Nous n’avons pas pour habitude de faire de la politique-fiction, mais la situation actuelle en France nous conduit à raviver une hypothèse vaguement évoquée l’été dernier.
La situation politique actuelle
Le constat est simple :
- la dissolution est constitutionnellement impossible jusqu’en juillet, terme du délai d’un an à compter de la précédente dissolution ;
- le gouvernement minoritaire ne bénéficie d’aucune garantie de stabilité et il dépend du bon vouloir des deux extrêmes ;
- de bon vouloir, il n’y en a pas à l’extrême gauche, puisque La France insoumise n’a pas fait mystère de sa volonté de faire tomber immédiatement tout gouvernement qui ne serait pas dirigé par un membre du Nouveau Front populaire ;
- donc le gouvernement dépend uniquement du bon vouloir du Rassemblement National qui peut décider à tout moment de mêler ses voix à celles de la gauche pour faire tomber le gouvernement, comme il l’a fait pour le gouvernement Barnier ;
- il n’existe aucune majorité envisageable, sauf grande coalition à l’allemande de la droite à la gauche, mais ni la droite ni la gauche ne l’ont souhaité pour différentes raisons, dont certaines se comprennent bien au demeurant.
Les scénarios possibles
Jean-Luc Mélenchon a prédit que « François Bayrou ne (passerait) pas l’hiver ». Il a même prévu que le gouvernement serait censuré précisément le 16 janvier, après la déclaration de politique générale du Premier ministre du 14, François Bayrou ayant d’ores et déjà annoncé qu’il ne solliciterait pas la confiance (Le Parisien, 20 décembre 2024). Les députés LFI déposeront une motion de censure et elle sera votée si le RN s’y associe.
Soit le RN s’y associe effectivement mi-janvier, ce qui est possible mais peu probable puisqu’il a déclaré vouloir laisser une chance au nouveau gouvernement, soit il s’y associera plus tard, comme pour le gouvernement Barnier.
Dans tous les cas, que se passera-t-il alors ? L’objectif annoncé de LFI est de bloquer les institutions et de contraindre, fût-ce par un coup de force ainsi que l’ont annoncé de manière scandaleuse plusieurs de ses parlementaires, Emmanuel Macron à démissionner, avant de mettre en place le processus de la VIe République voulu par Jean-Luc Mélenchon.
Le moins mauvais scénario : cristalliser la situation
Le meilleur moyen de s’opposer aux gesticulations des Insoumis et au chantage du RN serait de cristalliser la situation jusqu’aux prochaines élections législatives à la suite de la dissolution courant juillet, même si le chef de l’État a déclaré ne pas vouloir dissoudre derechef jusqu’à la fin de son mandat.
Par conséquent, faire tomber des gouvernements durant cette période serait irresponsable. Certes, le gouvernement Bayrou ne convient à peu près à personne et il s’annonce comme pire que celui de son prédécesseur. Néanmoins, la situation internationale, avant tout la guerre en Ukraine, imposerait la plus grande stabilité possible.
Si cette stabilité n’est définitivement pas possible, ce qui est à prévoir, une solution s’imposerait d’elle-même : que le Président ne nomme pas de nouveau Premier ministre pendant six mois. Le gouvernement Bayrou serait donc démissionnaire durant cette période. Or, la Constitution ne prévoit pas de durée maximale pour un tel gouvernement et un gouvernement démissionnaire ne peut évidemment pas faire l’objet d’une motion de censure puisqu’on ne peut pas censurer un gouvernement déjà censuré (Le Parisien, 17 juillet 2024).
La seule échappatoire pour les Insoumis consisterait à recommencer le processus avorté de destitution du chef de l’État et, dans ce cas, il suffirait aux autres groupes politiques de s’y opposer, comme ils l’ont déjà fait le 8 octobre dernier.
 Ce qu’est un gouvernement démissionnaire
Rappelons qu’un gouvernement démissionnaire, pour reprendre les termes de la note du 2 juillet 2024 du Secrétariat général du gouvernement, reste en place jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un nouveau gouvernement et ce, « pour assurer, au nom de la continuité, le fonctionnement normal de l’État ». Contrairement à la Constitution de la IVe République, nos institutions actuelles ne mentionnent pas la notion de gouvernement démissionnaire. Il est revenu au Conseil d’État d’en prévoir le régime. En pratique, un gouvernement démissionnaire assume :
- le fonctionnement régulier de l’administration ;
- la continuité des services publics ;
- et en tant que de besoin les mesures d’urgence qui s’avèreraient nécessaires.
Un gouvernement démissionnaire ne peut pas déposer de projets de loi. En revanche, il lui appartient d’assurer la mise en application des lois et il va de soi que des propositions de loi peuvent être déposées par les parlementaires.
Les leçons du droit comparé
Pour le dire autrement, un gouvernement démissionnaire ne peut pas bien faire, mais à vrai dire cela ne changera guère de l’ordinaire… Il ne peut pas mal faire non plus, même s’il faut reconnaître qu’il peut exister une incertitude juridique lorsqu’il s’agit de déterminer si telle ou telle mesure a bien été prise dans le cadre des limites fixées par la jurisprudence administrative.
