Quand au bout de trois ans avec pour seule réforme véritablement visible, le mariage pour tous, le Président de la République s’aperçoit de l’inanité de son bilan qui voit la dépense publique ne cesser de croître de concert avec le chômage et l’endettement de la Nation, il s’inquiète tout à coup du caractère déplorable de son image dans l’opinion. Il est vrai que les changements promis par le candidat sont loin d’être au rendez-vous: à peine bouclée, la prétendue réforme des retraites révèle déjà ses insuffisances, le dialogue social s’est perdu dans les sables de la médiocrité de ses interlocuteurs, la confiance a disparu depuis le matraquage en règle de l’entreprise et des classes moyennes, la haute finance siège sans désemparer dans le Gouvernement et la grande réforme fiscale promise n’a toujours pas vu le jour, car l’usage répété du 49-3 sur la loi Macron montre qu’au sein même de la majorité, elle ne réunirait pas les suffrages nécessaires. Alors, puisqu’on ne peut plus rien faire de sérieux et de substantiel, il reste les artifices de la communication et là nous avons affaire à des maîtres. Il faut trouver une « grande » réforme la plus creuse possible et qui donne l’illusion du changement, sans qu’au fond rien ne bouge ou presque. Bien mieux en laissant entendre que cette réforme pourrait préparer l’avènement ultérieur d’une CSG progressive, on a le marqueur de gauche de nature à apaiser les « frondeurs ». En dépit des réticences des services de Bercy, en dépit aussi des nombreuses réserves du Conseil des Prélèvements Obligatoires (citée par abréviation C.P.O ensuite), cette réforme, c’est tout simplement la généralisation de la retenue à la source (RAS également citée par abréviation ensuite) dont on reporte cependant la première application en 2018, après la fin du mandat en cours, car on ne saurait être trop prudent. Mais si l’annonce a bien été faite, on est encore loin aujourd’hui de connaître dans le détail l’économie du texte et le citoyen peine à se faire une idée précise des enjeux en cause, des options ouvertes et de leurs conséquences. C’est le but de cette étude de donner au lecteur dans le débat qui s’engage et pour les mois à venir les clefs d’une réflexion personnelle et documentée, qui le garde tout aussi bien des écueils des simplifications abusives que des excès d’annonces médiatiques trop souvent mal contrôlées.
I – DE QUOI S’AGIT-IL
Très simplement, jusqu’à présent, notre impôt sur le revenu est recouvré par voie de rôle, c’est-à -dire que l’avis d’imposition fixant le montant définitif de l’impôt est émis quelques mois après que le contribuable ait déclaré au cours de l’année N+1 tous ses revenus de l’année N. Le rôle reprend la liste nominative des contribuables acquittant l’impôt, le montant dû par chacun d’eux et il est rendu exécutoire à une date donnée par l’autorité administrative, avec indication de la date d’exigibilité applicable à toutes les créances mentionnées. L’intervention de quelques prélèvements (libératoires ou pas) opérés notamment sur les revenus du patrimoine, tout comme l’exigence en début d’année N+1de deux acomptes provisionnels du tiers du montant définitif de l’impôt de l’année N ne changent rien à la chose: c’est l’inscription au rôle qui matérialise la phase ultime du recouvrement de l’impôt et qui fige définitivement la dette du contribuable. Bien sûr, l’inconvénient pour l’Etat est qu’il ne perçoit qu’en cours ou à la fin de N+1 l’impôt dû au titre de l’année N, l’inconvénient pour le contribuable est qu’il doit préserver sur l’année N une épargne de précaution pour faire face à ses échéances fiscales de N+1 (et même de N+2!). Face à ces handicaps, le but de la retenue à la source est justement de procéder à une liquidation aussi précise que possible de l’impôt dû et au prélèvement correspondant dés que le revenu est perçu par son bénéficiaire. Bien entendu et à moins d’un impôt proportionnel et simplissime, le taux de prélèvement appliqué n’est jamais qu’un taux provisoire estimé par l’Administration sur la base des dernières impositions connues. Il faut donc en fin d’année N (ou au plus tard au tout début de l’année N+1) procéder à un calcul définitif et précis de l’impôt effectivement dû à partir d’une déclaration récapitulative du contribuable, formalité que – contrairement à ce que beaucoup croient – la RAS ne supprime pas. Mais l’Etat rentre plus vite dans ses sous et le contribuable – aux ajustements de fin d’année près – perçoit désormais un revenu net dont il peut immédiatement disposer librement. Il serait évidemment stupide de contester ces avantages indéniables, mais la question est en réalité beaucoup moins simple qu’il n’y paraît comme le montre la suite de l’étude.
II – LE CONTEXTE INTERNATIONAL
La retenue (ou prélèvement) à la source ne date pas d’hier et de nombreux pays y recourent depuis très longtemps. A dire vrai parmi les démocraties économiquement avancées, on ne compte plus que la Suisse, Singapour et …la France pour continuer à s’y soustraire. Mais dans la plupart des pays où elle a été instituée:
– l’impôt sur le revenu représente par rapport au total des rentrées fiscales une recette beaucoup plus importante qu’en
France: par exemple 54% au Danemark, 39% en Australie, 38% aux États-Unis, alors que le ratio français n’excède pas 18%;
– l’impôt français est l’un des plus compliqués qui soit notamment en raison du cumul de trois facteurs spécifiques: une progressivité assez marquée, l’existence du quotient familial qui est une exclusivité mondiale, tout comme le foisonnement de quelque 180 niches spécifiques qui font souvent du calcul de l’impôt sur le revenu un exercice difficile et périlleux, dés qu’on s’écarte des cas les plus simples, heureusement fortement majoritaires;
– le choix a été fait d’une année blanche pour l’année intercalaire (notamment au Danemark et en Nouvelle-Zélande) sans qu’on observe de dérives significatives, cette option bienvenue renforçant sensiblement de plus l’acceptation de la réforme;
– les tiers collecteurs (entreprises ou autres) ne sont jamais rémunérés, mais ils bénéficient souvent d’avantages accessoires de trésorerie ou autres, qui facilitent leur adhésion à la collecte qui leur est confiée;
– la dépense publique et les effectifs de fonctionnaires concernés ailleurs sont sans commune mesure avec les chiffres français, comme le démontre à loisir le tout récent article de notre propre site qui, au vu des exemples anglais, américains et allemands, conclut pour Bercy à des sureffectifs de l’ordre de 50 à 70 milliers de fonctionnaires.
