Claude Quétel est un ancien instituteur. Devenu professeur d’histoire, il finira par rejoindre le CNRS où il deviendra directeur de recherche en histoire moderne et contemporaine. Il sera aussi pendant 13 ans le directeur scientifique du Mémorial de Caen. Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont un bon nombre portent sur ses spécialités que sont l’histoire de la psychiatrie, la psychohistoire et la recherche iconographique. Avec « Il était une fois la France », Claude Quétel revient en quelque sorte à ses premières amours, puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, d’une Histoire de France, en quelque 600 pages, qui va des Gaulois à Jacques Chirac – les quinquennats de Sarkozy, Hollande et Macron sont cependant brièvement traités dans l’épilogue.
Claude Quétel avoue, dans l’introduction, qu’il a « vu l’Histoire de France (avec un H majuscule) disparaître en quelques décennies de notre culture ». Il pense avoir été l’un des derniers à avoir enseigné l’Histoire de France en s’appuyant sur de grands chromos accrochés au tableau noir. Au début des années 1960, dans son école rurale du Calvados, il entretenait « les derniers feux des Instructions officielles de la IIIe République (celles de 1923), lesquelles déclaraient le plus sérieusement du monde allier ‘le point de vue scientifique et le point de vue civique’ ». Mais « le vent de Mai 68 commença à souffler, en jetant tout cet édifice à bas. On dénonça le ‘roman national’ – que, par parenthèse, pratiquement tous les États cultivent encore. Le mot de patrie était devenu soudain suspect car synonyme de nationalisme et par suite de bellicisme. Les nouvelles valeurs avaient (et ont toujours) pour noms : l’égalitarisme, le mondialisme, la pluriculturalisme, l’indigénisme, le victimisme, le dolorisme… ».
On comprend donc que Quétel n’approuve pas le découpage de l’histoire en tranches qui ruine la chronologie, la compréhension du temps long, l’enchaînement des faits, qui occulte les dates, les successions dynastiques, les batailles. Bref, tout ce qui fait que « nos enfants n’apprennent plus l’histoire de leur pays (on n’ose écrire ‘de leur patrie’) » alors qu’ils devraient en être fiers.
Privilégier les faits
L’auteur a donc décidé de prendre le taureau par les cornes et de publier cette Histoire de France en privilégiant les faits. Le titre de l’ouvrage précise son intention : raconter l’histoire de la France comme si cette dernière était un ancêtre « dont on aurait quelque peu oublié, sinon méprisé, l’existence ».
Il est bien évidemment impossible de résumer en quelques lignes un tel livre, lui-même condensé de deux millénaires. Les seize chapitres, de longueur inégale – une quinzaine de pages pour les Francs ou la IVe République, une petite soixantaine pour le Grand Siècle ou le XIXe siècle – abordent les grandes périodes les unes après les autres en intégrant ce que l’on a coutume d’appeler « l’état de la question » puisque « des périodes de notre histoire sont aujourd’hui entièrement reconsidérées ».
Par exemple, nous apprenons que les Gaulois n’avaient pas de casque à ailes comme Astérix et qu’ils n’étaient peut-être ni grands ni blonds contrairement à ce que le portrait de Vercingétorix nous laisse croire. Nous découvrons que Martin n’a pas coupé son manteau (pièce de l’uniforme qui appartenait à l’armée) en deux, un soir de l’hiver 334 à Amiens, mais qu’il a plutôt donné à un miséreux la pelisse qui le doublait (et qu’il avait fait poser à ses frais). Mais, comme le dit Quétel, « La charité de Martin n’en est pas moins grande ». Nous comprenons que Charlemagne n’a pas inventé l’école, mais a veillé à ce que des écoles soient créées « dans les évêchés et les monastères pour y former des clercs sachant enfin lire et écrire correctement (chanter aussi) afin que ne soit plus altérée la lecture des textes sacrés ». Nous réalisons que la Révolution française n’eut rien de spontané, que la nuit du 4 août n’abolit que bien peu de privilèges, que les députés du tiers état furent à 70 % des « petits-bourgeois instruits, totalement acquis aux idées nouvelles », que « dès ses débuts, l’Assemblée constituante devient ‘totalitaire’, violant au nom du salut public les droits de l’homme qu’elle vient solennellement de proclamer ».
« Un seul et véritable tyran : le fisc ! ».
Mais ce qui frappe à la lecture de cette Histoire de France, c’est la permanence de certains événements. Permanence des guerres, qu’elles soient de succession ou d’agrandissement du territoire. Permanence des mariages royaux avec des princesses étrangères faisant exister une espèce d’union européenne avant l’heure, de Vuldetrade de Lombardie (épouse de Clotaire Ier) à Eugénie de Montijo (Napoléon III), en passant par Clémence de Hongrie (Louis X le Hutin), Isabeau de Bavière (Charles VI), Catherine de Médicis (Henri II) ou Anne d’Autriche (Louis XIII).
Permanence des questions fiscales enfin : les Gaulois, déjà , ne se sont-ils pas révoltés contre la pax romana, comprenant trop bien qu’il fallait désormais payer l’impôt à Rome ? Suivront nombre de jacqueries et révoltes (Croquants ou Bonnets rouges) jusqu’aux Gilets jaunes de 2018. Mais, comme le fait remarquer Claude Quétel, souvent le monarque qui « endosse les habits de l’impopularité » n’est pas celui qui a été le plus dépensier. Par exemple, Philippe le Bel dut financer la centralisation entamée par son grand-père Saint-Louis. Il invente pour cela de nouveaux impôts (comme la maltôte, « sorte de TVA avant la lettre »), « rackette littéralement les banquiers lombards », expulse les Juifs en les détroussant, prétend imposer le clergé, convoite les richesses des Templiers. Ce qui est certain, en revanche, c’est que « Très vite ces rois ont aperçu les avantages de l’impôt indirect, plus facile à collecter que l’impôt direct et moins ‘douloureux’ pour le contribuable ». La plupart des successeurs de Philippe le Bel se conformeront à ce principe : de Philippe le Long (décédé en 1322) qui « étend à tout le royaume la gabelle sur le sel » à Emmanuel Macron qui a augmenté à dix reprises les taxes sur les cigarettes, en passant par Napoléon qui se procurera 40 % des recettes fiscales avec les « taxes sur le vin, le tabac, les cartes à jouer, les voitures à cheval et le sel ». Une formule trouvée dans les cahiers de doléances de 1789 résume tout : « Un seul et véritable tyran : le fisc ! ».
Claude Quétel affirme que son livre « s’adresse à toutes celles et tous ceux qui ont été privés d’Histoire de France ». Cela fait assurément beaucoup de monde ! Il pourrait intéresser aussi nos enfants ou nos petits-enfants à la condition qu’il s’agrémente de cartes et schémas qui permettraient, en particulier, de mieux comprendre la formation territoriale de notre pays et la généalogie de ses rois. L’éditeur, Buchet-Chastel, aura-t-il le courage de s’atteler à la tâche et de publier une version illustrée de l’ouvrage qui serait un « anti-manuel scolaire » de référence ?