cher. En cas d’atteinte des objectifs, les autorités paient aux investisseurs les économies réalisées et des bonus si les objectifs sont dépassés. En aucun cas elles n’auront à débourser des sommes supérieures à la solution publique (Semuels 2015).

Le crédit d’impôt pour la réinsertion des prisonniers de prisons privées ?

Une proposition de « crédit d’impôt pour la réinsertion des prisonniers de prisons privées » (Private Prisoner Rehabilitation – PPR – tax credit) a été suggérée par certains juristes (Davilmar 2014) afin de canaliser les incitations des opérateurs privés de maisons de correction et réduire les « externalités négatives » que la simple recherche de l’optimisation du profit pourrait entraîner. Il ne nous paraît pas souhaitable de rajouter encore une niche fiscale sous forme de crédit d’impôt, mais la même idée peut être mise en œuvre sous la simple forme de bonus attribués aux sociétés de gestion des prisons privées quand elles atteignent des cibles spécifiques, tangibles et contractualisées par les autorités publiques.

Cette stratégie alternative à la gestion publique permettrait ainsi aux autorités d’utiliser le potentiel de ressources et l’efficacité de l’entreprise privée sans sacrifier quoi que ce soit en matière d’objectifs de performance. La puissance publique pourrait ainsi promouvoir de nouveaux programmes sans investissement préalable, le risque d’investissement initial étant totalement supporté par la société de gestion de prisons privées tant que le programme ne génère pas de résultats. (Davilmar 2014). Ici encore on pourrait imaginer d’intégrer comme objectifs contractualisés une réduction annuelle de x% des incidents de viol, de x% des incidents d’agression, une augmentation de la formation des employés, la mise en place de programmes de réinsertion auxquels participeraient x% des détenus, sur lesquels y% devraient atteindre certains objectifs de formation ou d’autres objectifs spécifiques (Davilmar 2014).

Éducation et travail

D’autres juristes américains ont proposé que l’un des critères précis d’intéressement des sociétés gestionnaires soit l’examen GED (General Education Development) (Siegel 2016). Afin que les prisons privées ne génèrent pas d’externalités négatives en s’occupant mal des prisonniers qui leur sont confiés, et donc en ne permettant pas de les réinsérer, il s’agit de modifier ici encore les incitations des opérateurs privés. Nous avons vu les incitations à baisser la récidive. Mais le décalage dans la mesure, le flou possible sur la définition de la récidive et, en définitive, le manque de contrôle des opérateurs sur l’objectif mesurable, peuvent faire préférer un autre objectif, plus direct. On sait que l’une des méthodes pour faciliter la réinsertion est l’éducation, qui réduit la récidive. L’idée ici n’est pas de simplement dispenser des enseignements (ce qui est théoriquement obligatoire dans tous les établissements pénitentiaires), mais d’encourager les établissements privés à maximiser le taux de réussite aux examens (GED aux USA et au Canada), ce qui passe logiquement par offrir des services performants d’éducation.

Sans doute, la réinsertion serait-elle aussi davantage facilitée par l’extension de la possibilité pour les détenus de bénéficier d’un travail en milieu carcéral. Il ne s’agit pas ici de permettre l’exploitation à outrance de travailleurs détenus sans droits et sous-payés : la pratique doit être strictement encadrée. Le but est de prioritairement redonner de la dignité à des hommes et des femmes qui souvent perdent leurs repères en milieu carcéral. Le travail donne un sens. Une pratique plus répandue d’une activité professionnelle en détention permettrait en outre aux détenus de continuer d’accumuler du capital humain et non de connaître un « trou » dans leur vie professionnelle. Pour ceux dont la « vie professionnelle » justement était plus qu’aléatoire, le travail donne ici l’opportunité de se remettre sur les rails, de se former, d’acquérir des compétences, autant d’atouts pour la réinsertion. Enfin la constitution d’un pécule venant d’une rémunération, encore une fois, bien encadrée, est aussi un atout : trop de détenus tombent dans la récidive faute d’avoir pu épargner de l’argent pour gérer leur sortie.