Certes si on voulait vraiment faire repasser les bÅ“ufs devant la charrue, la logique commanderait de procéder préalablement à un certain nombre de simplifications (notamment pour le quotient familial qui raisonne par foyer , notion très difficile à intégrer et à suivre dans un taux moyen d’imposition) et d’élagages qui faciliteraient grandement la réforme, mais depuis Montaigne on sait que l’esprit français préfère progresser par « sauts et gambades » (et même comme avec Ecomouv, par culbutes), la ligne brisée, les retours et les contradictions ou omissions n’effrayant jamais notre législateur qui en a vu et commis bien d’autres.
III– LES ENJEUX ET LES CHIFFRES
En France et pour l’année 2014, l’impôt sur le revenu a rapporté 75,4 milliards d’euros à l’Etat. On compte un peu moins de 37 (36,9 exactement) millions de foyers fiscaux déclarants, dont seulement 17,5 ( soit 47,4%!) acquitteront effectivement l’impôt. Sur ces 17,5 millions, 73% sont déjà mensualisés, 11% ont accepté le prélèvement automatique de leurs deux tiers provisionnels et de leur solde, 3% enfin règlent leur impôt en ligne. Il reste donc 13% de contribuables demeurés encore rétifs à toute dématérialisation de leurs règlements.
Du côté de l’Administration fiscale, il y aurait au total un peu moins de 36 milliers d’agents à la Direction générale des Finances Publiques (par abréviation pour la suite « DGFIP »), qui seraient affectés globalement à la fiscalité personnelle, laquelle chapeaute non seulement l’impôt sur le revenu, mais aussi les principales taxes directes locales (taxe d’habitation et taxes foncières notamment). L’ensemble de ces agents représenterait un coût global de l’ordre de 1,7 milliard d’euros, soit 2,25% (= 1,7/75,4) du produit de l’impôt. Mais pour l’économie attendue de la généralisation de la RAS, les avis divergent du tout au tout: moins de 200 équivalents temps plein pour le Conseil des Prélèvements Obligatoires (C.P.O. par abréviation), ce qui paraît vraiment très peu. Contre quelque 10 000 emplois pour Terra Nova, ce qui paraît quand même beaucoup et correspond à l’objectif affiché de vendre à tout prix cette réforme à l’opinion en soutenant que la RAS va révolutionner d’un coup toute l’Administration fiscale en la faisant passer de l’ère du guichet à celle de l’impôt en ligne (qui, ne serait-ce qu’avec la déclaration de revenus en ligne, existe déjà très largement!). Bien sûr, à l’échelon intermédiaire, d’autres chiffres circulent encore. Autant dire qu’on navigue en plein brouillard et qu’on regrette amèrement tout à la fois la confusion qu’entretient volontiers la DGFIP en mêlant fort curieusement l’IR avec les taxes directes locales et son silence fort gênant quant à une saine évaluation des coûts en cause.
Pour le calendrier de la généralisation de la RAS, on connaît les préventions traditionnelles de l’Administration qui jugeait pour sa part la réforme quasiment impossible ou sinon de peu d’intérêt par rapport à l’extension de la mensualisation déjà en place. Le délai avancé pour une telle réforme était d’au moins 5 ans et encore sans perdre de temps. Terra Nova se contente de 4 ans, mais le Gouvernement fait mieux encore puisqu’il envisage de tout régler en nettement moins de 3 ans: décision et lancement dès juin 2015, mise en application en janvier 2018. On notera qu’il est curieux qu’une telle réforme soit programmée pour démarrer effectivement 8 mois au-delà du terme du mandat de son promoteur, alors que l’unité du maître d’Å“uvre est un facteur important de respect du délai, surtout lorsqu’il est si bref.
Pour Terra Nova, la sphère publique ou assimilée (via les Urssaf et la DGFIP) doit s’approprier l’essentiel de la RAS, ce qui réduirait à due concurrence l’effort du secteur privé. Mais on voit mal comment, la source première étant le plus souvent soit l’employeur privé, soit la caisse de retraite ou un autre organisme privé, le problème du transfert de coût de la RAS pourrait ne pas se poser ou être réduit d’un coup de baguette magique à la portion congrue. Car même dans l’option où c’est en définitive l’Administration fiscale qui recouvrerait directement auprès de la ou des banque(s) du contribuable la RAS à partir d’une notification reçue de l’ACOSS, cette notification reposerait immanquablement sur des données nominatives fournies en amont par les entreprises.
De toute manière, les Urssaf ou l’ACOSS ne peuvent pas tout collecter ou tout notifier. Par ailleurs l’échec flagrant et qui perdure du Régime Social des Indépendants (le fameux RSI!) doit susciter un minimum de prudence sur les dérapages et les blocages toujours possibles d’une informatique publique qui n’affiche pas partout que des succès (voir l’échec récent, coûteux et pitoyable du projet d’un logiciel de paye universel pour l’Etat et les désordres récurrents de Louvois, qui a semé la pagaye pendant plusieurs années dans la paye des militaires). Or si l’on envisage – ce qui semble être quand même l’hypothèse la plus probable – de recourir à des collecteurs privés (entreprises employeurs notamment), ces derniers ne sont nullement préparés à ce rôle (la collecte de la tva ne pose pas du tout les mêmes problèmes de personnalisation de l’impôt) et ils craignent à juste titre d’avoir à réaliser pour le Roi de Prusse une tâche pour laquelle les agents publics qui ne la feraient plus continueraient à être payés. Inversement, on a vu que dans les autres pays ayant institué la RAS, il n’est pas d’usage de rémunérer les collecteurs. A ceci près que la pression fiscale dans ces pays – le Danemark excepté – est très loin de celle prévalant en France et qu’on ne peut prétendre renforcer la compétitivité des entreprises, se faire le chantre du choc de simplification en chargeant la barque des entreprises de nouvelles charges et de nouvelles contraintes. Le C.P.O. lui-même a d’ailleurs été sensible à cet argument puisqu’il considère qu’il faudrait prévoir un coût allant de 1,3 à 3,5% de l’impôt collecté pour assurer d’abord la mise en place de la réforme et ensuite son fonctionnement régulier.
Pour ce qui est des résultats et de l’efficacité de la collecte, aucun gain sérieux n’est sans doute à attendre de la réforme. En effet, la France affiche un taux de recouvrement record de 99%, qui la situe parmi les pays les plus efficients, uniquement dépassée et de peu par le Danemark, avec 99,7%, et la Nouvelle-Zélande qui affiche 99,5%.
