L’Observatoire des inégalités -tout un programme…- vient de faire paraître son « Rapport sur les riches en France » dont il est indiqué qu’il s’agit de la première édition et qui en appellera sans doute beaucoup d’autres (Anne Brunner & Louis Maurin (dir.), Rapport sur les riches en France », Observatoire des inégalités, 2020, 101 p.). Concentrons-nous sur sa substantifique moelle.
Qu’est-ce qu’un riche ?
Alors que les études sur les pauvres et la pauvreté pullulent, les auteurs s’étonnent du peu d’intérêt que suscitent les riches en France du point de vue sociologique. L’objet est de combler une partie du vide en esquissant un portrait des riches en France (p. 4), sous deux angles qui constituent les parties du rapport : les revenus et la fortune.
Le rapport reconnaît qu’il n’existe pas de définition scientifique des riches. Il en propose, explicitement de manière subjective, une sous le double aspect des revenus et de la fortune. Est riche celui qui ne vit pas dans un autre monde certes, mais beaucoup plus largement celui qui se « détache du lot ». Pour cela, il faut « disposer chaque mois de deux fois plus que le niveau de vie médian -celui qui partage la population en deux-, soit 3.470 € pour une personne seule » (p.16), après impôts et prestations sociales (p. 17).
Les auteurs constatent ingénument que gagner 3.470 € par mois, ce qui correspond à 8,2 % de riches, est le fait de 5 millions de personnes en France… soit à peu près le nombre de pauvres (p. 28). « Etonnant hasard des choses », est-il écrit. Les auteurs n’en concluent pas que s’il y a 5 millions de pauvres, c’est qu’il y a 5 millions de riches, mais beaucoup sauteront le pas….
En revanche, l’Observatoire considère que pour fixer le seuil de fortune d’un riche, il faut qu’il dispose non pas de deux fois, mais de trois fois du patrimoine médian, soit 490 000 € (p. 70). Pourquoi ? Parce qu’alors, seuls 16 % et non 25 % des ménages sont concernés, ce qui est sans doute moins dangereux politiquement.
Sales millionnaires, sales milliardaires !
Pas question de se concentrer sur les millionnaires ou, pis, les milliardaires. Certes, les appréciations moralisatrices se rencontrent fréquemment sous la plume de nos auteurs : « L’enrichissement d’une poignée de « premiers de cordée » est indécent » (p. 6) ; en termes de patrimoine, la « répartition ultra-inégale du gâteau est choquante » (p. 80) ; les « chiffres astronomiques » des deux plus grandes fortunes de France « sont effectivement effarants et en disent long sur notre société qui laisse s’accumuler ainsi d’immenses patrimoines » (p. 88). De là aussi, les comparaisons permanentes et démagogiques avec ce que représentent les revenus et patrimoines des riches « en années de smic ».
Comme toujours à la gauche de la gauche, les mérites de ceux qui gagnent plus que vous sont évincés. Les rémunérations des grands patrons sont « démesurées »… par rapport à quoi, on ne sait (p. 58). Pour ce qui concerne les acteurs et surtout les sportifs de très haut niveau, nos auteurs semblent plus embarrassés. Comment justifier leurs hauts revenus ? La lutte des classes n’est jamais loin (p. 61). Le lecteur ne peut réprimer un dégoût devant ces lignes venimeuses et aigries de personnes qui n’ont pas un milliardième du talent des personnalités qu’elles osent vitupérer.
Du 1 % des plus riches aux 10 %
L’originalité de ce rapport qui s’enorgueillit d’être « une première en France » (p. 4) est ailleurs. Il s’agit bien d’élargir la définition du riche. Il faut absolument que les 10 % les plus aisés soient considérés comme tels (p. 6). Et cela sur un fond de scientificité puisque le lecteur est soulé sous les chiffres et autres tableaux. La « bibliographie », réduite à quelques lignes, renvoie aux bons auteurs, entre autres l’économiste Thomas Piketty et les inénarrables sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Quant à la revue Alternatives économiques, elle est d’autant plus en première ligne que certains des auteurs lui sont étroitement liés.
