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Civilisation et libre arbitre, par Jean-Philippe Delsol

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Le dernier ouvrage de Jean-Philippe Delsol vient d’être publié. Nous en donnons ci-après quatre extraits qui en livrent un aperçu.

Une anthologie du libre arbitre

Aucune liberté ne peut exister sans libre arbitre, même si chacune a ses contraintes. Mais quel libre arbitre ? Le débat sur ces questions a été permanent, plus ou moins violent selon les temps et les lieux, toujours axé sur la part laissée à la liberté et celle revenant à Dieu ou à un autre maître dans la détermination du comportement des hommes. Écrire sur le libre arbitre exige ainsi de laisser une large part aux débats, voire aux querelles qui ont animé la pensée religieuse aussi bien que laïque au cours des siècles et questionné la liberté.

Il y eut un grand tournant historique de ceux qui, d’Aristote aux derniers scolastiques, inséraient la capacité humaine d’exercer un libre arbitre dans l’ordre de la nature et/ou dans un plan divin, à ceux qui, de Descartes à Sartre en passant par Kant, proposèrent au monde moderne un libre arbitre plus autosuffisant, parfois rien qu’humain. La sagesse antique et encore médiévale positionnait l’homme par rapport au cosmos, la philosophie nouvelle en fit le fruit de la raison ou des passions. Dans la pensée contemporaine, curieusement, alors que la liberté apparaissait comme un paradigme incontournable, le déterminisme a repris de la vigueur. Le marxisme considère que nos activités économiques sont déterminées par nos modes de production, le freudisme recherche l’inconscient derrière toutes nos actions, tandis que la sociologie en examine le terreau social et culturel qui les détermine. La sociobiologie attribue nos comportements à nos gênes, tandis que la neurobiologie veut régler la mécanique de notre cerveau. Le libre arbitre reste néanmoins vivace.

Ce qui a fait la grandeur de l’Occident fut sans doute de croire que l’homme est précisément celui qui a en lui la liberté et le pouvoir de penser et de faire, la volonté qui lui permet d’exécuter, ou non, ses projets, de passer à l’action. N’est-ce pas un trait qui le différencie de l’animal ? C’est ce qui le rend, en partie du moins, maître de son sort et capable de le faire évoluer, ce qui en fait un être responsable. C’est aussi ce qui conserve à l’homme son identité indépendamment de sa situation et du degré de liberté qui lui est autorisé. Certes, l’homme n’est pas entièrement indéterminé car il dépend bien sûr des lois de l’univers et des préceptes moraux qui lui ont été inculqués, d’un environnement naturel et social autant que de certains événements. […] Et pourtant, l’homme ne s’est-il pas distingué par son aptitude à surmonter les contraintes auxquelles il a toujours fait face ? Croire au libre arbitre, c’est penser que l’homme peut être ou devenir acteur de l’histoire, du moins de son histoire, que celle-ci peut dépendre de lui, du moins en partie. Cette croyance au libre arbitre n’a pas peu motivé l’Occident pour avancer, conquérir, développer, créer… Dans le défi permanent de son existence, l’homme a cherché et souvent trouvé des solutions pour aller au-delà, contourner l’obstacle, relever le challenge en sortant des chemins battus. Il n’a pu le faire qu’en exerçant sa libre volonté, en faisant l’effort de contourner l’habitude pour innover. Sauf bien sûr à croire que tout ce que fait l’homme est dans la main d’un autre, livré au hasard ou dans le déroulement d’une chaîne causale et initiale, que cette liberté que nous croyons posséder « est réellement resserrée en de très étroites limites et que tout ce pouvoir créateur de l’esprit ne monte à rien de plus qu’à la faculté de composer, de transposer, d’accroître ou de diminuer les matériaux que nous apportent les sens et l’expérience », comme l’entendait Hume. Peut-être d’ailleurs que nous en revenons aujourd’hui, dans un monde irréligieux, à l’ancien fatum, ainsi que les peurs écologiques le laissent paraître qui n’imaginent plus que l’homme pourrait trouver le moyen de les surmonter sinon en se soumettant aux avertissements de la nature et en défaisant, par la décroissance, les progrès du monde. C’est l’objet de cet ouvrage d’en débattre, après avoir exposé aussi complètement que possible, comme dans une anthologie du libre arbitre, en regard du déterminisme qui le nie, les arguments en présence, et d’essayer de comprendre comment le libre arbitre a accompagné le progrès du monde et pourquoi il ne peut sans doute pas ne pas exister.