Les tenants de la RAS invoquent enfin un dernier argument: le fait pour un contribuable de ne plus avoir à conserver une épargne de précaution pour faire face à ses futures échéances fiscales, lui permettrait de libérer cette épargne et donc de majorer sa consommation ou de faciliter ses investissements. Là encore, même si l’approche ne manque pas de logique, le chiffrage relève de la conjecture. Le C.P.O. chiffre cette épargne fiscale de précaution en flux à 0,2% du revenu et en stock à 2% du patrimoine des Français ( tandis que Terra Nova la propulse sans hésitation à 10% du revenu!) et il n’est pas inutile dans ces conditions de rappeler que le taux d’épargne des Français – particulièrement élevé d’ailleurs – est généralement estimé à 16% de leur revenu net). Pour prendre un peu de recul, on peut admettre que sur les toutes premières années, la RAS – à condition qu’elle fonctionne correctement et n’entraîne pas d’ajustements importants (aussi bien d’ailleurs en restitution qu’en complément à verser) – puisse quelque peu doper les dépenses des ménages, mais cela ne sera valable que le temps du changement et les choses reprendront ensuite inévitablement leur cours puisque la RAS, fiscalement parfaitement neutre, n’entraine sur le long terme pour le contribuable aucun supplément, ni aucune économie d’impôt.
IV – L’ETENDUE DE LA RAS
On peut la concevoir de deux manières: universelle ou partielle. Universelle, elle a vocation à couvrir tous les revenus imposables du contribuable, quelle qu’en soit la nature: pensions et salaires, revenus indépendants, revenus du patrimoine, avec l’incidence éventuelle des niches fiscales et autres exceptions à prendre en compte. L’énumération qui précède suffit à situer la difficulté du propos. Si le caractère récurrent et relativement stable des salaires et pensions de retraite ne pose guère de problèmes, les revenus du patrimoine peuvent accuser des variations d’importance et même une certaine précarité, ce qui complique leur suivi. Enfin les revenus des indépendants – travailleurs non salariés en langage administratif – sont par essence parfaitement volatils, quasiment imprévisibles.
Donc il faut se résoudre à l’évidence: à moins qu’on veuille la généraliser à tout prix, la RAS française a de fortes chances d’être partielle, tout simplement parce qu’il est techniquement difficile d’adosser un impôt recouvré par voie de rôle à une contribution prélevée d’office. Le problème se pose bien entendu pour les revenus qu’on pourrait qualifier de « réfractaires » qui se glissent malaisément dans le moule du taux moyen d’imposition: c’est à dire tous ceux qui ne sont pas versés par un payeur institutionnel. Citons les pensions alimentaires si aléatoires, les revenus du patrimoine pour les loyers notamment et surtout les revenus des indépendants, rendus encore plus difficilement saisissables par la multiplication des auto-entrepreneurs à l’activité des plus irrégulière et enfin on se gardera d’oublier l’incidence des niches, réductions ou crédits d’impôts qui rendent souvent le calcul de l’impôt aussi complexe qu’incertain à la fois dans sa durée et sa « reconductibilité ».
Donc soit on force la nature des choses en intégrant sous la contrainte tous les revenus avec en contrepartie des régularisations de fin d’année qui risquent d’être plus importantes dans un sens ou dans l’autre que les prélèvements opérés. Soit plus raisonnablement, on isole les revenus et les niches réfractaires en leur réservant un traitement spécifique (lissage pluriannuel, imposition séparée etc.) ou en les excluant de la RAS en maintenant les rôles en vigueur. De toute manière, c’est incontestablement l’un des challenges les plus difficiles de cette réforme, sans compter qu’une procédure distincte de recouvrement différent ne saurait rompre en rien le principe d’assiette et de calcul qui doit absolument préserver au montant final l’égalité de tous les contribuables devant l’impôt et notamment en cas d’année blanche leur égal accès à l’exonération résultante
V – L’IDENTITE DES TIERS COLLECTEURS
Le problème vient tout juste d’être évoqué dans les lignes qui précèdent: la RAS suppose un collecteur (nous préférons ce terme
précis à celui plus ambigu de « payeur ») stable , enregistré, fiable, solvable, organisé et …honnête. Et si pour les salaires, revenus de remplacement et pensions de retraites, on n’a guère de mal à réunir ces conditions pour la plupart des entreprises ordinaires ayant pignon sur rue, le problème se complique dés qu’on aborde les auto-entrepreneurs d’existence souvent fugitive ou d’installation parfois itinérante, les locataires qui eux-mêmes ne règlent pas toujours régulièrement leurs loyers et déménagent parfois à la cloche de bois et bien entendu les quelque 2,8 millions d’indépendants (auto-entrepreneurs compris) , dont le revenu est exposé d’une année sur l’autre à tous les vents et à tous les risques, aucune année ne reproduisant pratiquement la précédente. Donc l’identification et la sélection des collecteurs, le montage des circuits de collecte pour les revenus autres que les salaires, les pensions de retraite ou les revenus du patrimoine financier logé dans une banque, vont sans doute figurer parmi les premières difficultés auxquelles les concepteurs de la réforme devront s’affronter. Très axée sur une approche publique, Terra Nova insiste sur l’avantage d’une interconnexion étroite entre les fichiers de l’ACOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale dont notamment les URSSAF) et ceux de l’Administration fiscale pour faciliter l’estimation et le contrôle de la RAS à partir des données reçues de l’ACOSS et censées couvrir 95% des revenus imposables (en réalité pour l’essentiel les revenus d’activité salariaux ou indépendants , les revenus de remplacement, les pensions de retraites et les revenus du patrimoine financier déjà soumis à prélèvement). Mais cette interconnexion ne sera pas suffisante.
