Nos lecteurs ne connaissaient pas tous Jacques Garello, mais sans lui, notre institut, l’IREF, n’existerait sans doute pas. Professeur agrégé d’économie à l’université d’Aix en Provence, sa vie a été consacrée à propager les idées libérales. Son libéralisme n’était pas un « économisme », mais une philosophie de la vie et de l’action. Il défendait la liberté humaine comme le moyen pour chacun de réaliser ses fins, de vivre dignement, de s’accomplir. Son carré magique réunissait dignité, liberté, responsabilité et propriété. Ses auteurs préférés étaient Bastiat, auquel il a consacré un ouvrage, et Hayek, le prix Nobel dont les travaux juridique et philosophique autant qu’économiques sont autant de pierres angulaires de l’économie autrichienne et de l’ordre spontané qui en est la mesure.
Nous aimions ses colères et ses boutades, ses enthousiasmes et sa joie de vivre, son intelligence percutante rapportant toujours aux fondamentaux. Après avoir participé, avec Jacques Rueff, à la création de l’ALEPS et l’avoir longtemps présidée, il a contribué activement à la création de l’IREF il y a plus de vingt ans.
Il avait perdu il y a peu d’années sa chère épouse, Gisèle, qui n’a cessé de l’accompagner dans ses innombrables projets. Sa remarquable collaboratrice, Jacqueline Balestier, qui l’avait tant aidé à l’ALEPS, et avec tant de tact, est elle-même décédée il y a peu de jours. Il a peut-être pensé que c’était son tour. Il est parti en nous léguant son message dans une conférence qu’il donnait à Marseille la veille au soir sur les liens entre libéralisme et catholicisme. Nous veillerons à poursuivre son combat. Nous le ferons notamment avec son fils Pierre qui est un des piliers de l’IREF et auquel nous adressons, ainsi qu’à sa famille, toutes nos condoléances. Jean-Philippe Feldman et Serge Schweitzer disent encore mieux que moi et plus complétement ce que nous devons à Jacques Garello.
Jean-Philippe Delsol
Hommage à Jacques Garello, Maître du libéralisme français
C’est un coup sur la tête que tous les libéraux français ont reçu le 16 janvier en apprenant le décès soudain de Jacques Garello, héraut du libéralisme français depuis de longues décennies, dans sa 91e année.
13 janvier 2025 : Jacques Garello cosigne avec David Lisnard, le Maire de Cannes et Président de Nouvelle Energie, dans lequel il fondait de grands espoirs, une tribune du Journal du Dimanche intitulée « Moins d’impôts pour plus de croissance ». 14 janvier : le média en ligne de Jacques Garello, La Nouvelle Lettre, est enrichi de plusieurs articles. 15 janvier : Jacques Garello, « agrégé des facultés de droit et d’économie, professeur émérite de l’Université d’Aix-Marseille, président de l’ALEPS, membre de l’Association des économistes chrétiens », donne une conférence dans sa ville, à Marseille, sur un sujet qui lui est cher : « Catholicisme et libéralisme ». 16 janvier : il décède en matinée alors même qu’il correspondait encore par mail avec ses amis libéraux quelques minutes plus tôt. Ses derniers jours ont été à l’image de sa vie.
Qui était-il, pour le présenter à ceux (si c’est possible) qui ne le connaissaient pas ou qui le connaissaient insuffisamment ? Economiste, il partageait l’idée de Friedrich Hayek, qu’il avait l’habitude de côtoyer au sein de la prestigieuse Société du Mont-Pèlerin, « l’Internationale libérale », selon laquelle un économiste qui n’est qu’économiste n’est pas un bon économiste. Il disait lui-même avec humour (car il en avait beaucoup) que sa thèse de doctorat ès science économique dans les années 1960 était mainstream, autrement dit néokeynésienne. Ce n’est que par la suite que, agrégé, il se convertit au libéralisme. Nous entendons par là le « vrai » libéralisme évidemment, pas la bouillie « néolibérale ». Défenseur du libéralisme classique, versé dans les grands auteurs français, à commencer par Frédéric Bastiat, Jacques Garello était « un Autrichien en France », pour reprendre le titre de l’ouvrage collectif paru en son hommage, un vulgarisateur (au sens noble du terme) du libéralisme autrichien et tout particulièrement de celui de Hayek, qu’il connaissait sur le bout des doigts.
