Depuis une décennie, les gouvernements successifs se disent mobilisés contre l’augmentation inexorable du chômage. Pourtant, les chiffres du chômage structurel, c’est-à-dire le taux de chômage lié, non à la mauvaise santé de l’économie, mais à d’autres facteurs tels que la rigidité du marché du travail, ne sont pas bons. Comme on peut s’en douter, les timides réformes entreprises n’ont jamais vraiment eu d’effet sur l’emploi ; non pas que les moyens mis en œuvre soient insuffisants, mais parce que les sources du problème sont ailleurs. C’est parce que les politiques de lutte contre le chômage sont mal ciblées que les gouvernements sont incapables d’en inverser la courbe.
Le chômage structurel, principale cause du chômage de masse
Le taux de chômage structurel est un taux de chômage théorique qui ne tient pas compte des effets conjoncturels, c’est-à-dire des fluctuations de court terme directement liées aux chocs économiques. Autrement dit, il s’agit du taux de chômage d’équilibre pour lequel l’offre et la demande de travail ne convergent pas. Dans les années 1960, Milton Friedman a montré que, même lorsque le marché est à l’équilibre (toute l’offre est égale à la demande), un certain taux de chômage subsiste. Ce chômage est dû aux frictions sur le marché du travail où, à un même moment toute l’offre et la demande ne peuvent s’égaliser. Par exemple, une personne qui perd son emploi, mais dont les qualifications ne sont pas celles requises par un employeur potentiel, va rester un temps au chômage, alors même qu’il existe des offres non pourvues.
Ce taux de chômage structurel ne peut pas être observé empiriquement. Les économistes utilisent donc une méthode d’évaluation statistique pour l’estimer. Ainsi, on calcule le taux de chômage pour lequel il n’y a pas de croissance des salaires (NAWRU, pour Non Accelerating Wage Rate of Unemployment en anglais). En effet, lorsque le marché de l’emploi est à l’équilibre – ni surproduction, ni sous-production –, les salaires ne peuvent varier qu’en fonction de la productivité globale des facteurs, qui rend compte de l’influence du progrès technique sur le travail et le capital.
Dans le calcul du NAWRU, les économistes ont également intégré des éléments dits « non-structurels », c’est-à-dire d’autres facteurs que la rigidité du marché du travail qui influencent ce taux. Il s’agit notamment des taux d’intérêt, de la baisse de la demande agrégée (c’est-à-dire à l’échelle du pays, la demande totale en produits finis et en services) lors des chocs économiques, de la productivité globale des facteurs, et des cycles économiques sur le marché immobilier, notamment l’impact dans le secteur de la construction[[ORLANDI Fabrice, Structural unemployment and its determinants in the EU countries, European Commission
Directorate-General for Economic and Financial Affairs, Economic Papers 455, May 2012.]].
En 2013, le taux de chômage structurel (NAWRU) en France est l’un des plus élevés d’Europe occidentale[[Dans cette analyse, nous avons pris en compte les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède. Ces pays sont relativement comparables en termes d’objectifs de protection sociale et de politiques publiques, ce qui nous permet de mieux comparer les facteurs d’influence dans la différence des taux.]], juste après l’Italie[[L’Espagne et l’Irlande connaissent certes un taux nettement plus élevé, mais leur situation économique désastreuse à la suite de la crise de 2008 est notamment due à la forte dépendance de la croissance de ces deux pays au marché immobilier, qui contribua à la hausse du taux de chômage structurel.]]. Il s’élève à 9,5 %, pour un taux de chômage de 10,3 %, soit une différence de 0,8 point. Sur la longue période (2003 – 2013), seule l’Espagne fait, en moyenne, moins bien que la France (cf. Tableau 1). Pourquoi la faible différence entre le taux de chômage et NAWRU en France est-elle inquiétante ?
Quand on observe cette différence sur la période 2003 – 2013, et que l’on calcule la dispersion des données de cette différence par rapport à la moyenne (l’écart-type pour les statisticiens), on remarque que pour un taux de chômage de 10 %, le taux de chômage d’équilibre devrait être au minimum de 9,3 %[[ Pour des raisons statistiques, le taux de chômage structurel peut varier entre 9,3 et 10,7 %, pour un taux de chômage observé à 10 %. Un taux NAWRU supérieur au taux de chômage n’est pas contradictoire, cela signifie que le taux de chômage tend vers cet équilibre et que les variations autour de ce taux d’équilibre théorique dépendent des effets conjoncturels.]] (avec un écart-type de 0,687, Tableau 1). Une forte dispersion ne signifie pas obligatoirement que le taux de chômage évolue dans le bon sens, ou que les politiques consacrées au marché de l’emploi soient les bonnes. Par contre, elle indique à quel point le chômage structurel s’écarte du taux de chômage observé (à la baisse ou à la hausse) et donc l’influence de la conjoncture sur le taux de chômage.
De fait, ce faible écart-type implique que le chômage est principalement d’origine structurelle en France. Cela ne poserait pas de problèmes si l’on était proche du plein-emploi (et l’écart-type peu élevé), comme c’est le cas au Luxembourg, en Autriche ou en Finlande (cf. Tableau 1). Mais la combinaison d’un haut taux de chômage structurel et d’un faible écart-type confirme que les différentes réformes touchant le marché de l’emploi n’ont pas fait baisser le chômage. Pire, la situation a même tendance à s’aggraver, alors que le NAWRU est déjà très élevé.
