L’Etat-providence nous dicte désormais ce qu’il faut manger, comment se soigner, quelle orthographe nous devons utiliser… Plus généralement, il veut modeler nos comportements en utilisant l’arme fatale de l’impôt qui prend aux uns pour donner aux autres et dont sont exonérés ceux qui obéissent aux injonctions de dépenses et d’attitudes tandis que sont pénalisés les récalcitrants. Une sorte de soviétisme doux en quelque sorte d’autant plus facilement populaire que plus de la moitié des foyers échappe à l’impôt sur le revenu qu’elle impose aux autres de payer plus ou moins selon leur docilité aux diktats de la nouvelle nomenklatura.
Cette intrusion de l’Etat dans la vie des individus par le biais fiscal est due en particulier à la prétention de l’Etat moderne à vouloir faire le bien plutôt que de se limiter à veiller au bien commun. Celui-ci consiste à permettre aux hommes, tous différents, de vivre ensemble dans le respect de règles partagées et essentielles. Le bien est, lui, du ressort des particuliers. Il est la quête ultime de l’homme. Avec l’Un, le Vrai, le Beau… il fait partie des transcendantaux que l’homme recherche sans cesse sans jamais être sûr de les connaître ni de les avoir trouvés.
Et lorsque l’Etat se substitue aux individus pour faire le bien, il peut se tromper à leur détriment, imposer un bien qui n’en est pas un. Ce ne peut donc être qu’avec d’infinies précautions, la main tremblante, que l’Etat peut s’engager dans cette voie hasardeuse du bien des autres. Lorsque la loi ne veut pas seulement sécuriser la propriété, mais la répartir, non seulement protéger la vie, mais faire le bonheur de tous, lorsqu’elle veut régir les rapports entre parents et enfants, supprimer la charité au profit de la seule justice, …elle prend le risque qu’à défaut de propriété garantie, tous soient plus pauvres, qu’un bonheur obligé soit le malheur de beaucoup, que les enfants ne soient plus éduqués… Car le législateur ne saurait choisir la vie et le bonheur des individus, il ne peut être parent à la place des parents, il ne saurait faire prospérer la propriété aux lieu et place des propriétaires.
«Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, comme celui d’un père envers ses enfants, [serait] le plus grand despotisme qu’on puisse concevoir »[[Kant, Théorie et Pratique, IIe partie, § 5]] prévenait déjà Emmanuel Kant en 1793.
C’est pourquoi l’impôt doit être neutre. L’impôt n’a pas à être l’instrument de la bienveillance de l’Etat parce que l’Etat n’a pas vocation à être bienveillant mais juste. A défaut, le risque est celui d’une violence illégitime, fondée sur aucune raison. Quand l’impôt est progressif, les limites de chaque tranche deviennent vite arbitraires. Et lorsque les impositions sont trop élevées, les niches se multiplient pour les rendre supportables comme autant de privilèges accordés injustement à certains au détriment de tous les autres.
Un impôt neutre est celui qui cherche à modifier le moins possible les situations de chacun tout en demandant aux citoyens de contribuer à la charge commune « à raison de leurs facultés », c’est-à-dire en proportion de leurs revenus ainsi que le proclame la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Des impôts neutres sont donc simples, proportionnellement égaux pour tous. Et parce qu’ils sont justes, ils sont efficaces. Une « flat tax » à 2% jusqu’ 8 000€ par part et 15% au-delà, accompagnée de la suppression de toutes les niches fiscales (hors le quotient familial et conjugal et les dons aux œuvres) rapporterait beaucoup plus que l’impôt sur le revenu actuel qui frappe certains revenus jusqu’à 64,5% !
Jean Philippe DELSOL,
avocat, président de l’IREF,
auteur de « L’injustice fiscale ou l’abus de bien commun » chez Desclée de Brouwer