Enfin, il reste une alternative évoquée par le C.P.O: utiliser le circuit bancaire qui a déjà l’habitude d’opérer les prélèvements sur la plupart des revenus financiers. Le problème est que beaucoup de Français (28%) ont plusieurs comptes dans plusieurs banques sur lesquelles ils répartissent librement leurs revenus. Or on ne voit guère le fisc s’épandre dans ses notifications entre quatre ou cinq comptes bancaires ouverts dans plusieurs établissements et dans plusieurs banques. D’autre part, imposer le regroupement des fonds sur une seule banque « collectrice unique » pose de sérieux problèmes au regard de l’égalité de la concurrence entre les différentes enseignes bancaires. C’est sans doute pour toutes ces raisons que l’IFRAP, pépinière d’idées d’inspiration libérale, propose la création d’un GIE bancaire spécifique qui regrouperait auprès de tous ses adhérents l’ensemble des données nécessaires à la collecte de l’impôt qu’il effectuerait lui-même en en reversant ensuite le produit à l’Etat. Mais bien entendu, la création et le fonctionnement d’une telle structure parfaitement autonome des circuits traditionnels supposent des fonds qui seraient fournis par une redevance prélevée à raison d’un taux pouvant varier selon l’avancement de la réforme entre 0,5 et 1% % du produit de la collecte.
Quoi qu’il en soit la mise en place d’un circuit de collecte et l’identification du ou des opérateurs concernés ne sera pas une mince affaire, pour peu que la réforme montre une certaine ambition en ne se restreignant pas aux seuls salaires, revenus de remplacement, pensions de retraites et revenus financiers courants. Mais déjà se profile une autre question sans doute encore plus sensible pour une très forte majorité de contribuables, y compris ceux qui ne payent rien et qui ne tiennent pas du tout à ce que cela se sache: le secret de l’impôt.
VI – LE SECRET DE L’IMPOT
Ce secret n’est certes que relatif puisque tout contribuable peut se rendre au chef-lieu de son département pour demander à voir – sans pouvoir en exiger copie – l’avis d’imposition d’un autre contribuable résidant dans ce même département. Mais attention cependant cette consultation conserve un caractère strictement privé et les informations obtenues ne peuvent être publiées ou diffusées sous peine de lourdes sanctions. Il reste que le nombre de ces demandes relève de l’infinitésimal et que les Français demeurent dans leur immense majorité très attachés au secret de l’impôt sur le revenu.
Or dans le cas où les entreprises sont impliquées, (solution adoptée par la quasi-totalité des pays pratiquant la RAS) du fait que l’impôt français est établi par foyer, qu’il intègre un quotient familial, l’information fournie si elle n’est pas soigneusement dévitalisée risque de révéler aux yeux des tiers collecteurs des éléments personnels, touchant aussi bien à la situation propre du déclarant, qu’à celle de son conjoint ou aux enfants du foyer. Pire même, comment avec un taux zéro cacher à son employeur que le foyer ne paye pas d’impôt telle ou telle année? Par ailleurs tel ou tel coefficient, qui sur une année ne révèle pas grand chose, peut provoquer facilement la curiosité de l’employeur s’il vient à changer beaucoup d’une année sur l’autre. En fait, le C.P.O. admet, que pour 20% des contribuables l’information résultant du taux moyen d’imposition peut aboutir à des situations gênantes, provoquer des doutes, voire des comportements insidieux.
En outre, même la diffusion par l’Administration à des tiers du seul taux moyen d’imposition issu des chiffres de l’année précédente l’oblige à s’assurer du respect de la confidentialité des données tout au long de la chaîne des personnes informées, en les assujettissant à un secret professionnel auquel nombre d’entre elles n’étaient pas nécessairement soumises, ni préparées. D’autre part, chacun sait que lorsqu’on multiplie le nombre d’intervenants dans un processus, le risque d’indiscrétion se multiplie, cependant que la recherche de toute fuite se complique singulièrement à raison même de l’augmentation inévitable des suspects possibles.
En réalité, dans le cas où l’on recourt aux employeurs, le maintien du secret est sans doute le talon d’Achille de la généralisation de la RAS et ses partisans le savent bien qui préfèrent généralement n’évoquer le sujet que du bout des lèvres, quand ce n’est pas carrément botter en touche. Le tout est de savoir si les Français sont prêts en cas de recours aux entreprises à la levée d’une partie de ce secret et sinon, s’ils acceptent les garanties qu’on leur proposera pour arracher leur adhésion.
VII – LA GESTION DE L’ANNEE INTERCALAIRE
Techniquement, c’est le grand défi et on ne peut pas dire que ce qui a été publié jusqu’à présent ait vraiment éclairé le lecteur. Prenons pour exemple le calendrier proposé par le Gouvernement:
– 2015: maintien de l’ancien système du décalage d’un an avec imposition des revenus de 2014
– 2016: avant-dernière année d’application de l’ancien système avec imposition des revenus de 2015
– 2017: dernière année d’application de l’ancien système avec imposition des revenus de 2016
– 2018: première année d’application de la RAS qui porte sur les revenus de l’année 2018 en cours.
Cette chronologie montre que, sans précaution particulière et du fait du changement de pied intervenu, une année complète de revenus échappe à l’impôt: l’année 2017 que nous désignerons sous le terme d’année intercalaire. C’est autour d’elle que se situe le débat le plus pointu.
En réalité, le problème est pourtant un peu moins compliqué qu’il n’y paraît. En effet, il existe en tout et pour tout trois types de solutions alternatives:
– 1 – les revenus de l’année 2017 intercalaire échappent définitivement à toute imposition. On parle alors d’année blanche et elle ne peut être raisonnablement – et probablement constitutionnellement – envisagée que si tous les contribuables en bénéficient simultanément. La solution a le mérite de la simplicité et elle facilite sans conteste l’adhésion des contribuables – du moins de ceux qui acquittent effectivement l’impôt – à la réforme, car il faut hélas compter sur tous les autres pour protester bruyamment contre l’insupportable cadeau fait une fois de plus aux « riches ».
– 2 – Au contraire, dans la solution de l’année « noire », les revenus de l’année 2017 demeurent imposés, ce qui veut dire qu’en 2018 les contribuables auraient à acquitter double charge fiscale – par différé sur les revenus de 2017 et par anticipation sur les revenus de 2018. Or compte tenu du taux actuel de pression fiscale, cette hypothèse semble fort peu probable, sauf à provoquer des réactions virulentes que nul pouvoir n’est sûr de maitriser. Quant à atténuer l’impact immédiat de la double imposition en l’étalant sur plusieurs années, ce compromis risque tout simplement d’entretenir longtemps un mécontentement endémique qui , comme la braise couvant sous la cendre, peut à tout moment dégénérer.
