L’embellie économique inespérée ne doit pas faire oublier la très mauvaise santé de notre économie. Il ne faut pas oublier qu’il n’y aura pas de reprise « durable » sans faire des réformes économiques indispensables, en commençant par la libération fiscale et réglementaire des entreprises.
La dernière note de conjoncture de l’Insee (juin 2013) a des allures de bonnes nouvelles pour François Hollande. Après son tour de France en faveur de l’emploi et ses déclarations du 14 juillet, plus personne ne croyait à cette communication maladroite et à ses déclarations fort optimistes. La reprise est enfin là , la lumière au bout tunnel, alors que même l’actuel gouvernement semblait perdre espoir. Avec une croissance estimée à 0,5 % au deuxième trimestre, « ce chiffre, supérieur aux prévisions disponibles, confirme la sortie de récession de l’économie française, que laissaient déjà entrevoir les dernières enquêtes de conjoncture et les chiffres récents de la production industrielle, de la consommation des ménages et du commerce extérieur, il amplifie les signes encourageants de reprise déjà soulignés précédemment », s’est enthousiasmé Pierre Moscovici dans un communiqué. Une embellie qui ne doit pas cacher la relative mauvaise santé de notre économie. La production manufacturière et l’investissement sont toujours en repli tandis que la hausse de la consommation des ménages au deuxième trimestre est essentiellement due au froid.
Aussi, le gouvernement ne devrait pas se réjouir trop vite et garder en mémoire les récentes mises en garde du FMI (5 août 2013), qui rappelait combien les réformes structurelles du marché du travail et de la fiscalité sont urgentes. Derrière un jargon d’économiste et des périphrases alambiquées se cache bien une remise à plat du fameux « modèle social » français. Le FMI recommande de mettre fin à l’ajustement budgétaire par la fiscalité et de se concentrer sur la baisse de la dépense publique. En réalité, il s’agit bien d’une politique économique de rigueur que le FMI propose, pour cet État ventripotent et non plus pour ses contribuables à bout de souffle.
Un changement de cap ?
Rappelons quelques évidences afin de, peut-être, éveiller les consciences des quelques naïfs qui croient encore que la seule reprise économique pourra endiguer le chômage. Dans le dernier rapport du World Economic Forum sur la compétitivité globale, la France perd trois places depuis la dernière édition 2011-2012 et se retrouve classée 21ème sur 144 pays observés. Ce n’est pas si mal compte tenu de la situation. Mais une approche trop générale tend à négliger certaines particularités institutionnelles qui entravent la croissance française depuis déjà plusieurs décennies. Le poids des réglementations et de la bureaucratie, par exemple, relègue le pays au 126ème rang et au 128ème si l’on s’intéresse à l’étendue et à l’effet (négatif) de la fiscalité sur la croissance. C’est encore pire sur le marché du travail, qui explique en partie un chômage endémique, où l’on retrouve la France en bas du tableau, au 137ème rang, lorsqu’on observe les relations entre syndicats et employeurs. Et au 141ème si l’on s’attarde sur les pratiques d’embauche et de licenciement. Ces classements se reflètent dans l’opinion des patrons français, interrogés sur ce qui limite le plus leur activité en France (graphique ci-dessous). Au premier rang on retrouve la rigidité du marché du travail et le poids de la fiscalité au troisième.
Jusqu’à preuve du contraire, « un peu plus de taxes et un peu plus de dépense » ne correspond pas à la définition d’une politique d’austérité ; elle est, au mieux, une bonne excuse pour continuer à faire payer aux contribuables les erreurs du passé. Elle est aussi, sur la longue période, une destruction certaine de la croissance et de l’investissement. Mais en dépit de quelques ajustements paramétriques et un ralentissement de l’augmentation des impôts et taxes, rien ne préfigure d’un changement de cap majeur en 2014 dans la politique menée par François Hollande. Le président de la République doit donc conserver son objectif, celui « de faire qu’il y ait plus d’emplois », tout en faisant preuve de réalisme et en évitant les fausses promesses que sont, par exemple, les emplois d’avenir.
À la recherche de la compétitivité perdue
Si, comme Pierre Moscovici, le Président et son gouvernement montraient avec empressement leur accord avec les recommandations du FMI, il s’agirait là d’un réel changement de paradigme que nous accueillerions avec enthousiasme. Mais le poids des mots n’est que peu de choses face aux conséquences des décisions prises ces derniers mois et il faudrait plus que quelques paroles faites à l’ombre de la rentrée pour renverser une tendance qui n’invite pas à l’optimisme.