L’objectif est en réalité double. D’abord, critiquer Emmanuel Macron, le « Président des riches ». Même si l’expression n’est pas employée, le rapport stigmatise à plusieurs reprises les mesures favorables aux plus aisés, à commencer par l’Impôt de solidarité sur la fortune « taillé en pièces » et l’imposition des revenus financiers « fortement réduite » (p. 10). Sous la plume de nos auteurs, il semble que l’hexagone soit devenu le paradis des riches….
Ensuite et surtout, il s’agit, de manière démagogique là encore et assez pitoyable, de stigmatiser une catégorie de population suffisamment -mais pas trop- étendue et de tenter de lui donner mauvaise conscience. En effet, la plupart des personnes gagnant 3.470 € par mois après impôts et prestations sociales, la plupart des personnes disposant d’un patrimoine de 490.000 €, ne devraient pas se sentir riches. A tort. En effet, les personnes qui osent avoir de tels revenus et un tel patrimoine, cette partie des « classes favorisées » -par qui ?-, qui se fait appeler « classes moyennes supérieures », « cherchent à échapper à l’effort collectif ». On ne saura jamais comment car ces personnes n’ont pas, pour l’essentiel d’entre elles, les revenus et le patrimoine suffisants pour s’adjoindre le bénéfice de conseils fiscaux renouvelés et elles se trouvent matraquées fiscalement et socialement. Il semble que nos auteurs, pourtant férus de statistiques, ne connaissent pas les chiffres de la concentration de l’impôt sur les revenus entre autres….
Oh lecteur inconscient ! Tu ne savais pas qu’avec tes 3.470 €, certes, tu n’avais pas « toujours (sic) le pouvoir de contrôler la vie des autres », à l’encontre de la haute bourgeoisie dont il est martelé qu’elle prend dans les beaux quartiers « les décisions économiques et politiques du pays » (p. 47), mais tu as « celui de choisir [ton] lieu de vie, ou mode de vie et de profiter des bienfaits de la société de consommation [capitaliste…]. Se loger dans un espace confortable, s’acheter des vêtements sans compter, partir en vacances, mettre de l’argent de côté pour se prémunir en cas de problèmes » (p. 16). Les auteurs se sont-ils relus avant d’écrire pareilles billevesées?
Il ne faut donc pas focaliser son attention, selon nos auteurs, sur la « haute bourgeoise », ce 1 % qui gagne le plus, qui détient le plus haut patrimoine, il faut s’attaquer aux 9 % qui suivent.
Taxer plus
Car là est l’objectif ultime, répété à satiété dans le rapport. Si les pauvres sont pauvres, c’est à cause des riches : « Nous constatons une distribution des richesses souvent trop inégale pour être juste. La pauvreté est le résultat de cette situation. On ne peut pas à la fois déplorer la démesure des uns sans mettre en cause les privilèges (sic) dont jouissent les autres ». Pour « moderniser les services publics » et « refonder la solidarité sur une base très large », il va falloir taxer les méchantes personnes qui gagnent des revenus indécents -3.470 € au moins, rappelons-le- et qui ont un patrimoine qui ne l’est pas moins -490.000 €-. « Susciter un débat sur les niveaux de la richesse » aiderait à « discuter des niveaux de contributions possibles en fonction des revenus, contributions nécessaires au fonctionnement de la collectivité » (p. 30). Les inégalités perdurent aussi par le biais des successions et des donations : « les enfants de riches en patrimoine le deviennent à leur tour, sans n’avoir rien à faire » (p. 99). Ainsi, la « reproduction des inégalités » profite aux enfants qui n’ont « d’autre mérite que d’être nés dans la bonne famille » (p. 70).
En substance, définir le riche pour le stigmatiser et le massacrer fiscalement, tel est l’objectif d’une colossale finesse poursuivi par l’Observatoire des inégalités. Il ne vient pas à l’esprit de nos auteurs que les revenus des individus leur sont propres et que la personne qui a constitué un patrimoine soit libre de le transmettre à ses héritiers de manière on ne peut plus légitime. Cet argent, ce patrimoine appartiennent aux individus, et non pas à l’Etat et à ses séides. Tant que nous ne nous déprendrons pas de l’idée, bien connue depuis les solidaristes, que revenus et patrimoines n’appartiennent pas à la collectivité, il ne faudra pas s’étonner du climat de luttes des classes qui sévit en France et du caractère démagogique de certains hommes politiques qui cultivent, avec la collaboration de prétendus intellectuels, les sentiments les plus envieux des électeurs.