– 3 – La dernière solution s’attaque au grief principal porté contre l’année blanche: à savoir qu’elle risque d’inciter certains contribuables à charger la mule sur 2017 en y logeant force revenus exceptionnels et plus-values majeures pour bénéficier au maximum d’une sorte de brève parenthèse fiscale dans le temps. Inversement et malgré les apparences, elle évite soigneusement toute double imposition, ce qui la rend plus supportable. Plusieurs procédés sont envisageables du plus simple au plus compliqué:
a – retenir pour l’imposition définitive de 2018 la plus forte des deux années 2017 et 2018;
b – retenir pour la même imposition la moyenne arithmétique entre les deux années précitées;
c – concevoir à l’exemple de Terra Nova un lissage qui prenne en compte de manière dégressive l’année antérieure et de manière progressive l’année courante. Par exemple pour 2018, retenir 80% des revenus 2017 et 20% de ceux de 2018, puis pour 2019 retenir 60% des revenus de 2018 et 40% de ceux de 2019, avant de parvenir pour les deux années suivantes à un panachage 40/60 en 2020et 20/80 pour la dernière année de lissage 2021. Certes cette gymnastique satisfera sans aucun doute ceux pour qui la complication est un signe manifeste d’intelligence. Avouons pourtant que pour l’immense majorité des contribuables, elle aura le grave inconvénient de leur rendre quasiment incompréhensible l’évolution de leur impôt sur toute une législature.
Mais bien sûr, d’autres solutions sont encore envisageables, comme le dépôt d’une déclaration pro-forma au titre des revenus 2017, qui ne serait prise en compte en 2018 que pour son éventuel excédent par rapport à la déclaration définitive des revenus 2018. Rappelons quand même que lors de la généralisation de la RAS, la Nouvelle-Zélande comme le Danemark avaient fait avec l’année blanche, le choix de la simplicité et que les études faites par la suite n’avaient pas décelé une déperdition sensible de manière imposable. Mais il est vrai que ces pays font montre, dans le cadre de relations apaisées avec les services, d’un civisme fiscal, qu’il est vain d’attendre en France de contribuables que l’Administration suspecte trop souvent encore – pour peu qu’ils ne soient pas successivement rapporteur de la Commission des Finances et Ministre du Budget – de vouloir dissimuler tout ou partie de leurs revenus.
Il faut signaler enfin le casse-tête des innombrables niches, notamment crédits ou réductions d’impôts, qui encouragent un certain nombre de relations entre les contribuables et des tiers et qu’on ne saurait annuler d’un simple trait de plume durant l’année intercalaire, sauf à provoquer de graves désordres dans tous les secteurs bénéficiaires (secteur du bâtiment et associations caritatives notamment, mais pas seulement) de ces incitations. Et l’alternative qui consiste à préserver ces avantages non pas tant pour le profit des contribuables qui les mobilisent que pour la survie économique des tiers qui en dépendent, pourrait s’avérer fort couteuse pour le Trésor, quand le CPO fournit une fourchette d’estimation allant de 5 à 10 milliards d’euros! Même s’il arrive que ces incitations génèrent des recettes imposables pour les tiers précités, cette simple évaluation suffit à faire douter que la généralisation de la RAS puisse au final présenter en terme de coût un solde positif pour les finances publiques.
VIII – L’AJUSTEMENT TERMINAL
Quelles que soient la minutie et la précision de son calcul, le taux moyen d’imposition servant à calculer la RAS demeure provisoire et appelle toujours pour calculer et solder définitivement l’impôt dû une déclaration finale récapitulative de l’ensemble des revenus, notamment avec l’entrée en jeu des quelque 180 niches fiscales qui font de notre législation un véritable kaléidoscope fiscal.
Deux situations (la troisième fort improbable correspondrait au cas où l’impôt définitivement dû égale exactement le total des RAS pratiquées au cours de l’année):
– en cas d’insuffisance, le total de l’impôt dû excède les RAS pratiquées en amont et l’Administration émet classiquement un avis d’imposition complémentaire.
– à l’inverse en cas d’excédent ( on rappelle que dans certains pays comme aux Etats-Unis, près de 80% des contribuables se trouvent dans ce cas et qu’une estimation un peu trop généreuse du taux moyen d’imposition par l’Administration soucieuse d’assurer ses rentrées suffirait à généraliser cette hypothèse en France) se poserait immédiatement le problème de la restitution presque immédiate du trop perçu, qui doit emprunter une voie quasi-automatique et sans démarche du contribuable, à cent lieux des traditionnelles procédures de réclamations actuelles.
IX – LE TRANSFERT DES COÛTS DE COLLECTE
N’oublions pas que la généralisation de la RAS s’inscrit dans le cadre d’une politique de facilité choisie par l’Etat pour éviter de réduire son train de vie et qui consiste pour une part à transférer sur d’autres les charges de ses propres missions, y compris régaliennes, et pour le reste à réduire drastiquement les concours qu’il accordait jusqu’à présent aux autres collectivités. Avec la généralisation de la RAS, on se trouve bien sûr dans le premier cas, puisqu’il s’agit de rien moins que de transférer sur des tiers l’essentiel de la charge de recouvrement de l’impôt sur le revenu. Or bien entendu pour l’Etat lui-même, cette collecte a un coût, même si les estimations divergent gravement d’une source à l’autre, selon qu’elles sont hostiles ou favorables à la réforme. L’Administration tout comme le C.P.O. ont tendance, on l’a vu, à estimer à peu de choses les économies induites, tout au plus 200 équivalents temps plein, soit 12 millions d’euros, pour tout dire une misère. Mais ces estimations font valoir que la RAS ne décharge pas les services de leurs obligations d’assiette et de contrôle et y ajoutent la fixation et le contrôle individuels par contribuable du taux moyen d’imposition. En face, au contraire les partisans de la réforme poussent les feux jusqu’à chiffrer à 10 milliers d’agents (soit sur les bases précédentes, 600 millions d’euros!) les économies attendues, ce qui paraît quand même beaucoup par rapport à l’ensemble des missions de tous ordres dévolues à la puissante Direction Générale des Finances Publiques (110 000 agents au total en 2015) . Bref, il flotte sur la question comme une délicieuse incertitude (mais les statistiques officielles fusionnent dans les effectifs de la fiscalité personnelle l’impôt sur le revenu avec les impositions locales directes!) en sachant qu’on se retrouve pour fixer le coût global d’assiette, de contrôle et de recouvrement de l’IR à environ 1,7 milliard d’euros.
