Au mois de mai, l’Assemblée nationale avait examiné une proposition de loi, en apparence anodine, de régularisation du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) de la communauté de communes du Bas-Chablais.
Il s’agissait d’un projet de construction d’autoroute entre Thonon-les-Bains et Annemasse qui traînait depuis les années 80 et qui, de recours en recours et d’études d’impact en études d’impact, avait fini par être intégré dans le PLU des communes concernées. Mais à la suite du remodelage des intercommunalités, une erreur mineure avait été commise dans l’intégration du projet au nouveau PLUI, bloquant son avancée et nécessitant une validation législative postérieure.
Cet exemple parmi d’autres illustre parfaitement les méfaits, dans notre pays, du matraquage de normes sur l’initiative, privée comme publique.
Un flux normatif incontrôlé et coûteux
Depuis 1966 et le fameux discours de Georges Pompidou[1], les gouvernants successifs n’ont cessé de fustiger le surplus de règles juridiques sans parvenir à trouver aucune solution pérenne. Depuis le début des années 2000, nombre de lois de simplification ont été mises en œuvre sans succès, y compris le « choc de simplification » voulu par François Hollande en 2013.
Depuis 2002, selon le Sénat, le nombre d’articles législatifs a augmenté de 76 % et le nombre d’articles réglementaires de 56 %, soit respectivement 93 959 et 253 118 articles. Cette immense masse normative représente au total plus de 14 millions de mots, en augmentation de 141 % en vingt ans. Les stocks de normes identifié, c’est-à-dire les normes étatiques, s’élèvent à 44,1 millions de mots ; le reste, les normes locales des autorités déconcentrées ou indépendantes, ainsi que celles qui sont issues de conventions collectives, n’est même pas connu. Une frénésie normative qui n’a pas diminué sous le quinquennat de l’actuel locataire de l’Elysée.
Pendant la même période, les codes les plus utilisés par les entreprises ont littéralement explosé en volume, tel que le code de l’environnement (+ 689 %), le code du commerce (+ 365 %), celui de la consommation (+ 333 %) ou du travail (+ 224 %).
Le rôle du Parlement, en l’espèce, est assez délétère et il n’est pas rare qu’une loi double ou triple de volume lors de la navette parlementaire. Les études d’impact des projets de loi (les propositions de lois n’en disposent même pas) ressemblent plus à des exposés un peu étoffés des motifs qu’à de véritables études sur la portée des politiques publiques.
La dernière évaluation, par l’OCDE, du coût total de cette surabondance de réglementation date de 2010 : 60 Mds€, soit 2,7 % du PIB, mais l’Union européenne avait avancé des chiffres supérieurs en 2006 (3,7 % du PIB). Pour l’Institut de socio-économie des entreprises et des organisations de l’université Lyon 3, ce serait même plutôt entre 6 et 8 % du PIB, si l’on tient compte des irrationalités de gestion induites par les règles publiques, entraînant les entreprises à ne pas se lancer dans des activités qui auraient pourtant pu produire de la valeur ajoutée si elles avaient pu agir en toute liberté.
La pression normative s’applique aussi aux collectivités locales et notamment aux maires des communes les plus petites, qui ne disposent pas de l’ingénierie suffisante pour se prémunir contre tous les risques juridiques.
Selon un rapport des sénateurs Françoise Gatel et Remy Pointereau, certains élus locaux parlent même de « harcèlement textuel » et 70 % d’entre eux voient comme une priorité la diminution de la pression réglementaire.
Des politiques de réduction des normes réalisées avec succès : l’exemple des Pays-Bas et de la Suisse
Entre 2012 et 2017, la Hollande a réduit la pression réglementaire sur ses entreprises de 2,5 Mds€ par une politique rigoureuse de simplification des normes. Chaque Gouvernement, à son entrée en fonction, remet un programme avec des objectifs chiffrés en la matière et s’appuie, pour l’estimation de la charge réglementaire (ATR), sur une autorité indépendante, le Comité consultatif. Celui-ci évalue l’impact des lois via des « test-PME » sur des sociétés types, en concertation avec les fédérations professionnelles.