Dans les années 1970, il est, si l’on peut dire, le Deus ex machina du libéralisme. Ses talents d’organisateur font merveille. Il s’investit dans la plus grande association libérale, l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS), dont il deviendra au début des années 1980 l’inoxydable Président. Il fonde en 1977 le groupe dit des « nouveaux économistes » avec quelques amis, dont les fidèles Henri Lepage et Pascal Salin et autres Gérard Bramoullé. L’année suivante, il porte sur les fonts baptismaux l’Université d’été de la nouvelle économie à Aix-en Provence, qui va rapidement devenir un lieu de réunion international pour les libéraux.
Les dates ne sont pas anodines : les années 1970 sont celles du néomarxisme triomphant et 1981 est évidemment l’année du passage des ténèbres à la lumière, pour paraphraser un non moins inoxydable ministre de la Culture… Jacques Garello va livrer bataille de toutes ses forces contre le délire socialo-communiste en menant une lutte d’idées acharnée dans la presse, et en soutenant la « révolution conservatrice » de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. Il va également appuyer les jeunes parlementaires français qui se réclament du libéralisme, à commencer par le plus important d’entre eux, Alain Madelin, avec qui il partagera tant de combats.
Formateur hors pair (notamment à IES-Europe, particulièrement dans ses séminaires au Chambon-sur-Lignon qu’il aimait tant), écrivain à la régularité métronomique, infatigable défenseur des principes libéraux, qu’il synthétisait par le quadriptyque dignité/liberté/propriété/responsabilité, chantre de l’école privée, libéral catholique à l’esprit ouvert et tolérant (en dépit de son caractère entier caractérisé par ses amis comme « méridional »…), Jacques Garello était réputé pour encadrer ses bons élèves de manière débonnaire et pour accueillir avec une générosité non feinte étudiants, collègues et libéraux du monde entier. Il avait été surnommé par un journaliste fielleux « l’ayatollah du libéralisme », surnom dont il s’enorgueillissait avec un grand sourire.
D’un optimisme à toute épreuve, amateur de bonne chère, il justifiait son (si léger…) embonpoint par le fait de compenser le stress du socialisme français…
A ses proches, à sa famille et tout particulièrement à son fils Pierre, professeur agrégé comme lui et membre du conseil d’administration et comité scientifique de l’Iref comme lui (bon sang ne saurait mentir), nous adressons toute notre sympathie.
Jean-Philippe Feldman
Jacques Garello (1934 – 2025)
Jacques Garello est décédé le matin du 16 janvier 2025 à l’âge de 91 ans de façon subite et inattendue. Une ultime fois la main invisible et la providence auxquelles il croyait avec force se sont alliés ultimement pour donner sens à sa vie, ses combats, ses croisades. En effet, la veille, dans le cadre de sa paroisse il prononçait une conférence intitulée : Catholicisme et Libéralisme : convergence ou divergence ?
Le matin, sa tâche accomplie,  ayant mené le bon combat , et  expliqué , une fois encore , que les convergences l’emportaient,  et que les liens anthropologiques et spirituels amenait tout catholique vers l’option préférentielle pour l’économie libre , il a physiquement disparu. De ses choix spirituels nous ne traiterons pas. Ils sont du domaine de l’intime, à tout le moins de la sphère privée. En outre nous n’avons aucun titre , ni compétence pour l’évoquer . Inversement de l’économiste, du professeur, de l’homme d’action ,  un commerce de plus d’un demi-siècle permet de tracer , au moins  cursivement , les contours d’un véritable géant .