Comment le libre arbitre a façonné notre civilisation
La question est aussi de savoir si et dans quelle mesure la croyance dominante d’une société au déterminisme ou au libre arbitre a pu peser sur le niveau et le degré des libertés, voire si elle a orienté l’évolution des mœurs, de la morale et des institutions aussi bien que de la culture et des attitudes économiques et sociales.
En faisant disparaître le libre arbitre et l’Église, les musulmans comme les réformés prenaient le risque d’attenter aussi aux libertés personnelles, civiles et économiques. La suppression de l’Église pouvait laisser l’État prendre toute la place. À défaut de pouvoir gagner leur ciel par leurs mérites, les hommes pouvaient avoir la tentation de s’abandonner à l’angoisse ou à la facilité. […] quelle motivation lui reste-t-il à bien agir ? S’il est entre les mains d’un Dieu capricieux, capable du bien et du mal, comme en islam ou dans la philosophie nominaliste, où sont l’espérance de l’homme et sa liberté, qui toutes deux inclinent à œuvrer à la transformation du monde ? […] La façon de répondre à cette inquiétude fut pourtant bien différente chez les uns et chez les autres. Le risque pesait que le protestantisme et l’islam abaissent l’homme devenu le pion de Dieu et de son représentant sur terre. Même si le catholicisme contribua parfois plus, à sa manière, à renforcer l’État contre lui-même, il semble bien que la croyance au libre arbitre a favorisé les libertés économiques, sociales et politiques et l’essor des sociétés qui les ont pratiquées tandis que, dans l’islam plus que dans le protestantisme, le déterminisme a affecté les comportements individuels et sociaux au point de les annihiler. Les corrélations ne sont pas toujours raison et les facteurs d’évolution sociale sont toujours multiples. Toutefois, l’islam offre l’intérêt de pouvoir observer le riche développement des sociétés musulmanes pendant la relativement courte période où domine le mu’tazilisme libéral tandis que ces sociétés s’engourdissent ensuite sous la domination de tendances tout entières déterministes. C’est plus compliqué pour le christianisme puisque, d’une certaine façon, le protestantisme voué à la prédestination semble s’ouvrir aux libertés économiques plus vite que le catholicisme attaché au libre arbitre. Certes, les pays protestants ont disposé très tôt de larges libertés économiques qui ont favorisé leur essor, mais les grands ateliers textiles du nord, les grandes foires de Champagne, les immenses banques florentines ont prospéré avant la Réforme. Les premières libertés politiques globales et significatives sont advenues dans l’Angleterre catholique avec la Grande Charte (1215) et la France et l’Italie catholiques ont manifesté plus tôt leurs aspirations révolutionnaires à la liberté que les pays protestants du nord. La Réforme a parfois été moins tolérante que l’Église romaine et parfois plus autoritaire ; et d’autres fois, ce fut l’inverse. Ça n’est pas si simple parce que d’une certaine manière, d’une part la prédestination protestante n’empêche pas les hommes d’être incités à l’initiative autant qu’à une vie bonne, tandis que d’autre part, après avoir contribué à l’établissement des libertés humaines fondamentales, le libre arbitre n’a pas permis d’éviter une certaine sclérose de la doctrine et des institutions catholiques. Il reste que, malgré ses faiblesses et ses lacunes, le christianisme est dans son ensemble resté porteur d’une vision de l’homme attachée aux libertés civiles des personnes à chacune desquelles il reconnaît une identité propre.

