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Programme nucléaire : l’Etat ne fait pas le nécessaire pour assurer son succès économique

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Flamanville nucleaire_cc_JKremona_sur_commons.wikimedia
L’EPR de Flamanville  a explosé ses coûts prévisionnels. Le programme de 6 EPR de seconde génération fera-t-il mieux ? La Cour des comptes en doute.

 Avec l’annonce fin 2024 de la connexion de l’EPR de Flamanville au réseau, la presse revient sur la genèse difficile de ce réacteur, dont le coût, initialement estimé à 3 milliards, en a atteint  plus de 13.

Causes des surcoûts de Flamanville

La principale cause de surcoût identifiée est un démarrage du projet précoce alors que le design était encore en cours de peaufinage, comme l’indique la NEA dans son récent rapport d’analyse:

NEA, Les facteurs clé des surcoûts de l’EPR Flamanville 3

« EDF a commencé la construction de l’ EPR à Flamanville avec un niveau de maturité de conception aussi faible qu’à Olkiluoto, entraînant de nombreux changements de conception pendant la construction (…) à peine 40 % de la conception détaillée était terminée lorsque la construction a commencé (Folz, 2019). Les études d’ingénierie détaillées venaient tout juste de commencer (…). Par ailleurs, les différences entre les exigences des autorités françaises et finlandaises ont conduit à ce que les deux conceptions soient réalisées en parallèle, avec des opportunités limitées d’apprendre des leçons et de partager les expériences entre les deux projets.

(…)

« Ce manque de maturité de conception a été l’une des principales raisons des retards et dépassements de coûts constatés sur ces deux projets EPR. À l’inverse, la construction des deux EPR à Taishan, en Chine, qui a débuté en 2009, a bénéficié des enseignements tirés du projet de Flamanville »

L’effet de production en série n’est pas garanti

La question demeure : EDF arrivera-t-elle à faire jouer « l’effet de production en série » pour faire baisser le prix des EPR 2 à 6 ? Selon Le Figaro, l’entreprise met tout en œuvre pour que ce soit le cas. La réussite du réacteur chinois de Taishan peut inciter à l’optimisme.

Cependant, à ce jour, le design final du réacteur n’est pas approuvé, et apparemment, EDF n’a pas obtenu des autorités nucléaires de garantie intégrale de stabilité du design sur l’ensemble du déroulement du programme.

La Cour des comptes (2012) a pourtant montré que cette stabilité avait été la clé des coûts maîtrisés de la première phase du programme nucléaire français (1975-2000). La NEA note également que les accords de stabilité entre autorités et contractants ont constitué un avantage déterminant dans la maîtrise des coûts du programme nucléaire coréen et de celui de l’US Navy.

Notre rapport « La filière nucléaire, comment libérer son potentiel » indique que le nucléaire aura un gros problème de compétitivité si tout n’est pas mis en Å“uvre pour maximiser ces effets de production en série : designs stabilisés et accord de stabilité technico-réglementaire entre autorités et contractants. Nous proposons également que les agences réglementaires internationales s’accordent sur des règles communes.

Janvier 2025 : le nouveau rapport de la Cour des comptes qui inquiète

La Cour des comptes, dans son tout dernier rapport (janvier 2025), tout en saluant une nouvelle dynamique pro nucléaire, reste sceptique sur la capacité d’EDF de maîtriser les coûts de ce programme :

« En 2020, la Cour recommandait de calculer la rentabilité prévisionnelle du réacteur de Flamanville 3 et de l’EPR 2 (…). EDF n’a pas communiqué ces informations, ce qui amène à considérer cette recommandation comme non mise en Å“uvre.

 « Les calculs effectués par la Cour aboutissent à une rentabilité médiocre pour Flamanville 3, inférieure au coût moyen pondéré du capital de l’entreprise, sur la base d’un coût total de construction estimé à environ 23,7 Md€ 2023 (intérêts compris).

 « S’agissant du programme EPR 2, sa maturité technique a été jugée encore insuffisante fin 2023 pour envisager le passage de la conception initiale à la conception détaillée. Ayant franchi ce jalon en juillet 2024 , il conviendrait de réviser les coûts et délais du programme EPR2 en intégrant les raisons et les conséquences du report de cette échéance. La rentabilité prévisionnelle du programme EPR2 reste, à ce stade, inconnue.»

 Ce commentaire de la Cour est inquiétant et laisse craindre que le programme nucléaire EPR 2 ne soit pas le succès financier espéré.

La Cour émet également des doutes sur la capacité du réseau de sous-traitants de retrouver l’intégralité des compétences perdues pendant les années de gel gouvernemental de notre programme nucléaire, dans un délai aussi court, malgré l’importance des efforts réalisés en ce sens.

Le problème des coûts masque celui des recettes

L’autre problème du nucléaire est qu’il s’agit d’une industrie intensive en capital. La Cour pointe avec justesse sa sensibilité aux taux d’intérêts et au temps gagné ou perdu selon qu’un projet est plus ou moins bien géré. Mais elle est moins diserte sur le problème du facteur de charge effectif de ces centrales une fois mises en service.

En effet, dans les pays où les centrales nucléaires ne dépassent pas la puissance de la « charge de base » du réseau, c’est-à-dire le niveau minimal de la demande, le facteur de charge peut dépasser 85 voire 90%. Le capital y est donc bien employé et l’impact du coût d’investissement sur le coût du kWh de sortie est minimisé, surtout si la durée de vie du réacteur peut être étendue à 60, voire 80 ans.

Mais en France, où la puissance nucléaire dépasse cette charge de base, le facteur d’utilisation de nos centrales est nécessairement plus faible, autour de 70%.

Encore plus grave : notre stupide politique de déploiement de renouvelables intermittentes, sur le modèle allemand qui est en train de prouver son ineptie, fait que les jours de faible demande et de vent ou soleil normaux, il faut moduler à la baisse notre nucléaire. Cette modulation fréquente, bien entendu, abaisse encore son taux d’utilisation. Pire encore, elle peut accélérer l’usure de pièces vitales et donc réduire la durée de vie globale du réacteur. Tout cela est de nature à obérer la rentabilité des futures centrales au-delà des craintes exprimées par la Cour des comptes.

Conclusion

Le gouvernement français a eu raison de retourner sa veste et de relancer notre programme nucléaire après avoir mis à mal la filière pendant 20 ans. Mais hélas, il ne fait pas tout ce qu’il faut pour que le succès économique soit au bout de l’aventure. Au vu des sommes engagées et des enjeux pour l’avenir du pays, c’est une faute grave.

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16 commentaires

JCML 22 janvier 2025 - 8:39 am

En général on fait les comptes après, avant c’est de la spéculation. Les “sages” devraient s’occuper de ce qui se passe actuellement par exemple les 750 000 € pour l’achat de godasses par le gouvernement Bayrou !
Sur le fond, les gouvernements successifs ont tout fait pour que cela se passe mal pour le nucléaire sous la pression de nos “amis ” allemands et de certaines ONG parasite comme Greenpeace (entre autres). Dans ce contexte il ne faut pas être surpris du manque de compétences.

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louis 22 janvier 2025 - 9:08 am

vous connaissez un projet macroniste qui a marché ??

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Jojo 22 janvier 2025 - 6:00 pm

Plus généralement, vous connaissez quelque chose qui est géré par l’État et qui marche bien ? Et je n’irai pas jusqu’à demander qui marche de façon exemplaire !
Eh bien oui il y en a : le système des amendes routières.

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Louise 22 janvier 2025 - 9:20 am

La Russie nous livre de l’uranium enrichi.Le commerce continue
Le coût du nucléaire est énorme.
Il ne faut pas oublier le démantèlement des centrales, la gestion impossible des déchets actuellement, les atteintes à la santé et à la biodiversité.
https://www.sdn-berry-giennois-puisaye.fr/news/rejets-des-centrales-nucleaires-dans-le-fleuve-de-la-vallee-de-la-loire/
évidemment les stations d’épuration ne filtrent pas tout
N’oublions pas que le tritium ne peut pas être filtré et se retrouve dans l’eau du robinet pour tous ceux dont l’eau potable vient d’un fleuve où sont des centrales nucléaires. Lire “le livre blanc du tritium” sur internet. Le tritium, entre autre, passe la barrière placentaire….
On voit bien que tout cela n’a pas de sens.

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jacques lemiere 22 janvier 2025 - 9:35 am

secteur controlé par l’etat…avec l’argument vous aurez de l’électricité as cher quand vous en aurez besoin..

un coût de production ne fait pas un tarif… la “pression naturelle est de s’aligner sur le “concurrent” …en clair ça ne donne pas un atout si grand que ça pour l’industrie…mais une rente pour l’état.

mais ne regardez pas combien ça VOUS a couté et on décidera au final ce dont vous avez besoin..l’utilitarisme est inévitable voire le “pauvrisme” …. vous n’avez pas besoin de tant chauffer votre maison voyons.. mais vous devez payer la facture de ces pauvres gens.. des agents se sont déjà arrogé les droit de na pas couper des compteurs..

et quand on aura besoin de cash on vendra d’électricité à l’export.. qui contribuera au budget de l’etat et donc VOUS benefiera… on peut même imaginer un jour qu’on invite les citoyen à moins consommer pour sauver le budget;.

je le répète il faut exiger une charte..sinon c’est signer un cheque en blanc…

la france était la meilleure du monde dans le secteur quand;..personne ou presque ne faisait du nucléaire..

le risque encouru par le nucleaire secteur capitalistique et spéculatif par excellence est l’interventionnisme..

mais non il va se passer un truc magique…les élus ne vont pas utiliser leur contrôle du secteur pour être élus et flatter leur électorat..

quelle est la mission de service public qui justifie l’ etat?

mais je dois dire que ma question s’adresse surtout au réseau d’abord.. ou aux réseaux.?.leur interconnexion..qui paye et pourquoi.

les problèmes de la sécu ne sont pas causés par les vices de la sécu mais par le marché voyons;.
chacun paye selons ses moyens et chacun reçoit selon ses besoins…

ça se traduit pas tu ‘n’as pas besoin de ça..
et tu as encore des sous tu payes pour les “besoins” de ce type..

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[Insert here] delenda est 22 janvier 2025 - 10:45 am

Les renouvelables sont en effet un problème. Mais vous êtes passé rapidement sur ce point, pourtant majeur:

“les différences entre les exigences des autorités françaises et finlandaises ont conduit à ce que les deux conceptions soient réalisées en parallèle, avec des opportunités limitées d’apprendre des leçons et de partager les expériences entre les deux projets”

La fierté nationale?

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Vincent Benard 22 janvier 2025 - 8:38 pm

L’IREF exige que les articles restent courts, ce qui implique parfois un survol de certains points. Mais effectivement, même si nous soutenons l’élaboration de normes communes, nous n’y croyons guère, car le nucléaire est de loin le sujet, plus encore que la défense, qui touche au plus profond la notion de souveraineté. Il est donc peu probable que chaque autorité nationale renonce à ses exigences propres…

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MEL 22 janvier 2025 - 11:01 am

Il suffisait d’être de gauche et jeune pour être dirigeants de Flamanville. On était à l’époque de Mitterrand qui avait voulu Anne Lauvergeon jeune quadra socialiste comme patronne d’Areva. Les ingénieurs seniors avaient été priés d’aller ailleurs.
Les erreurs de gestion ont été plus nombreuses qu’ailleurs ; c’était l’époque où on entendait dans les cabinets de direction « c’est peanuts » à propos de dépenses.

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OLIVIER Nicolas 22 janvier 2025 - 12:30 pm

Bonjour
Au-delà du surcoût et de la capacité à délivrer la production objectivée, la photo de cette centrale m’inquiète quant à la montée des eaux et du risque de submersion. On parle d’une nouvelle centrale à Gravelines dont les fondations vont être creusées jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de profondeur, obérant les coûts avant même d’avoir commencé.
Le risque de submersion en zone côtière est-il sérieusement pris en compte ?
Cordialement
Nicolas OLIVIER

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Ledormeur Francis 22 janvier 2025 - 12:48 pm

L’abandon de la filière nucléaire pour cause d’idéologie a été une grosse faute des décideurs, nous avions des centrales de 900 MW. qui fonctionnaient à merveille avec une technique d’entretien bien rodée par des agents EDF et des sous traitants de grande valeur. De plus avec un pôle de soudeurs hors paire…
Quel gâchis par idéologie !…

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Guerin Patrice 22 janvier 2025 - 1:06 pm

Une fois de plus l’Etat montre son incapacité à s’occuper d’autre chose que du régalien. Ce résultat est catastrophique et l’acharnement idiot à prioriser l’usage du renouvelable (dont on ne dit mot sur la durée de vie et les coûts de déconstruction) le rend pire encore. Imaginez ce qu’il serait advenu si des ingénieurs du Privé s’étaient comportés pareillement dans une entreprise du Privé. N’auraient-ils pas été prestement virés ?
Laissons donc faire ceux qui savent et que l’Etat s’applique dans l’Education , la Sécurité , la Défense et la Culture .
Il y aura déjà là bien des progrès à faire .

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Lefez 22 janvier 2025 - 1:15 pm

Compte tenu de la performance des chinois dans ce domaine, ne serait t il pas plus pertinent de leur confier la construction de nos futures centrales?

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Albatros 22 janvier 2025 - 5:00 pm

J’ai récemment rencontré le député qui préside le Conseil Supérieur de l’Energie. Son discours est “de ne pas choisir” entre les énergies et de pousser les ENR, sans tenir aucun compte des aspects relevés dans l’article ci-dessus et aucunement de la “technique” qu’il doit estimer trop triviale pour son brillant cerveau de chimiste (il a ânonné le principe de Lavoisier dans son discours politicien ridicule).
Et encore moins de tenir compte de l’économie, en bon écolo-macro-socialiste qu’il est.

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Claisse 22 janvier 2025 - 6:10 pm

C’est bien essayé, le renouvelable est une gêne pour le nucléaire et l’empêche de fonctionner normalement. Sauf que que quand il fait trop chaud ou qu’il n’y a pas assez d’eau pour le refroidir il faut arrêter, que lorsqu’il y’a une guerre comme en Ukraine, le risque majeure devient objet de chantage. Que le prix de construction n’a aucune importance puisque se sont nos impôts qui payent et la cours des comptes dénonce les dérives mais sans que cela entraîne une modification des comportements, une dérive de dix milliards sur une centrale multiplié par six centrales prévues ça ne fait jamais que soixante milliards. Tout cela sans compter les pollutions diverses qu’elle soit de chaleur dégagée ou déchets nucléaires depuis la production enrichissement de l’uranium, puis de l’élimination des déchets. Pour ce qui est de l’uranium enrichi, nous l’achetons à la Russie un partenaire commercial « très sûr », et à bas prix parce que les normes de sécurité sont totalement bafouées en Russie. Mais on ne peut polluer la terre impunément sans que cela retombe sur l’état de santé des populations. Pour qui est convaincu que le nucléaire est l’avenir, c’est qu’il oublie le temps qu’il faut pour les construire, pour les démanteler et pour mettre sous son matelas les déchets qu’ils laissera à ses enfants.

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Jean Guicheteau 23 janvier 2025 - 10:44 am

Il y aura un problème de financement. Alors je propose qu’on confie à Total la construction et le financement des futures centrales dans un partenariat public /privé avec EDF. Une façon intelligente d’utiliser les « superprofits » génères par la hausse des carburants.

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FRANCOIS HENIMANN 23 janvier 2025 - 12:26 pm

Article très pertinent, qui fait bien de braquer le projecteur sur la problématique des recettes des futurs EPR2, mises en danger par les objectifs de déploiement inconsidérés de l’éolien et du solaire, qui sont financés par de l’argent public (taxe accise sur l’électricité) et le tarif d’utilisation du réseau (TURPE) pour leur raccordement et le renforcement des réseaux.
EDF veut financer un programme de 80 ans avec un marché guidé par le coût marginal de la production au gaz, ce qui n’a aucun sens, alors qu’en UK il négocie avec l’Etat anglais pour les 2 EPR de Sizwell un prix régulé rémunérant les OPEX et la base d’actifs, en limitant les risques projet (coûts et délais, maintenance) et marché au maximum, optimisant ainsi le coût du financement (WACC) et donc le prix du MWh, de 30 % par rapport au contrat pour différence de 35 ans conclu pour le projet similaire de Hinkley point.
L’Etat français veut financer le programme EPR 2 avec un “prêt à taux zero” avec de l’argent dont il n’a pas le premier euro, ce qui signifie que les intérêts seront payés par les contribuables ou les consommateurs au travers de la taxe accise sur l’électricité. De plus, c’est manifestement une aide d’Etat à EDF, qui est en position dominante sur le marché : comment la Commission UE et l’autorité de la concurrence pourraient-elles accepter cela ?
La seule solution est de limiter drastiquement le programme ENR (en stoppant toute subvention, notamment en période de prix faible ou négatif) et de revenir à un prix régulé du nucléaire représentatif des coûts (ce qui nest pas le cas de l’ARENH), avec un schéma de financement qui est similaire à celui des réseaux (TURPE), dans lequel en gros l’EBITDA annuel de ENEDIS et RTE correspond au montant des investissements.
Cela signifie sortir le nucléaire du marché dans une filiale régulée d’EDF pour mettre à disposition une production nucléaire “d’intérêt national” à la disposition des fournisseurs, EDF compris (sous conditions, pas comme pour l’ARENH) et des entreprises electro intensives (sidérurgie, engrais, cimenteries, aluminium, …)
Cela s’accompagne aussi d’une suppression du tarif régulé de vente, qui “optimise” le prix par excès pour garantir une concurrence factice permettant à de purs traders d’être compétitifs, la concurrence s’exercant entre fournisseurs-producteurs sur les 35 % du montant de la facture non couverts par l’électricité nucléaire.

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