Le privé peut également jouer un rôle essentiel dans le retour à l’emploi à la sortie de prison. Et ici, le Pay For Success peut encore démontrer son potentiel. À New York, CEO s’est vu confier la prise en charge de détenus à leur sortie afin de baisser la récidive. L’idée est que proposer une activité rémunérée, généralement d’intérêt public, permet d’éviter que les ex-détenus ne retombent dans la criminalité. Mais au-delà du revenu généré, ceux-ci doivent également apprendre ou réapprendre à travailler en équipe, à répondre à un encadrement ou être ponctuels, autant d’éléments qui redonnent de la dignité. Ils partagent en outre une expérience avec des ex-détenus qui sont dans la même situation, ce qui crée une émulation entre eux. Enfin, ils reçoivent une formation courte, mais sont aussi suivis et encadrés en matière de recherche d’emploi, notamment pour la présentation à des entretiens d’embauche. Une étude de 2012 montrait que CEO avait permis de réduire la récidive de 16 à 22 %, notamment chez les ex-détenus à risque élevé de récidive. (Semuels 2015).

***

Certes, la délégation du service carcéral à des gestionnaires privés heurte la conviction commune de ceux qui croient encore que le secteur public est mieux à même de remplir cette mission. C’est bien d’ailleurs sous l’emprise de cette idéologie étatique que le ministère américain de la justice a annoncé en août 2016 qu’il mettrait progressivement fin aux contrats de gestion privée de ses détenus. Mais les prisonniers gérés au niveau fédéral par le ministère de la justice ne représentent qu’environ 10% de la population carcérale américaine (190 000 sur deux millions de détenus). Le département fédéral de la sécurité intérieure et les états qui gèrent la très grande majorité des détenus poursuivent de manière satisfaisante leur partenariat avec des sociétés privées.

Car, loin d’être uniquement synonyme d’embastillement censé maximiser les profits « capitalistes » de firmes privées, la privatisation des services correctionnels et de réinsertion peut réellement être porteuse d’innovations et d’améliorations. Pour cela, cette délégation de service public doit s’effectuer en posant les bonnes incitations, en mettant au point des objectifs et des systèmes de reddition des comptes poussant à la performance, pour le bien des détenus, des contribuables, des sociétés privées et de la société dans son ensemble, qui aspire à moins de criminalité, moins de récidive, et en réalité, moins de prisonniers. Encore une fois, ces solutions « privées » sont une voie possible, et sans doute pas la panacée. Mais leur potentiel pour faire avancer les choses dans le bon sens et mérite qu’on étudie sérieusement ces options.

Bibliographie sommaire

Davilmar Cassandre Monique « We tried to make them offer rehab, but they said, ‘No, no, no !’ : Incentivizing private prison reform through the private prisoner rehabilitation credit », New York University Law Review, Vol. 89, 04.2014.

Glushko, Anastasia « Doing well and doing good : The case for privatising prisons », Policy, Vol. 32.1 Automn 2016.

Parker, Gareth « Serco takes $7m cut in prison contract », The West Australian, 24.02.2016.

Semuels, Alana « A New Investment Opportunity : Helping Ex-Convicts », The Atlantic, 21.12.2015.

Siegel, David M. « Internalizing Private prison externalities : Let’s start with the GED », Notre Dame Journal of Law, Ethics & Public Policy, Vol. 30.1, 02.2016.

Stutchbury, Michael « Private prisons are the best », The Australian, 21.05. 2011.

Tanner, Will « The case for private prisons », REFORM, 02.2013.

The Sydney Morning Herald « The advantages of Private Prisons in Australia », 22.01.2012.

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Coriolan 3 novembre 2016 - 5:03

Bibliographie complémentaire.
– Philippe COMBESSIE. Sociologie de la prison. Repères/ La Découverte
– Jacques LEAUTE. Les prisons. PUF/ Que sais-je?

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