Auteur prolifique, François Kersaudy est aussi excellent conteur, capable de nous faire croire qu’il parle de choses dont personne n’a entendu parler auparavant. C’est pourquoi le titre de son nouveau livre – Dix faces cachées du communisme (Perrin, 2023) – n’est pas tout à fait exact. De fait, ces aspects cachés sont connus mais il est vrai que certains ont été négligés et d’autres, considérés comme « gênants », évités la plupart du temps par les historiens. L’auteur s’appuie sur une documentation abondante et exprime sans ambages son opinion sur le communisme, s’étonnant, dans la préface, qu’une idéologie aussi toxique ait pu susciter autant d’adhérents fanatiques.
Les dix « faces » en question se succèdent dans un ordre chronologique. Avec en ouverture le « coup » de Staline (un  expert pour ce qui est du banditisme), qui s’empare de l’or de la Banque nationale espagnole, 500 tonnes que le gouvernement soviétique a généreusement déclaré vouloir protéger pendant la guerre civile. Les Espagnols ne reverront plus jamais cet or, tout comme les Roumains ne reverront plus jamais leur trésor national confisqué par le même Staline. Quant à la situation dans le camp des révolutionnaires espagnols, le nombre de crimes commis par les groupes rivaux, surveillés attentivement par les conseillers soviétiques, est hallucinant. Des détails pimentés nous sont révélés sur Dolores Ibarruri, une ancienne vendeuse de sardines pratiquement analphabète. Celle que l’on surnommait « la Pasionaria » menait une tumultueuse vie érotique, se vautrant dans le luxe avec son amant tandis que son mari mourait de faim dans une usine russe, une vie à peine troublée par la mort de son fils à Stalingrad.
Un chapitre parle des « faux » livres sur l’Union soviétique : faux mémoires, fausses autobiographies, entretiens imaginaires, études dépourvues de toute rigueur scientifique, etc. Cette saisissante « bibliographie » mensongère est extraordinairement fournie.
Les pages consacrées au général Andrei Vlasov sont peut-être les plus passionnantes. Doté de qualités exceptionnelles, ce militaire dans l’âme s’impose comme un organisateur et un stratège de premier ordre. Lucide, il se rend très bien compte que l’effondrement de l’armée soviétique dans la première partie de la  guerre  est en grande partie dû à l’amateurisme de Staline. Petit à petit, il prend aussi conscience des graves exactions commises par le régime communiste. Prisonnier des Allemands, Vlassov a l’idée de former une armée composée de soldats soviétiques capturés et de tous ceux qui partagent des sentiments anticommunistes. Il a aussi un programme politique, qui préconise la suppression des fermes collectives et la restitution des terres, l’organisation d’élections libres, etc. Malheureusement, les autres prisonniers russes se méfient de lui et ne le soutiennent pas. A la fin de la guerre, les Américains l’abandonnant à son sort, Vlassov sera arrêté par les  Soviétiques et emmené à Moscou, où il sera exécuté après un procès éclair. Le cas de cet homme, qui avait entrepris d’abattre un tyran sanguinaire, est au plus haut point impressionnant et l’histoire ne lui a pas assez rendu justice.
Kersaudy rappelle opportunément les controverses suscitées en 1997 par la publication du Livre noir du communisme. Elle vaut de sales attaques à l’auteur, Stéphane Courtois, la gauche française tentant par tous les moyens de minimiser la portée de l’ouvrage. Le Premier ministre socialiste de l’époque, Lionel Jospin, se montre même fier d’avoir des ministres communistes au gouvernement. Ce qui provoque les réactions les plus virulentes, c’est l’équivalence entre le communisme et le nazisme. Au cours de l’émission que Bernard Pivot a consacrée au livre, l’un des invités, le vieux nomenklaturiste communiste Roland Leroy, fait  cette déclaration absurde : « A l’origine du nazisme se trouve la haine des hommes. A l’origine du communisme se trouve l’amour du peuple ! » Ce qui a amené Pivot à lui demander, avec une feinte innocence, comment il expliquait qu’autant d’amour pour le peuple ait produit à chaque fois autant de meurtres de masse.
« Qui es-tu, Che Guevara ? » est le titre du chapitre qui démolit le mythe du grand « Che », que Jean-Paul Sartre considérait comme « l’homme le plus complet de notre époque » et en qui la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, voit « une icône militante et romantique ». Hélas, la réalité est bien différente. Kersaudy suit Guevara depuis son adolescence et peint un individu passé maître dans l’art du mensonge, qui s’est habilement construit une réputation totalement imméritée. Petit détail en passant : il n’avait aucune formation médicale, même s’il se prétendait médecin. Son aura révolutionnaire, le « Che » la doit à son cynisme et à sa cruauté. Il est scandaleux, insiste Kersaudy, que ce tueur sans scrupules soit devenu l’idole d’une partie de la jeunesse d’aujourd’hui.
Ce n’est pas le moindre mérite du livre, que de montrer de tels personnages dans toute leur abjection.
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Cf. « Les Origines du totalitarisme » de Hannah Arendt (1951, mais il faudra attendre 1972 pour une traduction en français !) Arendt, à chaque sous-chapitre du chapitre « Le Totalitarisme », fait un parallèle saisissant entre le IIIème Reich et l’URSS stalinienne (culte du Chef, police politique, camps de concentration, marginalisations successives des leaders (ce qu’elle appelle « le mouvement »), désignation d’un ennemi (le juif en Allemagne, le koulak en URSS), contrôle de la pensée, délation généralisée, meurtres de masse, projet de domination mondiale. Livre resté très actuel.