L’ économiste
Certains pensaient de bon ton de l’imaginer en militant, voire en idéologue. C’est que Jacques Garello avait de bien mauvaises  manières , celles de tirer les conclusions de la théorie économique, et des faits avérés. Au lieu d’être l’eau tiède , le non – engagé, l’adoxaliste, l’homme sans foi , ni, doctrine, ni avis et conclusions , il avait l’outrecuidance d’affirmer,  après analyses et preuves , que la liberté, la responsabilité, la propriété créaient de la richesse et respectaient l’intégrité des individus , et inversement que la planification impérative communiste,  et le National – Socialisme créaient la pénurie et le goulag . Un jour des observateurs de la vie intellectuelle des soixante dernières années du XX siècle, et des vingt premières du XXI siècle s’interrogeront avec étonnement sur la lâcheté intellectuelle de nombreux esprits, y inclus parmi les meilleurs. C’est que l’intelligence ne se conjugue pas toujours avec le courage. Même ceux qui lui étaient, quelquefois violemment, hostiles s’accordaient à reconnaître qu’il était plus qu’abondamment, presque étonnamment , doté en intelligence et en courage . Peut-être peut-on, sans jouer sur la facilité sémantique , dire également qu’il avait une extraordinaire intelligence du courage, et le courage de l’intelligence au service de ce qu’il pensait être le vrai. Seuls ceux qui ont suivi ses cours peuvent témoigner de l’extraordinaire économiste qu’il était. J’ai déjà écrit , ailleurs, qu’il y a chez lui , au sens fort , du Bastiat . On n’écrit pas impunément, sauf à être un grand économiste, « L’échange est l’occasion de la concurrence » et tant d’autres aphorismes dont on finit quelquefois , même entre nous , par se demander « c’est du Bastiat ou du Garello ? ». Comme un certain nombre d’universitaires , et parce que son seul tort fut de se disperser dans de multiples engagements,  il ne nous laisse pas les livres que nous avons longtemps espéré. En particulier une grande , définitive et éblouissante Histoire de La Pensée Économique qu’il n’écrira pas , alors qu’ayant enseigné la discipline pendant trente ans tout était dans son esprit , presque au bout de son clavier. C’est en amphithéâtre qu’il donnait sa pleine mesure.
Le Professeur
Jacques Garello fait partie de la toute petite cohorte des noms propres qui donnent une signification à l’expression « Qui n’ a pas  assisté à un cours de Jacques Garello ne sait pas ce qu’est un cours de faculté ». Assistant à la faculté d’Alger , il soutient sa thèse en 1964 à Aix sous la direction du professeur Claude Zarka. Il est agrégé à son premier concours et après un court passage à Nice revient à Aix jeune maître de conférences agrégé, puis en 1969 professeur. Il est l’inspirateur de la Faculté d’Économie Appliquée qui de 1973 à 2012 forma et inspira beaucoup de ceux qui comptent aujourd’hui dans la galaxie de la liberté. Il multiplia les directions de thèses et beaucoup de ses élèves devinrent plus tard ses collègues ( le doyen Centi, Jean – Yves Naudet, Pierre Dussol et d’autres ) .
Jacques en cours était littéralement éblouissant. Le mot va sembler exagéré . Que le lecteur sache qu’il est tout à l’inverse tempéré et par trop mesuré . Nous assistions au spectacle nous demandant presque fascinés , jeunes étudiants , comment l’artiste au milieu de tant de notions , concepts, démonstrations, formalisations allait traverser entre les tours  de Notre – Dame par vent violent sur un filin sans barre d’équilibrage. Et de cours en cours,  une sorte de miracle se reproduisait . Orateur remarquable, il ne laissait jamais , quel que soit le sujet, la pression des émotions , les impatiences des intuitions altérer et évincer  les exigences de la raison. On rentrait dans le cours de Jacques Garello intellectuellement en friche, on en sortait structuré et souvent pour toujours. À dire vrai on croyait avoir eu des professeurs avant les cours de Jacques Garello. C’est alors seulement que l’on comprenait notre méprise.
L’ Entrepreneur de liberté
Jacques Garello ,  c’était une idée par heure les jours où il était en veilleuse. Sinon une par minute. L’université d’été des nouveaux économistes à Aix , rendez-vous mondial des libéraux , c’est lui.
