La question démographique sera au cœur des enjeux économiques de demain. En effet, si l’indice moyen de fécondité était de 1,59 enfant par femme en 2013 au sein de l’Union européenne, les disparités internationales sont immenses. Le taux de fécondité joue un rôle essentiel dans le renouvellement des populations et le soutien générationnel des populations vieillissantes. Un pays développé avec un fort taux de fécondité et des bonnes conditions sanitaires pèsera davantage dans le paysage économique mondial qu’un pays où la natalité n’est pas suffisante pour compenser la mortalité et et où le solde migratoire est déficitaire.
La politique familiale française réunit l’ensemble des aides et des mesures fiscales à destination des familles, comme les allocations familiales, le quotient familial (pour le calcul de l’impôt sur le revenu), les aides pour la garde des enfants ou les mesures de « gratuité » à disposition des familles non-imposables pour la crèche, l’école maternelle ou encore les activités sportives périscolaires. La politique familiale se fonde depuis le Conseil national de la résistance sur un principe d’universalité indifférenciée dans l’octroi des prestations sociales et des avantages fiscaux dont l’objectif est avant tout de favoriser l’agrandissement des structures familiales et de promouvoir la natalité.
Il existe un certain consensus pour reconnaître le succès de cette politique familiale à la française. En effet, la France dispose d’un des taux de fécondité les plus élevés des pays développés (2,08 enfants par femme) alors qu’en comparaison, l’Allemagne a un taux de fécondité assez faible de 1,42 enfant par femme. Mais le gouvernement a adopté l’année dernière une série de mesures qui vont mettre fin au principe d’universalité des prestations sociales et familiales et qui introduisent une composante redistributrice dans le versement des prestations, ce qui n’était pas du tout l’objectif initial de la politique familiale.
Ces mesures comprennent notamment :
• l’abaissement du quotient familial, qui est passé de 2 000 € à 1 500 € (après avoir déjà été abaissé de 2 300 € à 2 000 €) ;
• la modulation des allocations familiales en fonction des revenus ;
• la baisse des prestations d’accueil du jeune enfant (Paje) ;
• la création d’un complément familial majoré ;
• la revalorisation de l’allocation de soutien familial (ASF) et du revenu de solidarité active (RSA).
Le tableau suivant présente les montants mensuels des principales prestations de la sécurité sociale entre 2011 et 2014 (avant la réforme) : les prestations étaient fixes et universelles. Pour avoir droit aux allocations familiales, il suffisait de remplir les conditions requises et les allocations familiales étaient les mêmes pour tous sans conditions de revenus.
Après la réforme, les allocations familiales seront modulées en fonction du revenu : à partir d’un revenu net mensuel de 6 000 €, les allocations familiales baisseront de 50 % ; et à partir de 8 000 €, elles baisseront de 75 %. 485 000 ménages seront concernés par cette mesure « égalitaire » (soit environ 10 % du total de bénéficiaires des allocations), tandis que la perte moyenne mensuelle occasionnée sera de 127 € par mois. 1,4 million de ménages devront également payer 71 € de plus par mois pour leur impôt sur le revenu à cause de la baisse du plafond du quotient familial. 85 % de ces familles font partie des 20 % des familles les plus riches. Le caractère social, égalitariste et redistributif de la politique familiale est donc maintenant clairement assumé. On passe d’une politique universelle d’aide aux familles, fondée sur l’idée que tous les enfants ont droits à la même attention de la collectivité, à une politique discriminatoire de redistribution.
Selon une étude de la CNAF, cette série de mesures permettrait une réduction de 860 millions d’euros de dépense dans la branche famille de la sécurité sociale. Pour avoir une idée de l’impact sur les familles : les transferts sociaux vont diminuer de 67 euros par mois pour 3,2 millions de familles (dont ¾ font partie des trois plus hauts déciles de revenus) ; et ils vont augmenter du même montant pour 2,1 millions de familles (dont 6/10 font partie des deux plus bas déciles). Plus concrètement, le montant moyen des transferts sociaux pour les 10 % des familles les moins aisées va passer de 270 € à 284 € par mois et par enfant (soit une revalorisation de 14 €) alors que le montant d’aide moyen pour les 10 % des familles les plus aisées va passer de 305 € à 230 € par mois et par enfant (baisse du quotient familial pour 53 % + modulation des allocations pour 44 %).