Pays/Variable | Taux de chômage observé (moyenne 2003 – 2013) | Taux de chômage structurel[[Il s’agit d’un taux théorique calculé à partir de modèles complexes, c’est pourquoi on observe parfois un taux de chômage inférieur au taux structurel (cf. Tableau 1).]] (moyenne 2003 – 2013) | Effet Conjoncturel (Ecart-type, 2003 – 2013)[[Il s’agit ici de l’écart-type, c’est-à-dire la dispersion des données par rapport à la moyenne. Ces données s’étalent sur la période 2003 – 2013. Cette dispersion est calculée sur la base de la différence entre le taux de chômage observé et le taux de chômage structurel sur la période. Plus cet écart-type est important, plus les effets conjoncturels ont influencé le taux de chômage observé, et plus il est faible, plus les effets structurels expliquent le chômage. Néanmoins, l’utilisation de l’écart-type reste une approximation et il faudrait conduire une analyse économétrique plus poussée pour évaluer plus précisément les effets conjoncturels et structurels sur le taux de chômage.]] |
Belgique | 7,94 | 7,74 | 0,482 |
Danemark | 5,67 | 5,22 | 1,413 |
Allemagne | 8,15 | 7,89 | 0,954 |
Irlande | 8,86 | 8,41 | 1,915 |
Espagne | 15,44 | 14,55 | 4,124 |
France | 8,94 | 9,23 | 0,687 |
Italie | 8,29 | 8,52 | 0,936 |
Luxembourg | 4,78 | 4,46 | 0,386 |
Pays-Bas | 4,57 | 3,93 | 0,768 |
Autriche | 4,55 | 4,17 | 0,412 |
Finlande | 7,95 | 7,41 | 0,541 |
Suède | 7,44 | 6,38 | 0,688 |
Royaume-Uni | 6,33 | 6,00 | 1,113 |
Source : Eurostat, AMECO, calculs de l’auteur |
La France, cumularde des effets délétères sur le marché de l’emploi
Logiquement, un pays qui enregistrerait un fort taux de chômage dû à des chocs extérieurs, conjoncturels, devrait avoir un fort écart-type, comme c’est le cas en Espagne ou en Irlande. Or la France n’est pas dans ce cas ; son écart-type n’est pas très important ! L’idée que le chômage de masse est lié à une période de crise, relève donc plus de la complaisance de notre classe politique, que d’une réalité économique.
La productivité globale des facteurs ralentit, et les faibles taux d’intérêt ne font pas repartir l’investissement. A moyen-long terme, ils pourraient même avoir un effet délétère sur l’emploi en faisant augmenter les risques d’une mauvaise allocation des ressources (comme ce fut le cas pendant la crise immobilière de 2008 – 2009 aux Etats-Unis). Quant à la loi ALUR, qui réglemente un peu plus le marché immobilier, elle vient rajouter des barrières au secteur de la construction, déjà très à la peine. Bref, la France cumule tous les facteurs favorisant l’accélération du taux de chômage d’équilibre. L’attente d’une forte croissance n’aura aucun effet magique sur le retour au plein emploi si rien n’est entrepris en amont pour flexibiliser le marché du travail.
Les Allemands l’ont parfaitement compris et les lois Hartz, mises en place entre 2003 et 2005 et qui visent à adapter rapidement le marché du travail à la situation économique ont, au regard de ces quelques chiffres, largement bénéficié à l’ensemble des travailleurs. Ainsi, l’Allemagne a vu son NAWRU passer de 9,3 % en 2003 à 5,6 % en 2013, un taux presque divisé par deux en 10 ans ! D’après une note du FMI[[BLANCHARD Olivier, JAUMOTTE Florence, LOUGANI Prakash, Unemployment, labour-market flexibility and IMF advice: Moving beyond mantras, Sur voxeu.org, 18 October 2013.]], il semblerait que la bonne solution ne soit pas de protéger l’emploi en tant que tel, mais de protéger les travailleurs en favorisant le retour à l’emploi plutôt que la conservation à tout prix de celui-ci. Pour réduire le chômage, il faut donc s’attaquer à ses raisons structurelles, telles que la rigidité et la complexité excessives des dispositions législatives contenues dans le code du travail, qui n’offrent aux entreprises que trop peu de flexibilité et ajoutent à leurs difficultés d’adaptation à la législation à laquelle elles sont soumises.
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Le système le plus stupide du monde
La France, depuis des années, a mis en place un système soviéto-socialiste. Aucune réforme de structure n'a été mise en place…? Pas un centime d'économies sur les dépenses publiques, sociales, etc…. Tout, absolument tout, est géré par l'état et, si ce n'est pas le cas, il mettra tout en oeuvre pour couler le secteur privé par des règlements, des normes imbéciles…. La plus grande des catastrophe…
L'état qui chaque jour continue à endetter la France pour régler ses dépenses courantes….?
N'importe quel idiot comprendrait qu'un particulier ne peut faire ses courses en empruntant en permanence…!
L'état se comporte comme un couple qui gagnerait 2000 € par mois et qui en dépenserait 4000 € en ayant, en plus, une dette à la banque de 2 millions d'euros.
Expliquez-moi comment ce système peut fonctionner ?
Le seul Pays au monde qui prélève 80 % de la richesse créée par le secteur privé, pourtant le seul à alimenter les caisses de l'état…?
Comment s'étonner du résultat. La France est cuite, archi cuite. c'est trop tard.