L’animation pendant cinquante ans de l’A.L.E.P.S. ( L’ Association pour la liberté économique et Le Progrès Social ),  c’est lui . La Nouvelle Lettre pendant quarante-trois ans jusqu’à cette semaine , c’est lui ;  d’innombrables colloques, réunions , journées d’études , c’est lui . La résurrection du Journal des Économistes élargi en Journal des Économistes et des Études Humaines sous la direction du doyen Centi et le condensé des articles La Revue des Études Humaines, c’est lui .  Une grande consolation pour nous est de savoir que parmi ses multiples responsabilités , son fils cadet Pierre Garello, professeur à Aix – Marseille Université , est aujourd’hui l’éditeur en chef du Journal des Économistes . Évidemment je m’en tiens pour les lecteurs aux territoires intellectuels . Mais des Lions Clubs aux engagements personnels ,  Jacques Garello était si présent que l’on se demandait légitimement s’il n’était pas l’inventeur de l’hologramme.
Je parlerai à peine de l’homme. Il aimait profondément la vie, les êtres humains, les idées, le combat, les nourritures terrestres… Convivial et chaleureux , il était cependant , par une intransigeance résolue quand l’essentiel était en jeu , peu enclin à jouer les Philinte.
Qu’il me soit permis et pardonné de m’arrêter là ,  car les mots ne peuvent que manquer pour le présenter . Malgré sa taille,  et selon l’heureuse expression du doyen Centi lors de son départ en retraite de l’université, lors d’une magnifique cérémonie Salle des Actes à Aix, « c’était un géant» .
Adieu et merci Monsieur le professeur. À Dieu Jacques.
Serge Schweitzer
9 commentaires
Habitant dans la région d’Aix, j’ai eu l’occasion d’assister à un certain nombre d’évènements organisés par l’école d’économie libérale dont Mr Garello était une référence. J’espère que la relève est assurée parmi les jeunes économistes et que ses idées seront défendues. La France en a besoin.
Il faut garder précieusement ces trois hommages ils résument une vie que rien ne peut négliger.
Un choc. Toutes mes condoléances à sa famille en particulier, et à la famille libérale en général. Erwan.
Cher Monsieur,
Votre dernière lettre sur Jacques Garello , en forme d’épitaphe en empreinte d’élégance , qualité que l’on trouve souvent lorsque l’on écrit sur quelqu’un regretté.
Quant à moi, je garde de lui un souvenir mitigé, celui d’un échange auquel il n’a pas pris le temps de répondre. Dommage l’échange n’aurait manqué ni de saveur ni de dynamisme.
Pour mieux comprendre je me permet de le joindre et serait heureux de votre avis.
Réaction à l’article de Jacques Garello
from Contrepoints 4 Octobre 2021
Cher Monsieur Garello,
Votre article traitant du sujet « Eric Zemmour Girondin ou Jacobin » a du, je suppose, attirer biens des curieux dont je suis .
Il commence ainsi : « Aujourd’hui tout est devenu citoyen : entreprise citoyenne, école citoyenne, police citoyenne, banque citoyenne, bref on attend de tous un comportement citoyen.
Cela fleure bon 1789 et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen »
Rapprochement osé à mon sens et qui fleure bon quant à lui une orientation politique de la pensée. Osé , disais-je , car trop réducteur de la situation de 1789 durant laquelle Jacobins et Girondins n’ont cessé de s’affronter sur l’étendue des pouvoirs du Roi, sans omettre de se contredire à l’exemple de Robespierre agacé par la simple idée de la peine de mort qui ne l’empêcha toutefois pas de décréter la guerre .
Rapprochement également osé car ramener ainsi le discours de E. Zemmour à un enchevêtrement de pensées inorganisées relève d’un négationnisme regrettable qui vise à réduire la réaction à ses propos à un conflit Girondins contre Jacobins . C’est juste oublier que leur auteur ne prétend nullement faire table rase de l’existant , seulement remettre en cause quelques concepts dont le vieillissement est devenu lourd de conséquences . Pour Eric Zemmour , me semble t-il , le conservatisme ne saurait exclure la modernité.
Rapprochement osé encore car l’image que vous donnez du citoyen français est celle d’ un élément d’un tout homogène . Il est au contraire, un homme libre ayant des droits et des devoirs dès lors qu’il honore et respecte le pays dans lequel il vit , ce pays qui lui donne des droits en contrepartie desquels il est légitime qu’il ait des devoirs .