Naturellement, si elle permet à l’Etat de réaliser des économies dont le montant exact reste encore à déterminer, la généralisation de la RAS entraîne concurremment un coût pour les nouveaux collecteurs, coût que les partisans les plus convaincus de la réforme ont une fâcheuse tendance à occulter pour certains, à minimiser pour d’autres. Tâchons d’y voir un peu plus clair: 1,7 milliard d’euros de coût global ( assiette + collecte + contentieux etc) pour un impôt qui rapporte en 2014 75,4 milliards d’euros, cela fait un coût global (et donc pas seulement de collecte) de 2,25% pour une administration parfaitement rôdée et qui assure la mission depuis des lustres. Or, si l’on implique les entreprises, il est probable au moins durant les premières années de la réforme que le transfert d’une bonne partie de la phase de recouvrement sur les tiers collecteurs entraînera pour ces derniers, qui sont novices sur ce terrain, des coûts de documentation, d’apprentissage, de formation, d’expérimentation, d’adaptation informatique et de mise en place très supérieurs. Passe encore pour des URSSAF ou pour une ACOSS habituées depuis longtemps à de telles collectes, sans doute un peu moins pour des banques même si elles s’acquittent déjà des prélèvements sur les revenus financiers, mais certainement pas pour des entreprises dont la mission n’est nullement d’assurer la collecte au profit de l’Etat d’impositions purement personnelles et qui devront probablement souscrire de plus et acquitter les assurances correspondant à leur nouveau statut de comptables de deniers publics. Certes les tenants de la réforme objecteront que partout ailleurs les entreprises collectrices ne sont jamais rétribuées pour cette mission. Oui, mais partout ailleurs ou presque, la compétitivité des entreprises n’a jamais sur d’aussi longues périodes été aussi dangereusement mise à mal par une fiscalité et des charges de tous ordres insensées. Oui mais partout ailleurs ou presque (ce presque concerne le Danemark), la dépense publique n’est pas aussi prégnante, partout ailleurs enfin, on ne compte dans aucun pays une fonction publique aussi nombreuse et aussi coûteuse qu’en France. Il s’agit là d’une sorte d »exception fiscalo-culturelle » qui interdit assurément de raisonner en France comme dans le reste du monde.
Donc si l’on décide d’indemniser les collecteurs de la RAS, c’est selon le CPO c’est un coût de 1,3 à 3,5% sur le montant de la collecte qu’il faudrait prévoir , le taux de 3,5% valant sans doute pour les toutes premières années de préparation et de mise en place de la réforme, mais étant appelé au fil de la pratique et de l’expérience acquises à rejoindre ou à se rapprocher du seuil plancher de 1,3%. D’autres estimations sont nettement plus pingres, puisqu’elles ne consentent à rétrocéder aux collecteurs que 0, 5 à 1,0% de l’impôt, ce qui ne fait vraiment pas beaucoup au moins pour les toutes premières années. Voilà de toute manière et au-delà du désaccord des chiffres, qui relativise et même annihile financièrement le gain supposé de la réforme au niveau des moyens mis en Å“uvre et le CPO a beau jeu de souligner qu’une généralisation de la mensualisation qui procurerait à l’Etat des avantages très voisins se solderait, elle, par une économie nette certes faible, mais incontestablement positive, de quelques millions d’euros et ce sans bouleversement notoire. Alors bien sûr et en allant dans le sens de ceux pour qui les entreprises et les patrons gagnent toujours trop d’argent, on peut parfaitement décider que la généralisation de la RAS s’effectuera sans aucune compensation pour les entreprises collectrices. On ajoutera alors une nouvelle charge significative à ces entreprises qui croulent déjà sous le poids des impôts, des cotisations, des déclarations, des normes et des règles de toutes sortes, leur compétitivité en sera encore affectée, tout comme leur confiance dans l’avenir, avec les conséquences qu’on peut sans peine imaginer sur l’investissement d’abord et l’emploi ensuite. Enfin dernière question volontairement provocante: les fonctionnaires de l’Etat accepteraient-ils de se voir imposer sans aucune augmentation de salaire de nouvelles missions auparavant assumées par les entreprises et dont, sans plus les accomplir, elles conserveraient intégralement la rémunération? Une chose est sûre en tout cas, si l’Etat choisit de faire des employeurs les collecteurs gratuits de la RAS, on vérifiera une fois de plus comme la promesse d’un choc de simplification est fallacieuse et relève d’une opération de pure communication, voire pire encore de propagande mensongère.
X – L’EFFICACITE DE LA COLLECTE
On a déjà donné plus haut les chiffres actuels qui sont excellents, puisque le taux de recouvrement est de 99%. Il est clair que dans ces conditions, il n’y a probablement guère de mieux à attendre de la généralisation de la RAS. Au contraire et ses partisans sont remarquablement discrets sur ce point, la généralisation de la RAS introduit de nouveaux risques, qu’on connaît bien à partir de l’expérience de la tva: erreurs, négligences ou fraudes déclaratives, insolvabilité ou volatilité du collecteur, différés simples ou prolongés, rétentions diverses ou détournements, cessations de payements suivies de liquidation immédiate. Bref les accidents de parcours ne manquent pas, ce qui ne veut nullement dire que le recouvrement classique est un long fleuve tranquille, mais que l’inclusion d’un ou plusieurs tiers additionnels dans le circuit de recouvrement accroît inévitablement et statistiquement les risques d’impayés.
XI – LES AVANTAGES DE LA RAS
Enfin si tout au long des pages qui précèdent, on a bien senti chez l’auteur la triple réticence du fiscaliste, du praticien et du libéral, force est de reconnaître que la RAS présente quand même, en face des inconvénients et problèmes qu’on vient de voir, quelques avantages significatifs.
D’abord pour le contribuable, le premier d’entre eux est incontestablement la suppression du décalage d’un an entre l’année de perception des revenus et celle de leur imposition, qui perturbe toujours la compréhension de l’impôt par celui qui le paye. Le second, qui capte le plus l’attention d’un public généralement assez mal informé, c’est l’espoir d’une simplification substantielle de la démarche fiscale individuelle, mais là disons-le tout net: les attentes risquent d’être assez largement déçues à la fois par la nécessité d’une déclaration finale en tout point comparable à celle qui prévaut actuellement et la probabilité du versement ou de la récupération d’un ajustement pour solde, le taux moyen d’imposition ne pouvant évidemment prétendre à une anticipation absolue de l’impôt définitif. Enfin au plan de la relance de la consommation, si on peut espérer quelque avancée sur les toutes premières années de la réforme (et on a vu que les avis des spécialistes divergent fortement sur l’ampleur de ce bénéfice), par contre une fois pris le nouveau pli, les choses rentreront inévitablement dans l’ordre puisque normalement la RAS doit demeurer fiscalement neutre en laissant inchangé le montant de l’impôt finalement acquitté.