Cette situation explique que les libéraux belges disent parfois que leur gouvernement n’est jamais meilleur (ou moins mauvais) que lorsqu’il est démissionnaire… Nos amis outre-Quiévrain sont, il est vrai, des orfèvres en la matière. Le gouvernement démissionnaire le plus long de la IVe République française a duré 38 jours ; le gouvernement démissionnaire Attal sous la Ve République 51 jours, après le gouvernement démissionnaire Pompidou en 1962 d’une durée de deux mois. La Belgique connaît périodiquement, en 2024 encore, des périodes de latence importantes du fait de la fragmentation de son système politique et d’un mode de scrutin à la représentation proportionnelle désastreux. A plusieurs reprises, notamment en 2010-2011, la durée du gouvernement démissionnaire a approché, voire dépassé, les 500 jours (Le Monde, 24 août 2024) !
Refuser la politique du pire
Dans notre hypothèse, nous en serions loin en France. Il « suffirait » que le gouvernement démissionnaire tienne durant six mois, en tentant alors de faire patienter autant que possible nos créanciers et les agences de notation de la dette publique… Et il faudrait espérer que la dissolution de juillet, avec des élections prévisibles en septembre compte tenu de la durée de la période électorale et des vacances d’été, aboutisse à une composition suffisamment stable à l’Assemblée pour qu’un gouvernement durable puisse se constituer.
Au-delà de la politique du pire, ne serait-ce pas finalement le meilleur scénario pour notre pays et pour chacune des grandes tendances politiques représentées actuellement au Parlement, y compris l’extrême droite et l’extrême gauche ?
8 commentaires
Astuce intéressante, mais les français tolèreraient-t-ils un gouvernement démissionnaire 6 mois sans réagir ?
L’exaspération est désormais telle, dans un pays où les services publics se sont écroulés par abandon de gestion et où la dette est inversement proportionnelle, que l’attente d’un rétablissement du pays est devenu un impératif urgent.
Seules des mesures drastiques rétabliront le pays en supprimant les règlementations et les prélèvements excessifs qui étouffent le pays, les privilèges indus des profiteurs (il y en a autant à la tête des institutions que parmi les maîtres chanteurs SNCF, les intermittents, les subventions inutiles, les assistés de tous bords…).
Seul un gouvernement doté de pouvoirs exceptionnels peut maintenant rétablir la situation, alors un gouvernement minoritaire impuissant aurait du souci à se faire…
Quid des Ordonnances ? Quid du référendum ? Quid de l’article 16… Il reste encore pas mal de possibilités de gouverner, même avec une chambre des députés rétive, non ?
si ce gouvernement reprend les memes mesures fiscales que l’ancien et que le rn l’accrédite marine le pen va perdre bon nombre d’electeurs
Difficile de s’opposer aux différents scénarios de cet article.
Personnellement j’ajouterais que : Quand le problème des le départ est mal posé, par le fait de ne pas avoir la philosophie du Gal.De Gaulle, à savoir, ne pas reconnaître sa responsabilité de sa propre gestion de l’état (je parles là de l’ensemble chef d’état et premiers ministres successifs) traduit par les élections Législatives et européennes .
La logique d’un véritable chef d’état digne, se devait de démissionner.
A partir de là questions se posent :
Pourquoi ne l’a-t-il pas fait?
Les résultats économiques conséquents des politiques, menées depuis 2012 et aggravés à des niveaux jamais atteints ( démontrés par l’économiste MR.Marc Touati) notamment depuis 2017/2024.
Pourquoi tous les acteurs de ce fiasco , d’aucun n’a la décence de reconnaître sa responsabilité responsabilité ?
En conclusion si d’aucun électeurs, pense que reprendre les mêmes pour faire une véritable politique adaptée avec l’appui d’un consensus des partis et syndicats, le plus large possible, pour valider un programme de salut publique n’est pas mis en place ?
Les faits démontrent que leurs objectifs ne sont pas ceux qui répondront a l’intérêt général !!!
Certainement tout l’inverse .!!
Inversion des valeurs ???
Il y aurait pourtant quelques mesures simples et relativement consensuelles en matière d’économie : supprimer quelques hauts bazars si chers à nos dirigeants, augmenter la CSG sur les retraites versées à des retraités qui ont choisi un autre pays comme résidence fiscale, retirer le qualificatif d’utilité publique aux associations qui ne sont pas objectivement utiles (et il y en a pléthore), réduire drastiquement la contribution de la France à une foultitude d’organismes internationaux et dont l’utilité est plus que discutable… Il y en a bien d’autres.
Intéressant mais rien ne prouve que Macron voudra dissoudre en Juillet.
Je pense plutôt que ce « démiurge » vise l’article 16.
Pourquoi en sommes arrivés au point ou votre hypothèses serait la meilleure?
Parce que la gauche et le centre ont truqué le scrutin démocratique en concluant des accords électoraux de désistement contre nature qui ont trompé les électeurs et volé la majorité au RN. Cette triche scandaleuse que tout le monde feint d’oublier me fait penser à Notre Dame ou on oublie que ceux qui ont été incapables par incompétence de protéger ce patrimoine historique inestimable sont en train de tirer le bénéfice de sa reconstruction en se vantant de l’avoir reconstruite en 5 ans… un comble!
Les français ont la mémoire courte, c’est ce qui les perdra!
Je pense exactement la même chose, un gouvernement qui ne ferait rien, que gérer les affaires courantes serait la moins mauvaise solution au vu de la composition de l’actuel très “social démocrate”c’est à dire keynésien, impôts, redistribution, déficit public