Rapprochement osé enfin car la notion actuelle de citoyen ne saurait souffrir de comparaison avec celle de 1789 tant les contextes historiques sont éloignés . On pourrait même aller jusqu’à dire de ce terme , qu’il est aujourd’hui quelque peu galvaudé quand certains évoquent les citoyens du monde .
La comparaison s’arrête là . Au delà , évoquer comme vous le faîtes l’isonomie revient à ignorer les effets pervers de l’immigration que l’on mesure à l’aune du comportement de minorités qui refusent l’assimilation pour ne revendiquer que des droits . Comment admettre que des citoyens aient les mêmes droits sans avoir les mêmes devoirs .
Juste un exemple pour vous montrer votre erreur . Imaginez un étranger s’inviter chez vous . Au titre de votre liberté girondine vous l’acceptez à votre table où , devant vos enfants , il y mange avec les doigts et les pieds sur la table . Tolérerez -vous cela longtemps ?
Quant au jacobinisme supposé d’Eric Zemmour, vos arguments me laissent pantois. L’individu doit abandonner ses droits entre les mains de l’Etat dites vous ?
Mais qu’avez vous donc fait de la démocratie ? Mise à mal il est vrai par l’autocratie présidentielle développée par Macron , mais tout de même il ne faut pas oublier que c’est elle , la démocratie , qui fait l’Etat et non le contraire et que si l’élu outrepasse ses droits en s’écartant des chemins convenus , ceux qu’il représente peuvent le défaire.
Vous soutenez d’autres part , et fort bien d’ailleurs , la nécessité d’un retour à la paix intérieure et la restauration d’un prestige extérieur . Mais pourquoi donc y ajouter « le prix qu’il ( Eric Zemmour ) veut faire payer » ?
Selon vous le prix serait de ramener le citoyen à un comportement homogène défini par les gouvernants qui prôneraient un moutonisme multiculturel , voire si j’en juge par quelques unes de vos remarques , un comportement soumis tel que celui tant décrié par certains grands auteurs , Soljenitsyne par exemple .
Le moutonisme serait donc selon vous la recette miracle proposée par Eric Zemmour pour que les français redressent le tête ? C’est triste je trouve de raisonner ainsi et de prétendre que ses propos relèvent d’un discours dictatorial .
Quant à l’aggravation du poids de la politique que vous présentez comme une calamité , c’est négliger l’importance que devrait reprendre le régalien au détriment du reste que le politique s’arroge et oublier qu’elle n’a que le pouvoir que la démocratie veut bien lui donner et ,encore une fois, peut lui reprendre.
Enfin , votre délire au sujet du comportement citoyen , qui devrait être ou ne pas être celui l’entreprise , montre que vous n’avez pas du y passer beaucoup de temps et que la fonction de dirigeant vous y est totalement étrangère .
Et pour en finir avec ces discordances , vous achevez votre propos sur « les convergences troublantes » d’un Zemmour de gauche qui s’approprierait les projets de l’extrême droite et de la droite conservatrice en assaisonnant le tout d’un marxisme impénitent . Autant dire que cette conclusion est , à l’image de votre chronique , un tissu de contradictions que l’on ne peut se savourer que toute honte bue.
Pièce jointe :
Zemmour : girondin ou jacobin ?
Si Éric Zemmour est un socialiste et un jacobin, c’est parce qu’il donne une priorité absolue à la Cité. Le droit de l’État s’est ainsi substitué à l’État de droit.
Par Jacques Garello.
Aujourd’hui tout est devenu citoyen : entreprise citoyenne, école citoyenne, police citoyenne, banque citoyenne, bref on attend de tous un comportement citoyen.
Cela fleure bon 1789 et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Et dans le jargon politique, il n’y a guère que les valeurs républicaines qui puissent disputer au terme citoyen ce succès de mode. Mais des puristes ont fait remarquer que dans la langue française le mot citoyen est un substantif, utilisé maintenant comme un adjectif, au lieu et place du mot civique. Simple erreur grammaticale ? Pour des esprits chagrins un citoyen est un homme jouissant de droits individuels dans le cadre d’une cité, un homme citoyen est un homme ayant le devoir de se conformer aux lois et intérêts de la cité.
La différence est ancienne, elle remonte au débat entre jacobins et girondins, voire entre Antigone et Créon. La différence est fondamentale, et l’on ne saurait mieux la saisir aujourd’hui qu’à travers la pensée d’Éric Zemmour1
Si je suis un libéral et un girondin, c’est parce que j’ai une certaine idée de la dignité de la personne humaine. Je la vois par nature nantie individuellement de droits universels et imprescriptibles, découlant précisément de sa nature même, lui permettant de vivre comme un homme. Locke avait identifié ces droits : droits à la vie, à la liberté, à la propriété. Le rôle de la Cité est alors de les faire respecter par des lois justes, afin d’éviter que les droits des uns soient violés par les autres. Des lois justes assurent l’égalité de tous devant la loi, l’isonomie, ce que les libéraux nomment encore l’État de droit.
ZEMMOUR LE JACOBIN
Si Éric Zemmour est un socialiste et un jacobin, c’est parce qu’il donne une priorité absolue à la Cité, comme si par l’effet d’un contrat social jadis évoqué par Hobbes et Rousseau, les individus avaient abandonné leurs droits et leur sort entre les mains de l’État. Le droit de l’État s’est ainsi substitué à l’État de droit.
Voilà sans doute ce qui fait une partie de l’éphémère succès du peut-être candidat Zemmour. Voilà aussi ce qui fait son danger mortel pour les libertés.
Le succès vient de ce que Zemmour parle de l’ordre public, des lois de la République, et de la souveraineté nationale. Ce discours vient à point nommé dans un pays où n’importe qui fait n’importe quoi, où le droit n’est plus respecté, où le patriotisme et La Marseillaise sont ignorés, voire méprisés, dans une France qui ne connaît plus ni paix intérieure ni prestige extérieur. Remettre de l’ordre dans la rue, dans l’école, dans la justice, dans les alliances : voilà sans doute à quoi aspirent beaucoup de Français. Aspiration légitime, mais le discours de Zemmour nous indique-t-il le prix qu’il veut faire payer pour la satisfaire ?
LE COMPORTEMENT CITOYEN VOULU PAR ZEMMOUR
Le prix, c’est que les Français aient un comportement citoyen, c’est-à -dire se plient à un modèle défini par les gouvernants. Les droits des citoyens ne sont plus que des devoirs. Et s’il est vrai que tout droit implique un devoir, les exigences posées par les jacobins sont extrêmes. Dans la nouvelle Déclaration des Droits proposée par Sieyès en 1790, n’avaient de droits que ceux qui se comportaient en « bons citoyens », une qualité que seuls les gouvernants peuvent apprécier.
Cette Déclaration ne fut pas votée, mais elle inspira Robespierre : malheur à ceux qui ne se conformeraient pas aux lois de la République et seraient ainsi traîtres à la Nation menacée la citoyenneté devient alors une « ardente obligation ». Pour mettre la France en ordre, il faut mettre les Français en rang. Voilà « l’égalité » dans sa nouvelle acception : non plus l’égalité devant la loi, mais l’uniformité organisée par le législateur et le gouvernement.
Il s’agit d’une dramatique inversion des relations entre les citoyens et le pouvoir. Alors qu’à l’origine les droits étaient reconnus et proclamés pour protéger les citoyens contre les abus du pouvoir politique, désormais ils n’ont de réalité qu’à travers la soumission au pouvoir politique. Dans un pays comme le nôtre où la politique a tout envahi, c’est se tromper de sens et aggraver la situation que de vouloir renforcer encore le poids quotidien de la politique.
Exiger de l’entreprise qu’elle ait un comportement citoyen, c’est lui demander d’agir contre ses intérêts propres et oublier ses impératifs de profit et de gestion pour sacrifier à  l’intérêt général qui est de réduire le chômage – en oubliant que c’est le pouvoir politique qui, au nom dudit intérêt général, a créé le chômage en empêchant les entreprises de fonctionner normalement, c’est-à -dire sous le contrôle du marché.
On pourrait facilement démontrer aux Français inquiets de la situation actuelle qu’elle n’a pour cause que les débordements de la puissance publique. L’insécurité et l’immoralité ? Faillite du système éducatif de l’État, incapacité de l’État à gérer la justice, la police et les prisons. Le déclin du droit et l’ignorance des lois ? Hypertrophie des textes, accumulation des passe-droits, démagogie électorale. Quand la loi n’est plus respectable, elle n’est plus respectée. Les menaces sur l’honneur et la grandeur de la France ? Corruption des hommes de l’État, complaisance diplomatique à l’égard des barbares et des terroristes, trahison de nos amis, irrespect du droit international.
C’est donc la faillite de la société politique, c’est le mythe de l’intérêt général, c’est la méthode du tout-État qui nous ont conduits là où nous en sommes.
Faut-il plus ou moins de citoyenneté ?
Sans doute davantage s’il s’agit de la citoyenneté girondine, celle qui met les gouvernants sous le contrôle de citoyens vigilants et actifs.
Sans doute moins si l’on pense à la citoyenneté jacobine, celle qui met les citoyens sous le contrôle de gouvernants irresponsables et omniprésents.
UNE VISION AUTORITAIRE
Voyons d’ailleurs où voudrait nous conduire le citoyen jacobin Éric Zemmour.
En fait, l’ordre public auquel Éric Zemmour invite les Français est du genre de celui qui régnait à Varsovie. Les Français rassurés par un État fort et souverain, c’est-à -dire la manière forte pour les garder à l’abri de tout écart : la sécurité des prisonniers.
Il existe une convergence troublante entre les projets de Zemmour et ceux de l’extrême droite nationaliste. Dans sa pétition pour l’ordre public répressif, pour les « valeurs de la République », pour la souveraineté nationale, Zemmour se rapproche incontestablement de l’électorat du gaullisme de gauche, de la droite populaire de Marine Le Pen, et de la droite conservatrice de Marion Maréchal Le Pen2. Rien d’étonnant à ce qu’il leur prenne une grande partie de ces diverses clientèles. Mais il ajoute sa touche personnelle de marxiste impénitent, de militant socialiste. Comment pourrait-on bien appeler l’alliance du nationalisme et du socialisme ?
Éric Zemmour s’inscrit dans la grande tradition des totalitaires de tous les pays, de ceux qui pensent qu’il faut former le « citoyen nouveau » pour créer la Cité radieuse.
Dans un autre registre, Saint Augustin avait écrit :
Deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu fit la cité terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi fit la cité céleste.
En le parodiant, on pourrait dire aujourd’hui :
Deux amours ont bâti deux cités : l’amour de l’État jusqu’au mépris du droit fit la cité socialiste ; l’amour des hommes jusqu’au mépris de la politique fit la cité libre.
1. J’avais écrit une partie de cet article lorsque Jean Pierre Chevènement avait fondé le Mouvement des Citoyens. D’ailleurs à plusieurs reprises Éric Zemmour a évoqué les liens étroits qu’il avait entretenus avec l’ancien ministre de l’Éducation nationale, puis de l’Intérieur, puis de l’Industrie. L’un des rédacteurs du Programme commun de la gauche, JPC est demeuré fidèle à un schéma de rupture avec le capitalisme.Â
2.
Monsieur,
Je ne peux me substituer à mon regretté Maître, mais effectivement il n’appréciait pas Eric Zemmour, a fortiori en 2021, époque à laquelle ce dernier distillait encore un antilibéralisme obsessionnel.
Depuis lors, le talentueux journaliste n’a cessé, fût-ce pour des raisons tactiques, de critiquer Marine Le Pen en la qualifiant de “socialiste”, ce qui allait dans le sens de Jacques Garello. Toutefois, son fonds de commerce sans nuance sur “l’immigration cause de tous les maux” ne pouvait que l’indisposer.
