Certains pourraient être étonnés que l’IREF dise du bien d’un auteur lié à la Fondation Jean Jaurès, think tank proche du Parti socialiste. C’est que Chloé Morin, ancienne conseillère des premiers ministres Ayrault et Valls, nous dévoile, dans son ouvrage, pour la dénoncer, la réelle puissance de la haute-administration dans l’application des politiques publiques. Elle passe tout en revue, du langage administratif et technocratique volontairement complexe, au manque de pluralisme des cabinets ministériels sous la coupe des énarques.
C’est un système irresponsable, hors des réalités, bloquant toute réforme et cultivant l’entre-soi, que Chloé Morin égratigne tout au long de son livre. Pour réformer cette haute-administration, elle en vient notamment à vanter les mérites du spoil system et d’une ouverture des postes de direction des administrations à des personnes venant du privé. Elle propose aussi d’instaurer un réel suivi de la performance des fonctionnaires et de conditionner leur carrière au sein de l’administration à cette performance. Elle va même jusqu’à promouvoir la notation des services publics par les usagers en vantant le modèle d’Uber ! Le statut du fonctionnaire inamovible ne serait plus sacro-saint à gauche ? On ne peut que s’en réjouir.
Dans un des chapitres, elle met le doigt sur les renoncements du président Macron. Lors de la campagne présidentielle, il se vantait de vouloir bousculer le système de la haute-administration. Mais dans les faits, Emmanuel Macron est le président qui s’entoure le plus d’énarques.
Certes la remise en cause de la haute-administration de l’auteur dérive vers une critique du « néolibéralisme » et du « virage libéral » macronien, et aboutit à la préconisation de renforcer l’État-Providence. Néanmoins, il est intéressant de constater qu’à gauche aussi l’administration commence à être perçue comme une problématique politique.
Il ne lui manque plus qu’à comprendre que l’État-Providence pose aussi problème, et la gauche française pourrait peut-être faire son « Bad Godesberg », et adopter la doctrine du Parti Social-Démocrate allemand : « Le marché autant que possible, l’Etat autant que nécessaire ».
« Les inamovibles de la République : Vous ne les verrez jamais, mais ils gouvernent », de Chloé Morin, Nouvelles éditions de l’Aube, 8 octobre 2020.