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La doctrine sécuritaire de proximité peine à montrer son utilité

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En 2002, le thème de l’insécurité avait émergé dans la campagne présidentielle opposant Jacques Chirac à Lionel Jospin. Il était devenu récurrent et, au passage, avait été une des causes de l’échec de l’ancien Premier ministre. Vingt ans après, la situation n’a pas beaucoup changé. Etat des lieux.

En 1998, Jacques Chirac, avec son ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, il avait instauré un nouveau système basé sur un îlotage des quartiers, que l’on a appelé « police de proximité ». Pour de multiples raisons, entre autres un fonctionnement trop centralisé et un traitement peut-être trop timide de la répression, ce fut un échec flagrant.

La police de proximité a été supprimée en 2003, et deux doctrines s’opposent désormais : l’une d’intervention classique qui considère que le rôle d’un policier « n’est pas de jouer au foot avec les jeunes » (comme l’avait déclaré Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur) et l’autre centrée sur la prévention.

Au début de son premier mandat, Emmanuel Macron, sans remettre en cause le système global, s’est un peu inspiré de la seconde en recrutant 10 000 policiers et gendarmes pour muscler la création d’une police de sécurité du quotidien (PSQ) et d’une police des « quartiers de reconquête républicaine » (QRR).

Le zonage des quartiers sensibles n’a pas produit d’impact sensible sur le niveau de délinquance.

En son temps, François Hollande avait créé 80 zones de sécurité prioritaires (ZSP) disposant de renforts de police spécifiques (de trois et cinq agents). Objectif affiché : donner plus de moyens aux forces de sécurité dans les zones les plus difficiles, rapprocher la police de la population, lutter contre les petites incivilités qui empoisonnent la vie quotidienne, telles que les rodéos, les occupations de halls d’immeubles ou les actes de malveillance gratuits.

L’actuel président de la République, avec 1300 policiers supplémentaires affectés dans 62 quartiers de reconquête républicaine, s’inscrit dans la continuité de cette politique. Le problème est que ces QRR et les ZSP se marchent parfois sur les pieds, même si les forces affectées aux zones de sécurité prioritaires, CRS et gendarmes mobiles, ont été redirigées vers la lutte contre le terrorisme en 2016. Il est aussi, et surtout, que le niveau de délinquance n’a pas beaucoup baissé.

Les QRR doivent en principe faire l’objet d’une évaluation mais l’organisme qui en est chargé, le « Lab PSQ », se contente la plupart du temps de recenser les moyens mis en œuvre ou d’enquêter sur la satisfaction du public. Cela ne donne pas beaucoup d’informations sur l’efficacité du dispositif, qui laisse dubitatif. Le graphique ci-dessous montre d’ailleurs que les QRR ont de très bonnes performances depuis 2018 et il n’y a qu’une période 2017/18 pendant laquelle ils ont fait moins bien que la.police[1] :‍‍‍‍

Notons qu’un phénomène n’est pas mesuré : celui du déplacement de l’insécurité des banlieues dans les centres-villes.

Les dépenses sécuritaires augmentent, la justice traîne les pieds

Nous avons il y a peu évoqué le peu d’efficience de la dépense publique allouée à la sécurité intérieure, notamment si l’on considère le nombre de gardiens de la paix présents sur le terrain. Selon Jérémie Vandenbunder, auteur d’une étude sur les coûts du crime, les dépenses de sécurité visant à faire diminuer le nombre d’infractions ont doublé entre 1996 et 2018, pour atteindre 51 Mds€, dont 57 % assumés par la puissance publique et le reste par le secteur privé.

Nous avions indiqué qu’entre 2017 et 2023, la somme des dépenses consacrés à la police et à la gendarmerie était passée de 19,1 à 23 Mds€ (en autorisations d’engagement), soit une augmentation de plus de 20 %, un chiffre qui monte à 40,5 % si l’on part de 2010. Il faut savoir aussi que les polices municipales sont de plus en plus sollicitées par l’État qui leur a confié de nouvelles prérogatives avec l’adoption de la loi sécurité globale. Leurs effectifs sont en constante progression : environ 19 500 en 2012, plus de 25 000 en 2021.

Malgré ce déploiement de moyens, et même avec le concours de l’armée dans le cadre de l’opération sentinelle, le niveau général d’insécurité n’a pas baissé en France.

Peut-être faut-il en chercher l’une des raisons dans l’attitude des magistrats lorsqu’il s’agit de petits délits : beaucoup font du social plus que du droit, et les décideurs publics ne se sont jamais vraiment attaqués à cette culture de l’excuse prédominante. Comme le note le professeur et criminologue Maurice Cusson, celle-ci remet directement en cause ce que Beccaria, juriste et théoricien du droit du 18e siècle, appelle « la certitude de la peine », le code pénal se transformant en un « chiffon de papier » où les peines maximales ne sont jamais prononcées à plein, ni même parfois exécutées.

Pendant la période 2016-2020 par exemple, selon Nicolas Bauer, 41 % des condamnés à de la prison n’ont pas été incarcérés et ceux qui l’ont été n’y ont passé, en moyenne, que 62 % de la durée de leur peine.

L’insécurité n’a de chances de régresser que si les peines sont effectives, réellement proportionnées aux délits et rapidement appliquées, afin que les délinquants n’aient plus le sentiment que quoi qu’ils fassent, leurs actes ne seront pas punis. Le retour des peines plancher pour les récidivistes serait aussi à considérer.

Une autre réflexion se doit d’être conduite : celle du développement de la sécurité privée qui fait flores dans de nombreux pays européens. La Suisse, par exemple, qui doit faire face à une pénurie de policiers (environ 7000 postes manquants). Cent-cinquante communes romandes ont ainsi appel aux services de sociétés de sécurité privée : une organisation qui a le mérite de la souplesse et permet de pallier les manques de l’Etat rapidement.

[1] Les AVIP désignent les atteintes volontaires à l’intégrité physique.

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2 commentaires

Roven 8 juin 2023 - 5:50

La Justice, comme les autres services publics, est à l’abandon, les prisons saturées, des juges et un garde des « sots » favorable aux agresseurs, nous sommes bien partis pour que les citoyens finissent par se faire justice eux-mêmes. Et j’entends déjà le chant du grand bavard professionnel pour le déplorer quand cela va arriver…

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GERALD AQUILINA 8 juin 2023 - 6:58

Comme pour n’importe quelle activité publique lorsque le chiffon brule sous l’effet d’un fait divers un peu plus marquant les hauts responsables embauchent et on passe a autre chose. Nous n’avons pas de problème en nombre des forces de l’ordre mais comme d’habitude une réorganisation en profondeur a mettre en place. Nos policiers passent 6% de leur temps sur le terrain , un des taux les plus bas d’Europe. Le reste , trop d’administratif, des emplois du temps mal gérés.
Bien sur un vrai changement de la justice s’impose mais là les réformes seraient tellement importantes et les freins tellement puissants que c’est peine perdue.

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