Décidément, l’IA semble désorganiser surtout les intelligences humaines. Après Éric Zemmour qui voit dans l’IA un moyen de remplacer les immigrés, c’est Michel-Édouard Leclerc qui s’inquiète du fait que l’IA, les robots et le « digital » ne cotisent pas pour notre système social. Dans une interview donnée le 20 mai sur BFM TV, il déplore : « Mon iPhone me fait des photos, eh bien il n’y a plus de photographe pour payer des cotisations patronales, ni un salarié pour développer les photos ; quand j’envoie des mails, il n’y a plus de postiers. (…) C’est tabou en France, on ne pose pas la question de comment on pourrait trouver d’autres ressources pour maintenir notre système social. »
À ce stade, on se demande s’il ne faudrait pas revenir à la pierre taillée, à la poste aux chevaux et à la baratte à beurre. Pourquoi s’être débarrassé des allumeurs de réverbères, des poinçonneurs du métro ou des dactylographes ? Le numérique a détruit des métiers, certes, mais comme toute innovation depuis que l’homme a découvert le feu.
Ce que M. Leclerc décrit n’est rien d’autre que le processus de destruction créatrice, théorisé par l’économiste Joseph Schumpeter. L’innovation bouleverse les équilibres anciens, détruit certains métiers mais en crée de nouveaux. Le numérique a rendu obsolètes les cabines téléphoniques ; il a aussi fait émerger des dizaines de milliers d’emplois dans le développement informatique, la cybersécurité, la data, etc. De la même manière, l’IA transforme le paysage productif – et les recettes sociales doivent s’y adapter.
Le problème soulevé par Michel-Édouard Leclerc n’est pas illégitime en lui-même : comment financer durablement un système social qui repose sur des cotisations et donc sur le travail humain, dans une économie qui tend à devenir de plus en plus automatisée ? Ce qu’il suggère implicitement – taxer les nouvelles technologies – est cependant curieuse de sa part, car il ne peut évidemment ignorer que ces technologies sont développées par des hommes, qui eux-mêmes paient des impôts, et surtout investissent. Faut-il aussi taxer les lave-vaisselles pour avoir supprimé les plongeurs ou les butyrateurs pour avoir dépossédé les paysannes de leur baratte en bois ?
Le vrai débat ne porte pas sur une prétendue « concurrence déloyale » de la technologie, mais sur la nécessité d’adapter notre modèle social à un monde en mutation : revoir le financement de la protection sociale, repenser la fiscalité du capital, alléger le coût du travail pour favoriser l’embauche, encourager l’investissement productif… Pas d’incriminer l’iPhone parce qu’il ne prend pas sa carte vitale.
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L’épicier de Landerneau est bien loin d’être un génie.