Me Jean-Philippe Feldman
Étudiant en droit à Aix j ai eu le privilège comme bien d autres d avoir comme professeur en économie monsieur Garello et son souvenir ne m a jamais quitté tant ses cours étaient passionnants. C était un grand homme.. Toutes mes meilleures pensées à ses proches. Jacques Bervillé
Nous sommes en 1984, un ami député centriste mais intelligent me dit,<> Durant l’été me voici donc à Aix pris par l’intelligence, la faconde, l’accent de’ Garello qui va si bien avec la chaleur de la salle de cours où il nous parle de tout ce qui forme un homme libéral. Depuis ma vie professionnelle, personnelle, spirituelle a changé en grande partie à cause de ce phénomène .Je suis ce soir chargé d’émotions d’autant que vous nous apprenez aussi de décès de jacqueline.
Tant d’années à se rassembler, se connaître Ave Mac Mahon le plus souvent et à Aix au fil des ans.
Merci pour les beaux textes que vous avez écrits sur le géant, que je connaissais depuis si longtemps.
hommage à ce grand défenseur de la liberté. nos pensées vont à son fils et ses proches.
En apprenant la disparition soudaine de Jacques Garello via la lettre d’information de l’IREF vendredi, j’ai été bouleversé. J’ai ensuite immédiatement pensé à Walter Bagehot, le plus célèbre des éditeurs du magazine londonien The Economist, et ce pour deux raisons. D’abord, parce que comme Jacques Garello, décédé quelques jours après avoir cosigné une tribune dans le JDD (que j’ai lue dimanche dernier), Bagehot tira sa révérence soudainement quelques jours après avoir publié un essai dans The Economist. Ensuite, parce que Bagehot aimait à répéter qu’il n’avait jamais vu quelqu’un pleurer la mort d’un économiste. Or, même si je suis à des milliers de kilomètres de la France depuis dix ans et que j’ai vu Jacques Garello pour la dernière fois il y a une quinzaine d’années, je suis certain que toute la communauté française de libéraux pleure sa disparition.
En légendant une photo où le socialiste John Kenneth Galbraith et lui, tous deux plus ou moins 2 mètres de haut, entouraient Milton Friedman, 1m60 de haut, George Stigler avait écrit : « All great economists are tall. There are only two exceptions, Milton Friedman and John Kenneth Galbraith ». Jacques Garello aurait mérité d’apparaître sur cette photo à côté de Friedman tant sa petite stature, comme celle de Friedman, ne l’a jamais empêché d’être un économiste d’exception. Aussi et paradoxalement, parce que Jacques Garello, le plus autrichien des économistes français, était en réalité, de par sa défense et sa promotion inlassables du libéralisme économique en France, le Milton Friedman français. On pourra certes regretter – comme l’a fait Serge Schweitzer plus haut – que ses très nombreuses activités et responsabilités faisaient de Jacques Garello davantage un idéologue qu’un « idéelogue » – si je peux me permettre ce néologisme. Mais on conviendra aussi que chacune de ses trop rares contributions scientifiques était d’excellente facture. En témoigne son article intitulé « Hayek’s Unconventionalism » écrit en hommage à son maître-à -penser, Friedrich Hayek, et publié dans le Journal des économistes et des études humaines dans un numéro commémorant le centenaire de la naissance de Hayek. J’avais traduit cet article en anglais et après avoir discuté de son contenu avec Jacque Garello à quelques reprises. Lors de ces discussions, j’ai eu le loisir d’apprécier encore une fois, et si besoin était, sa finesse intellectuelle et sa vivacité d’esprit.
Par-delà ses qualités intellectuelles indéniables, Jacques Garello était quelqu’un d’une grande affectuosité – il m’appelait « mon fils » durant les premières années que nous nous sommes connues – et, comme tout bon catholique qui se respecte, quelqu’un qui se souciait profondément du sort de ses prochains, ce pour quoi je ne le remercierai jamais assez à titre personnel.
Je présente mes condoléances les plus émues et sincères à Pierre, Vesselina et aux autres membres de la famille de Jacques Garello. Je souhaite aussi bon courage à ceux qui reprendront le flambeau dans la lourde tâche qui est la leur, celle de devoir remplacer quelqu’un d’irremplaçable !
Neel