La France est une destination de plus en plus difficile à justifier pour qui veut y investir, même l’Agence française pour les investissements internationaux n’y parvient plus. Le nombre d’emplois créés ou préservés par ces investissements atteint son plus bas niveau depuis 10 ans. Une mauvaise nouvelle aussi pour la recherche et développement, dont le quart du budget dépend des entreprises étrangères implantées en France. Pourtant, les aides aux entreprises ne manquent pas, 110 milliards d’euros au total, selon une enquête réalisée par Le Monde le 17 juillet dernier. Mais ces aides sont en porte-à -faux avec, d’une part, le message de défiance envoyé par certains membres du gouvernement à l’égard du monde de l’entreprise, et, d’autre part, des lois actuellement en discussion au Parlement (Duflot, Hamon, Florange, etc.) qui, si elles sont votées, porteront un coup majeur à l’investissement.
Parmi les aides, le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) fait presque l’unanimité, mais il entrainerait, selon COE Rexecode, une baisse du coût du travail de 2,9 %. Or, on est loin des écarts avec l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne. Puisque notre commerce se fait d’abord au sein de la zone euro, il faut d’abord être compétitif avec nos concurrents directs. Mais comme le rappelle Patrick Artus, « l’écart se creuse encore davantage si le calcul tient compte d’un élément occulté la plupart du temps dans les comparaisons chiffrées : le niveau de gamme de la production industrielle de chaque pays, afin de mesurer vraiment le handicap de compétitivité de la France vis-à -vis de ses partenaires. Pour un salaire horaire allemand, charges sociales comprises, de 34 euros, il faut compter un niveau corrigé de 32 euros en Italie, 34 en Espagne et… 46 en France. Par rapport à ses trois partenaires européens, la France est donc extrêmement chère. » Une cherté qui se reflète dans la capacité de nos entreprises à exporter.
Appeler un chat un chien
Les moyens pour retrouver cette compétitivité perdue viennent d’être à nouveaux énoncés par le FMI et notre ministre de l’économie semble y adhérer. Mais dès qu’il s’agit de réformer, les technocrates du ministère de l’économie adoptent la stratégie dite de l’autruche. Et à mesure que la situation des entreprises françaises se dégrade, le déni de réalité reprend vite le dessus. L’un des représentants de Bercy, déclarait que « si les entreprises ne demandent pas davantage à bénéficier du préfinancement du CICE c’est que la situation de leur trésorerie ne va pas si mal » (Le Figaro, 24 juin 2013). Apparemment, Bercy préfère appeler un chat un chien et s’éviter ainsi une crise de panique. Car si l’on s’intéresse aux grands indicateurs macroéconomiques, et notamment aux investissements des entreprises françaises, les faits n’indiquent pas vraiment la reprise tant attendue.
En matière d’investissement, la dernière étude de l’Insee établit un constat assez amer sur la situation et les perspectives, à long terme, de redressement. Mais la décision de ne pas utiliser les outils mis en place par l’État pour soutenir les entreprises n’est pas liée à un excès de trésorerie. Pour s’en convaincre, il suffit simplement d’analyser les derniers chiffres de l’Insee.
2010 | 2011 | 2012 | Niveau 2012 (en Mds €) | |
Épargne brute (variation en %) | 19,8 | – 8,5 | – 9,7 | 130,4 |
Formation brute de capital fixe (FBCF) (variation en %) | 8,1 | 5,7 | – 0,8 | 197,4 |
Capacité (+) ou besoin (-) de financement (en Mds €) | 2,3 | – 44,4 | 0,7 | -57,1 |
Source : Insee |
On observe dans le tableau ci-dessus à la fois que les entreprises en 2012 ont désépargné et investi (baisse de la FBCF de 0,8 %). Du rapport de ces deux chiffres, on en déduit le taux d’autofinancement (c’est-à -dire la capacité des entreprises à financer leurs activités, notamment l’investissement), qui est en fort repli depuis 2011, respectivement -11,3 % et -6,5 %. Il faut donc comprendre que les entreprises n’ont pas la trésorerie nécessaire pour financer en propre du nouveau capital ou des nouveaux bâtiments, bref financer sa croissance de long terme. Elles ne font pas non plus appel aux banques ; l’investissement reste donc limité à des secteurs capables d’exporter ou à forte croissance. