À la fin du XIXe siècle, l’Europe était une puissance mondiale d’innovation. C’est là que la révolution industrielle et « le grand enrichissement » ont commencé. Pourtant, aujourd’hui, elle est clairement à la traîne. La plupart des entreprises innovantes opèrent désormais ailleurs.
Bien que l’esprit d’entreprise existe dans tous les pays, quelques-uns se distinguent et certains produisent un nombre impressionnant de « super-entrepreneurs ». Ce n’est pas le cas des grands pays européens. Plus généralement, l’Europe ne compte que 0,8 « super-entrepreneur » par million d’habitants, contre 3,1 aux États-Unis. Un « super-entrepreneur » supplémentaire par million d’habitants est associé à une baisse du chômage de 0,88 point de pourcentage. Ce chiffre atteint 1,1 point de pourcentage pour la classe moyenne diplômée[1].
L’Europe est vaste, riche et instruite. Pourtant, elle prend du retard dans les secteurs émergents et dans la création d’entreprises à fort impact et forte croissance. Pourquoi ?
L’échec des approches descendantes pour promouvoir l’esprit d’entreprise
De nombreux gouvernements ont tenté d’élaborer des politiques visant à promouvoir l’esprit d’entreprise. La plupart de ces tentatives ne répondent toutefois pas aux attentes : les stratégies sont conçues et dirigées par des décideurs politiques qui ignorent le fonctionnement du marché et ont tendance à se concentrer sur des objectifs politiques plutôt qu’économiques. L’Union européenne, par exemple, a adopté en 2002 ce que l’on appelle dorénavant la « stratégie de Lisbonne ». Elle voulait faire de l’UE la plateforme de « l’économie de la connaissance » la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici 2010, grâce à la croissance, à l’innovation et aux investissements dans la recherche. Elle visait à stimuler l’esprit d’entreprise dans un environnement commercial compétitif. Bien avant 2010, les responsables européens ont admis que la « stratégie » était un échec retentissant.
La stratégie de Lisbonne ignorait l’impact crucial de la politique économique, des taxes et de la réglementation notamment. Elle aurait dû inclure des mesures qui auraient réduit les charges fiscales, simplifié et rationalisé la réglementation. Cela aurait permis aux entrepreneurs de se concentrer sur leur activité principale et de tirer parti des nouvelles technologies ainsi que des modèles commerciaux innovants. Cela aurait également encouragé davantage de personnes à courir le risque de créer une entreprise, contribuant ainsi à la croissance économique.
Bon nombre de ces projets financés par l’UE restent en suspens. Ce n’est pas surprenant : charger un fonctionnaire de sélectionner les projets à financer, c’est presque à coup sûr courir à l’échec.
Prendre des risques avec des fonds publics est une option controversée. Toute décision de ce type sera inévitablement scrutée par les médias et la population, ce qui est propre à rebuter des fonctionnaires. En outre, les règles qui régissent le secteur public sont conçues pour décourager le décideur qui voudrait tenter sa chance.
Les obstacles de l’UE à l’innovation et à l’esprit d’entreprise
La réglementation excessivement contraignante est un problème majeur. L’acquis communautaire (l’ensemble des lois et règlements de l’UE relatifs aux entreprises, aux associations caritatives et aux individus) est divisé en 35 chapitres ; il compte officiellement 110 000 pages et s’enrichit de quelque 5 000 pages par an.[2] Un corpus réglementaire d’une telle ampleur est un fardeau pour toute entreprise, en particulier pour les plus petites, qui sont moins armées pour satisfaire à ses exigences et n’ont pas les moyens de faire appel à un département juridique expérimenté.
L’économiste Leora Klapper et ses collègues ont analysé l’impact des réglementations sur la croissance des nouvelles entreprises, en utilisant une base de données collectées auprès de 3,3 millions de sociétés issues de 21 pays européens[3]. Les données confirment que des réglementations trop lourdes étouffent la création d’entreprises, en particulier dans les secteurs innovants. La concurrence est moins vive et, comme on pouvait s’y attendre, la croissance des entreprises en place est plus lente[4].
Les taxes ont également un impact important sur l’innovation et l’esprit d’entreprise. Une étude de la Tax Foundation montre que chaque augmentation de 1 % de l’impôt sur les sociétés aux États-Unis entraîne une diminution de 3,7 % des enregistrements de nouvelles sociétés[5]. Rien d’étonnant : les entrepreneurs évoluent dans un environnement incertain qui rend la rentabilité de leurs investissements imprévisible, et la fiscalité vient accroître les risques de pertes.
La bureaucratie et le protectionnisme de l’UE sont également problématiques. Leur principal objectif est de maintenir le statu quo dans les pays membres. Pourtant, le libre-échange et un environnement commercial concurrentiel sont essentiels pour promouvoir l’esprit d’entreprise. Les entrepreneurs gagnent à être libres, c’est ainsi qu’ils peuvent récolter les fruits de leurs idées et de leurs efforts. L’esprit d’entreprise et la liberté vont de pair : la corrélation entre le score global d’un pays à l’indice de liberté économique et son score à l’indice mondial de l’innovation est élevée (0,77)[6].
Enfin, l’approche relativement prudente de l’Europe en matière d’investissement constitue un gros obstacle, l’un des plus difficiles à surmonter. Les Européens n’ont pas une admiration particulière pour le monde des affaires et l’esprit d’entreprise. Selon une analyse des couvertures médiatiques, seuls 17 % environ des articles de presse en Allemagne les présentent de manière positive, contre 39 % aux États-Unis[7].
Conclusion
L’esprit d’entreprise requiert des conditions favorables non seulement aux entrepreneurs, mais aussi aux investisseurs, à leurs employés et leurs clients. Les entrepreneurs ont besoin d’un accès facile au capital, de compétences en matière de gestion, ainsi que d’un environnement politique et économique stable. Il ne peut y avoir d’entrepreneurs révolutionnaires sans droits de propriété garantis, sans environnement réglementaire simple et allégé, sans fiscalité réduite sur les bénéfices et les plus-values, ni sans bonnes formations. Ce n’est que lorsque ces conditions sont réunies, que peuvent s’exprimer des talents capables de concevoir des plans d’avenir et d’investir à long terme.
Article de Mohamed Moutii traduit de l’anglais.
[1] “Europe’s Entrepreneurial Deficit Is a Warning for the U.S.”, Nima Sanandaji, Klas Tikkanen et Kristoffer Melinder, September 16, 2022, City Journal, Economy, finance, and budgets https://www.city-journal.org/europe-entrepreneurial-deficit-a-warning-to-united-states
[2] Entrepreneurship: A Primer, By Eamonn Butler, Chap 9: “The Entrepreneurial Environment,” page 113, Oct 12, 2020.
[3] “Entrepreneurs and Regulations: Removing State and Local Barriers to New Businesses,” Chris Edwards, Cato Institute, MAY 5, 2021, POLICY ANALYSIS NO. 916 https://www.cato.org/policy-analysis/entrepreneurs-regulations-removing-state-local-barriers-new-businesses
[4] Leora Klapper, Luc Laeven, and Raghuram Rajan, “Entry Regulation as a Barrier to Entrepreneurship,” Journal of Financial Economics, 82, no. 3 (December 2006): 591–629.
[5] Watson, G. and Kaeding, N. (2019) “Tax Policy and Entrepreneurship: a framework for analysis.” Washington D.C.: Tax Foundation, April 3.
[6] Kim, A. (2020), “Economic Freedom: Promoting Economic Opportunity and Prosperity,” allocution à la Société du Mont Pélerin, Stanford University, Janvier.
[7] Matthias Jacobi, “Media judgment of entrepreneurial failure–implications for founders,” Technical University of Hamburg, 2018, semanticscholar.org.
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Surtout la France, Taxes, charges et contraintes maladie qui s’est propagée au sein des dirigeants de l’Europe. Il n’y a pas de mystère, plus ils y a de fonctionnaires, de services publics, de fainéants professionnels et de gens qui ne cotisent à rien, plus il faut de taxes, et de charges à payer et plus il y a des crétins pour montrer qui se sentent obligés à montrer leur grande prétention d’être dans un service public , au-dessus des autres pour leur coller des contraintes sur contraintes et pour être bien vu de leur hiérarchie des taxes sur des taxes. Et comme tous ces ânes sont devenus particulièrement nombreux à glander et à ne rechercher que des raisons pour briller davantage encore le résultat est devenu infecte à vivre.