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Le président Macron, Machiavel et Dame Fortune

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L’allocution du président de la République sur la menace russe, le 5 mars, a dominé l’actualité française des derniers jours. Elle ne mérite ni l’excès d’honneur ni l’excès d’indignité que l’on entend dans les commentaires, tous marqués par des biais partisans. Il reste qu’elle portait sur un enjeu bien réel et demeurera sans doute comme l’une des meilleures d’Emmanuel Macron, ne serait-ce que par une brièveté à laquelle il ne nous avait pas accoutumés.

Si l’on place ce discours dans perspective historique, un fait troublant apparaît : depuis 2018 et la crise des Gilets jaunes  en passant par la Covid, la crise énergétique et – déjà – la question ukrainienne lors de l’agression russe, le chef de l’Etat a su surfer sur une série de vagues dramatiques. Elles l’ont à chaque fois remis au cœur du jeu politique et l’ont fait remonter dans des sondages en berne. Elles lui ont surtout permis de fixer l’agenda national et d’éviter d’autres sujets, et non des moindres : en ce moment même, les tensions avec l’Algérie et la situation scandaleuse de Boualem Sansal, le déchaînement de violence au Moyen-Orient, et qui reprend en Syrie, la fragilité sans précédent des finances publiques, la pyramide de Ponzi des retraites, la perte totale de maîtrise de l’immigration, l’envolée de la délinquance, le net ralentissement de l’économie. Last but not least : les doutes sur l’avenir immédiat d’un président sans majorité et sur qui plane la menace d’une procédure de destitution.

Emmanuel Macron, le Mozart de la vague

Les mauvais esprits ne peuvent s’empêcher de voir dans cette « providence » une manÅ“uvre savamment calculée, fondée sur un verbe présidentiel omniprésent depuis le voyage à Washington et relayée par ses fidèles soutiens politiques et médiatiques. Plus que sur le réconfort attendu de la « parole du chef », le Président a joué sur les peurs d’un pays désorienté et vieillissant, comme le montre la réaction de la population à un discours perçu comme anxiogène. Ce faisant, il a misé sur le tempérament politique contradictoire d’un peuple que Tocqueville a si bien décrit dans l’un de ses grands paradoxes : « Les Français comptent toujours, pour se sauver, en un pouvoir qu’ils détestent, mais se sauver par eux-mêmes est la dernière chose à laquelle ils pensent. »

Cet habitus national avait déjà été exploité lors de la crise de la Covid et des débuts de la guerre d’Ukraine qui ont assuré à Emmanuel Macron une réélection facile au terme d’une étrange « non-campagne », où la question attendue de son bilan comme président fut purement et simplement escamotée. Comme l’avait été d’ailleurs en 2017 celle de son programme, grâce à la providentielle affaire Fillon qui accapara le débat public. L’on espère à l’évidence en haut lieu que les mêmes causes produiront les mêmes effets. Emmanuel Macron n’a-t-il pas déjà repris 7 points dans les sondages ?

Le lion machiavélien est un peu blessé, mais le renard toujours en alerte

Après tout, peut-on reprocher cette manœuvre à un dirigeant qui cherche par définition à se maintenir au pouvoir ? Et qui connaît par cœur l’œuvre qui pose précisément cette question de technique (et non de morale) politique : à savoir Le Prince de Machiavel, auquel notre actuel président a consacré un mémoire universitaire, que l’on aimerait tant lire mais qui semble aussi protégé que les secrets du Vatican…

Il en a, en tout cas, visiblement déduit quelques solides enseignements : d’abord la double figure du lion (la force) et du renard (la ruse) – qui est d’ailleurs l’emblème de Sciences Po où le jeune Emmanuel brilla tant. Certes, le « lion machiavélien » a les griffes un peu élimées depuis la dissolution ; mais malgré sa diminutio capitis, notre prince est aidé par une donnée constante depuis huit ans : il n’y pas (encore) d’alternative politique crédible ou, plus exactement, le débat public repose toujours sur ce postulat. De ce fait, la confrontation exclusive avec le RN a été la martingale et l’assurance-vie politique d’Emmanuel Macron depuis 2017, législatives de 2024 incluses.

Surtout, il faut lui reconnaître le tempérament de renard, qui sait, par la ruse, s’adapter aux vents contraires : rappelons l’audace de sa candidature en 2016, la superbe manœuvre du « grand débat » après les Gilets jaunes, la gestion de la Covid, aussi sanitairement discutable que politiquement habile car il a, durant deux années pleines, confiné le débat public tout autant que les Français.

Machiavel, l’influenceur

Et c’est là que Machiavel lui aura été le plus secourable. Dans un monde livré comme jamais aux caprices de « Dame Fortune » (Fortuna est la déesse romaine du hasard), notre président a parfaitement compris le conseil du maître florentin au chapitre 25 du Prince : « Ainsi, par exemple, un prince gouverne-t-il avec circonspection et patience: si la nature et les circonstances des temps sont telles que cette manière de gouverner soit bonne, il prospérera; mais il déchoira, au contraire, si, la nature et les circonstances des temps changeant, il ne change pas lui-même de système […] Je pense, au surplus, qu’il vaut mieux être impétueux que circonspect. [La Fortune] est toujours amie des jeunes gens, qui sont moins réservés, plus emportés, et qui commandent avec plus d’audace ». D’où les changements de pied et de cap de notre impétueux Prince pour coller à une réalité aussi mouvante. D’où notamment le vrai tournant de sa présidence, que les historiens dateront assurément de la crise des gilets jaunes : après un moment de sidération à l’automne 2018 qui le fit à l’évidence vaciller, le promoteur disruptif de la start-up nation a laissé place au monarque dispendieux du « n’importe quoi qu’il en coûte », pour reprendre le trait acéré de David Lisnard.

Tout et son contraire… jusqu’où, jusqu’à quand ?

Force est donc de constater l’efficacité des mutations successives d’un dirigeant qui aura, au gré des circonstances, dit tout et son contraire : sur la Russie, sur l’Algérie, sur les finances publiques, sur le nucléaire, sur le modèle social ou sur la mémoire nationale. Seuls l’engagement européen (mais quelle Europe ?), le plaidoyer (plus que les actes) en faveur de la production et la gouvernance verticale des « sachants » seront restés des constantes de la parole et de la pratique macroniennes. Tant le saint-simonisme (dans sa version « État-nounou ») en constitue la matrice idéologique véritable; et en aucun cas le libéralisme, comme voudrait nous le faire croire la vulgate de gauche à laquelle s’accroche – comme toujours – une partie de la droite, y compris libérale…

Demeure la question du succès pérenne de ce dispositif. Peut-on encore à l’heure des réseaux sociaux être sûr que « la simulation et la dissimulation » recommandées par Machiavel ne seront pas démasquées ? Que la multiplication des séquences de com’ et des discours contradictoires ne finiront pas par lasser ? Nul prince, aussi habile soit-il – Machiavel en dresse aussi la liste – n’est garanti contre les aléas de Dame Fortune qui, comme lors de la Renaissance italienne mais cette fois sur le grand théâtre du monde, aura rarement été aussi imprévisible.

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