Ensuite pour l’Etat, qui peut espérer une amélioration de sa trésorerie à raison de l’anticipation des rentrées fiscales, encore qu’on l’ait vu, la mensualisation a déjà fortement accéléré le cycle du recouvrement par rapport à la procédure classique des tiers provisionnels et du solde sur émission de rôle. La RAS permet aussi d’obtenir une bien meilleure réactivité législative et réglementaire, puisque les réformes peuvent entrer immédiatement en vigueur. Par ailleurs, l’introduction en 2004 du prélèvement à la source dans le circuit des actes de mutation dégageant une plus-value foncière a montré les vertus pédagogiques de cette méthode qui a accru sensiblement les recettes correspondantes. Enfin, il n’est nullement impossible – mais non plus, nullement assuré – que le bouleversement annoncé entraîne la réforme profonde et bénéfique d’une Administration qui, malgré ses efforts, demeure encore largement pléthorique et qui le sait.
XII – LES SOURCES
Pour les lecteurs, qui souhaiteraient encore après cet article regarder le dessous des cartes, il faut signaler parmi les sources:
A – Le rapport très réservé et très documenté du C.P.O. de février 2012, qui manifestement demeure fort sceptique sur
les bienfaits de la RAS, qu’il voit inutilement compliquer notre fiscalité qui n’en a pas besoin et cette position est d’ailleurs assez largement partagée par l’IFRAP qui pose par ailleurs beaucoup de conditions à la réforme;
B – Le point de vue irénique de la pépinière d’idées Terra Nova, proche du pouvoir, qui flaire dans la RAS la voie d’accès à la progressivité de la CSG qu’elle appelle de tous ses vÅ“ux (clientélisme électoral parfaitement en phase avec la trouvaille « géniale » de l’impôt à 75% en 2012!), en omettant assez souvent de signaler ou en minimisant une bonne part des obstacles techniques auxquels se heurte la généralisation de la RAS;
C – Les autres chroniques éparses mais nullement dépourvues d’intérêt, qui balancent selon leur orientation libérale ou collectiviste, selon aussi leur degré de culture fiscale et économique entre l’hymne à la simplification et la mise en garde à la fois contre les risques multiples de dispositifs défiant l’entendement et conçus en forme de redoutables « usines à gaz » et les chausse-trappes d’une politique fiscale sinueuse qui n’ose pas se découvrir, ni annoncer honnêtement ses objectifs.
CONCLUSION
Au terme de cette étude, il est clair que la balance avantages/inconvénients ou coûts/avantages de la RAS universelle est nettement défavorable par rapport à la généralisation de la mensualisation préexistante et dont les mérites, la qualité et l’efficacité sont reconnus et qui procurerait déjà selon le C.P.O. une économie de moitié de celle attendue de la généralisation de la RAS. Par ailleurs, on ne peut que s’étonner qu’une telle réforme soit lancée avant que soit publiée officiellement la moindre étude d’impact, alors que les chiffres fondamentaux des coûts et des économies liés conservent un tel degré d’approximation ou d’imprécision qu’à l’heure actuelle, nul n’est capable de dire si la réforme présentera en termes de coûts un avantage quelconque pour les finances publiques ou si, au contraire, elle participera à l’aggravation du déficit. Avec donc une assise économique qui est loin d’être acquise, ne correspondant au surplus en rien à une nécessité fiscale ou technique, la RAS ne se justifie en réalité qu’en fournissant opportunément le cheval de Troie de la future progressivité de la CSG, dernière trouvaille du pouvoir pour donner l’illusion d’une réforme d’envergure, tout en surtaxant encore une classe moyenne qui n’en peut mais. En effet, les classes les plus modestes sont de plus en plus largement exonérées (et sous la bannière de la solidarité, la progressivité de la CSG n’aurait assurément d’autre but que d’alléger encore leur fardeau!) cependant que les classes les plus aisées conservent le choix entre l’exil, l’optimisation et parfois la fraude que l’Administration combat finalement assez mollement (du moins à l’égard des plus puissants, comme l’a suffisamment montré l’image désastreuse de l’affaire Cahuzac qui a bénéficié pendant plus d’une dizaine d’années d’une fort curieuse immunité de fait, associée à une incroyable indolence administrative et par ailleurs, les poursuites pénales demeurent relativement exceptionnelles). D’autre part, beaucoup de fiscalistes et non des moindres attirent l’attention sur le caractère souvent opaque (quant au détail du calcul, vérifiable uniquement lors de la déclaration finale) et anesthésiant (notamment quand le prélèvement est réparti entre plusieurs sources) de la RAS, qui fait qu’au bout d’un certain temps le contribuable n’a plus une claire conscience de l’importance des prélèvements qu’on lui applique, surtout si – comme il l’a déjà fait – le législateur les augmente insensiblement, furtivement et sournoisement. Or on a déploré suffisamment que de larges exonérations ont déjà éloigné trop de citoyens de la réalité fiscale, pour entreprendre de déresponsabiliser encore ceux qui – de moins en moins nombreux – continuent à acquitter l’impôt.
Enfin, le pouvoir ferait tout de même bien de se méfier au plan européen d’un récent arrêt « de Ruyter » (26 février 2015) de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui pourrait susciter de fortes démangeaisons contentieuses chez certains opposants d’une fusion contre nature. La Cour indique clairement que, malgré son caractère purement fiscal dans la loi française, la CSG participe en réalité des cotisations sociales au regard du droit européen, tout simplement parce qu’elle contribue de manière directe au financement de la Sécurité Sociale. L’Administration ne peut donc normalement prétendre appliquer la CSG aux revenus du patrimoine d’un ressortissant européen étranger résidant en France et acquittant dans son pays les cotisations nécessaires à sa couverture sociale. Outre le manque à gagner qu’elle creuse dans la ressource, cette ligne sinueuse de démarcation pourrait bien réserver d’autres surprises contentieuses ou constitutionnelles lors de la fusion envisagée de l’IR et de la CSG. Rappelons enfin pour conclure que le but originel de la CSG était dans l’esprit de Michel Rocard, son fondateur, de frapper d’un taux faible, mais rigoureusement proportionnel toutes les catégories de revenus quelles qu’elles soient, sans le moindre égard à leur importance ou à celle des patrimoines de leurs titulaires. La CSG ayant ainsi une vocation universelle et strictement égalitaire, il n’était donc nullement question pour son créateur qu’elle vienne un jour doublonner et accentuer la progressivité de l’IR et encore moins s’accoupler dans une union contre nature avec ce dernier, que n’acquitte même plus la moitié des Français. Par ailleurs, il est incontestable que si elle devait se conformer au choc de simplification promis, la généralisation de la retenue à la source s’accorderait bien mieux de l’élargissement de la base de l’impôt sur le revenu, de l’élagage préalable de nombre de ses spécificités et de son retour à un ou deux taux proportionnels que d’ une laborieuse mise en progressivité de la CSG.