Le libre arbitre ou la liberté de discerner
Le libre arbitre […] suppose et permet à la fois à chacun de reconnaître la diversité des opinions et des jugements. Il oblige à vivre avec l’inquiétude de la vérité plutôt qu’avec sa certitude. Il empêche ainsi de devenir un doctrinaire du bien. Ceux qui pratiquent le libre arbitre sont prêts à chercher l’erreur, à comprendre ce qui ne marche pas, ce qui engendre le mal, pour apprendre à l’éviter. Ils devinent que « dire le vrai » relève souvent de l’impudence, de l’imprudence ou de la vanité – car qui le connaît ? –, du moins quand il s’agit de vérités transcendantales, ou même plus simplement de la nature de l’homme et du dessein du monde. On perçoit le mal, mais il est souvent plus difficile de dire le bien qui n’est jamais parfait. Chaque homme normalement constitué cherche la vérité, à son niveau, dans son domaine et au travers de ses préoccupations. Le libre arbitre permet précisément aux hommes d’avancer dans leur quête éternelle de la vérité par une suite sans fin d’essais et d’erreurs qui conduit néanmoins à approcher toujours mieux certaines vérités. Admettre pleinement le libre arbitre est plus difficile que de s’en remettre au déterminisme ; ceux qui y adhèrent doivent faire la part des choses avec ce qui est dû à la nécessité.

Les déterministes ou les volontés assénées
Le libre arbitre est redoutable puisqu’il nous confie nos choix, en laisse maître chacun de nous. Il est inadmissible pour ceux qui croient qu’ils savent puisqu’il les dépossède de leur supériorité, il les oblige à débattre, à partager, expliquer, convaincre, il ne leur donne plus de légitimité à imposer leurs règles et leurs visions. Ceux qui prétendent posséder le monopole du bien récusent nécessairement le libre arbitre. Leur raisonnement exclut la liberté qui permet l’erreur, et donc le mal, et ils se persuadent eux-mêmes de leur mission de conformer la société à la vérité qu’eux seuls détiennent. L’homme prédestiné ne peut rien faire qui ne soit prévu par d’autre que lui. Mais eux, les philosophes ou les gourous, veulent « faire » le dieu. Parce que, eux, savent, comme les philosophes que Platon fait sortir de la caverne où demeure le vulgum pecus pour diriger ce peuple ignorant vers la cité idéale tout entière collectivisée et dont il n’a pas réussi à faire partager le rêve aux tyrans de Syracuse. Ils savent comme Platon lui-même qui voulait construire l’homme comme un bateau puisque, disait-il, « l’homme n’est qu’un jouet sorti des mains de Dieu ». Ils savent comme, dans un catholicisme dénaturé, adepte d’une certaine forme de nécessitarisme, le Grand Inquisiteur se savait tenu d’exiger de tous de croire et de se soumettre à l’Église. Puisqu’ils ont compris, chacun à sa façon, la mécanique divine, ils prétendent se faire mécanos ; puisqu’ils pensent savoir que Dieu a conçu l’horloge du monde, ils se font horlogers. Ils savent comme Hobbes qui propose un Léviathan, un souverain absolu, maître de la religion de tous et dont les ordres déterminent le bien, pour gérer les citoyens, car selon lui chaque République, et non chaque homme, a une liberté absolue de faire ce qu’elle jugera , ce qui permet à ladite république bien des excès de pouvoir au nom d’un prétendu contrat social abstraitement conclu pour le bien de tous.

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pseudo Z 9 avril 2022 - 6:35

En visionnant hier la séquence « LA REVOLTE » du film HUNGER GAMES de François Lawrence je voyais se dérouler sous mes yeux la guerre d’Ukraine : KATNISS, l’égérie, dite LE GEAI MOQUEUR, symbole de la résistance, reprenait à son compte l’action de Volodymyr Zelensky, aidée par son ami Peeta représentant « le peuple ukrainien », face à SNOW, « le tyran du Capitole », qui détruit systématiquement les 12 districts de son propre pays, à commencer par la ville de PANEM, dont les deux syllabes ressemblent furieusement à la sonorité de KIEV.

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