Entre 60 et 70 % des recommandations de l’ATR reçoivent un avis favorable de l’Exécutif qui rédige chaque année un rapport résumant les observations des entreprises sur les difficultés qu’elles rencontrent à appliquer la loi.
Cette politique couronnée de succès a aussi été appliquée par la Suisse mais avec une focalisation sur les PME. Depuis 1999, n’importe quelle loi doit évaluer son impact sur celles-ci, le « test PME » ayant été généralisé en 2013 et rendu obligatoire pour les projets de loi touchant plus de 10 000 entreprises.
Une commission extra-parlementaire, dont 70 % des avis sont suivis, est chargée d’accompagner ce mouvement en produisant des analyses qui ciblent les allégements réglementaires idoines. Une simple révision des règles comptables a, par exemple, permis au secteur privé de réaliser plus d’1,5 Mds€ d’économies.
À la lumière des exemples venus de l’étranger, une révision constitutionnelle devrait consacrer la simplification comme objectif à valeur constitutionnelle, et rendre obligatoire que chaque proposition de loi soit accompagnée d’une étude d’impact, évaluée techniquement et pour vérifier son efficacité et non du seul point de vue juridique.
De même, le CNN (Conseil national des normes) devrait être une autorité administrative indépendante composé des représentants du secteur privé à même de contrôler qualitativement l’incidence de toutes les lois sur la vie des sociétés, via des tests PME comme ceux que pratique la Suisse.
Au-delà de cet indispensable effort de simplification, c’est tout une culture qu’il appartient de remettre en cause. Nos parlementaires et notre élite technocratique n’ont, pour paraphraser Adam Smith, ni la sagesse ni le savoir suffisant pour réguler les initiatives privées comme publiques dans l’intérêt de tous. Certes, le monde moderne est incontestablement plus complexe que celui qu’ont connu nos aïeux. Mais il ne nécessite pas pour autant plus de lois et règlements. Ce qu’il faut pour encadrer les interactions dans un monde d’une riche complexité ce sont des règles simples au premier rang desquelles se trouvent liberté et responsabilité.
[1] « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays ».
7 commentaires
Il n’y a pas forcément besoin d’un secrétariat d’État ou un Conseil machin-truc.
Gaspard Koenig avait brillamment définit les contours d’une vraie simplification des normes. Transformer les textes de lois en principes, pouf tous les codes. On pense notamment aurapport Badinter sur le code du travail.
Tous les codes étaient bien établis, là ça devient la jungle
Il faut avoir le courage de refaire tout cela en plus simple
cela bloque le fonctionnement de toutes les administrations, beaucoup plus de recherches, beaucoup plus de temps c’est de la folie
A chaque problème son texte, parfois contradictoire avec un précédent qu’on a ignoré, le plus souvent non appliqué : aucune action, aune solution, aucun courage politique… On nous amuse, ou plutôt on nous abuse. La loi n’est plus qu’un support d’éléments de langage largement diffusés par le clan des copains de la promotion ENA de Macron, pur diffuseur de propagande. Prendre exemple sur l’étranger serait salutaire en effet, mais n’oublions pas que nos « gouvernants » sont tellement plus intelligents que les autres…
Sait-on combien nous coûtent les fonctionnaires payés pour faire fonctionner cette machine « à emmerder les Français » ?
Ils ont même normalisé les dimensions des boîtes de camembert, le volume des chasses d’eau pipi/caca ainsi que les dimensions des cercueils ! Nos députés nationaux et européens sont vraiment très occupés !
La France est un pays formidable: quand nos élites veulent simplifier, ils créent une strate supplémentaire… cf. la dernière réforme territoriale ! Et il en va de même dans tous les domaines. Le parlement pond des textes à grande vitesse et les empilent sans rien retirer ni remanier l’existant… ce qui devrait être la règle, évidemment, c’est plus facile. Illustration pratique avec la différence d’épaisseur entre le code du travail Suisse et Français… qui pourrait être risible si elle ne traduisait le mal profond de nos pratiques parlementaires .
Ceci n’a qu’un objectif : interdire l’accès au marché au petit capital.