Mais Michel Rocard le sait bien: en politique encore plus qu’ailleurs, il faut sans cesse se méfier de ses amis. Quant aux électeurs, cela fait des années qu’ils ont appris d’expérience que si un socialisme peut toujours en cacher un autre, en matière d’impôts la rose conserve toujours beaucoup d’épines.
© Th BENNE – Juin 2015
4 commentaires
La dictature !
Nous nous enfonçons jour après jour dans une dictature socialo-bolchévique !
Ce prélèvement à la source a été imaginé pour prélever davantage d'impôts aux Français sous le faux prétexte de moderniser le paiement de l'impôt !
Nous sommes gouvernés par des escrocs mais les Français ne comprennent rien.
La France détient déjà le record des prélèvements obligatoires et nos compatriotes s'étonnent du chômage et des difficultés à s'en sortir…?????
Continuons jusqu'à la ruine du peuple de France !
Les Français vont encore accepter de payer des milliards pour la Grèce grâce à l'aveuglement du crétinisme de Hollande, de nos députés et des membres de la commission européenne.. non élue.
Les Français ont dit "non" au référendum de 2005 sur l'europe et il n'a été tenu aucun compte de leur vote.
Dans une entreprise privée cette infamie relève du pénal.
A quand la comparution de nos dirigeants depuis 2005 devant la cour pénale internationale ?
Lamentable!
Ce n'est pas devant la cour pénale internationale que doivent comparaître nos dirigeants, c'est devant le bourreau. Il faudrait pouvoir remettre la guillotine en service pour ces malfaisants. Pauvre peuple Grec, qui va devoir encore plus se serrer la ceinture pour rien. Et pauvres contribuables Français qui vont devoir encore verser au tonneau des Danaïdes.
Quant à la retenue à la source, elle serait efficace si nous étions sous le régime de l'impôt à taux unique (flat tax). Avec notre système fiscal, c'est une entourloupe et rien d'autre.
Retenue à la source, pourquoi pas?
J'ai été détaché deux ans à Rome par mon employeur, une multinationale.
Fiscalement, une première galère a été de provisionner mes impôts de l'année précédent mon départ. (je devais commencer à Rome le 3 janvier 198x). Ensuite, j'ai figuré sur le rôle du fisc italien pour l'année 198x, et mon impôt a été retenu à la source. J'ai beaucoup apprécié de lire un montant net au bas de mon bulletin de salaire. Pas eu l'impression d'être investigué ou d'avoir été accablé de questions intimes: la structure de l'impôt italien est très simple, sans niches ni conditions.
La deuxième galère, ça a été quand je suis rentré en 198x+2, où il m'a été fortement recommandé de provisionner mes impôts de 198×3. Le bouquet, ça a été en 198×3, quand le fisc français s'est intéressé aux revenus perçus en France pendant mon absence,(dividendes) qui n'étaient pas déclarables en Italie. Heureusement que mon employeur disposait d'un solide service juridique et fiscal, sinon j'aurais du payer des pénalités de retard. Et encore, j'ai eu la chance d'être absent deux années entières de calendrier, sinon j'étais bon pour de subtiles péréquations pro temporis. J'ai discuté avec des collègues étrangers détachés ça et là en Europe: fiscalement, ce genre d'affectation n'entraînait pas de perturbation dans leurs budgets, sinon parce que les taux d'imposition étaient différents d'un pays à l'autre. Ils étaient presque tous l'objet de prélèvements à la source.
"Cachez ce coin que je ne saurais voir"
Document remarquable.
1) J'ajoute d'abord un complément issu de l'expérience: pour les indépendants, et les libéraux en particulier, la "bascule" intervenue en 2004 de l'assiette des cotisations de retraite et de prévoyance dues au titre de l'année N en cours, passant du revenu fiscal – connu et définitif – de l'année N-2 vers celui – inconnu – de l'année N, a été et est toujours la source d'une illisibilité et donc d'une incompréhension des appels de cotisations. Car ceux-ci agrègent du provisionnel (année N) estimé sur la base de N-2 et des régularisations concernant les deux exercices précédents (N-1 et N-2). Chacun doit construire une feuille Excel pour simplement comprendre la formation des sommes réclamées. Sans compter l'effet de "carène liquide" amplifiant les variations économiques de revenus, car les régularisations sur N-1 ou N-2 acquittées en N viennent modifier l'assiette définitive future de N (car les cotisations réelles et définitives qui seront finalement imputées sur N ne sont pas provisionnables a priori dans le revenu de N !) Cette inadaptation fondamentale aux revenus indépendants est une des causes de "l'accident industriel" du RSI.
2) Or l'avenir du travail à l’ère de la mondialisation numérique est largement indépendant. Et ce travail indépendant se développe rapidement en France comme dans le reste du monde. La généralisation du salariat stable et sous grands statuts est une solution du XXème siècle.
3) Pour les travailleurs indépendants la notion de "retenue à la source" n'a tout simplement pas de sens. Ils doivent ressortir l'argent de leur poche. Ils savent, mieux que les salariés, ce que coûtent les prélèvements obligatoires.
4) Comme suggéré dans l'étude, le véritable objectif n'est-il pas de dissimuler un peu plus le "coin fiscal et social" en croissance continue qui vient amputer le "prix du travail" (salaire "superbrut" pour les salariés ou revenu économique des indépendants) de ce qui reste dans leur poche ?
5) A noter que déjà la DGFIP ne fournit plus, sur le site de déclaration des revenus comme sur les avis d'imposition papier adressés, le détail des calculs aboutissant au total d'IR réclamé. Il faut faire confiance. Or justement …! Cela est-il bien constitutionnel ?