La politique familiale n’est plus nataliste : elle devient confiscatoire
La nature des objectifs de la politique familiale a été dévoyée au profit d’une conception égalitariste qui accroît la redistribution sociale entre les familles au lieu de considérer les prestations familiales comme une compensation de charge, comme une assurance contre le risque.
Le graphique suivant montre les dépenses de la CAF en 2013 : la branche famille stricto sensu (en intégrant les prestations familiales, les prestations dédiées aux jeunes enfants et autres) a représenté 32 milliards d’euros sur un total de presque 79 milliards de dépenses des caisses d’allocations familiales.
Les recettes ne couvrent pas toutes les dépenses de la branche famille : comme on peut l’observer sur le graphique ci-après, le déficit de la branche famille approchait les 2,7 milliards d’euros en 2014 (contre 7,3 milliards pour la branche maladie) sur un total de 13,2 milliards de déficit pour la sécurité sociale (en comprenant le fonds de solidarité vieillesse). Toutefois, si le déficit de la branche famille est supérieur au déficit de la branche vieillesse depuis 2013, c’est notamment parce qu’une partie des charges portées par les CAF ne relève pas de la politique familiale mais de la politique de retraite. En effet, depuis 2011, la CNAF finance la majoration de 10 % des pensions de retraite pour les parents qui ont trois enfants ou plus (ce qui représente environ 4,5 milliards d’euros). En remettant ce poste de dépense à la charge de la branche vieillesse, la branche famille se trouve dans une situation excédentaire de plus de 1,7 milliards d’euros et la branche vieillesse se retrouve dans une situation déficitaire de 5,8 milliards d’euros.
Conclusion
Désormais, les allocations familiales seront modulées en fonction du revenu et rempliront le même rôle que l’impôt sur le revenu, à savoir réduire les inégalités sociales entre les ménages. Les réformes de la politique familiale, qui viennent casser le principe d’universalité des prestations familiales, viennent renforcer une redistribution sociale déjà existante dans les politiques d’aides sociales pour les familles. En effet, si l’universalité du versement des allocations familiales incitait les familles à faire au moins deux enfants (nombre d’enfants minimum pour bénéficier des allocations familiales), la redistribution existait déjà entre les familles sans enfants et les familles avec enfants ! Pourquoi changer un modèle qui fonctionne ?
3 commentaires
Confusion mentale
La politique familiale traditionnelle (quotient, et AF identiques) était destinée à gommer l'écart entre les familles (de même revenu) qui élevaient des enfants (en vue de retraites par répartition par exemple) et celles qui n'en élevaient pas. Je démontre à qui voudra quand il veut que les enfants sont de fait aussi une charge financière et que l'on vit très différemment avec et sans. Il suffit de regarder le taux de fréquentation d'un restaurant un Dimanche à midi pour voir l'écart de comportement. La France a progressivement réduit ce rééquilibrage et nous en sommes arrivés à avoir le droit d'être riche (et taxés) mais de plus avec des enfants pauvres ! On devrait logiquement aller maintenant vers la retraite par capitalisation et la baisse de la natalité : il était temps de s'en occuper ! On pourrait aussi baisser le quotient de l'épouse : on pourrait avoir une femme pauvre, vrai progrès social, et cela pousserait les femmes au travail.
Passionnant de voir que l'on confond rééquilibrage et redistribution. Comme en parallèle on confond redistribution et distribution (voir par exemple le logement intermédiaire), on ne peut que conclure que notre gouvernement est en pleine confusion mentale.
raisonnement spécieux
Pour justifier la modulation des allocations familiales, le gouvernement a donné l'argument que pour une famille avec 6000€ ou 8000€ de revenus, elles étaient un apport négligeable (à vérifier, car cela dépend du nombre d'enfants: est-on "riche" en région parisienne avec ces revenus quand on a 4 ou 5 enfants?)… Mais si l'on admet l'argument du gouvernement, quelle logique pousse alors à rendre ce complément de revenus encore plus négligeables en les divisant par deux ou quatre?
Face cachée!
OK: vous traitez l'aspect quantitatif…
Il faut aller plus loin et traiter l'aspect qualitatif!
Sous toutes ses implications: on va dans le mur!
La France se meurt!!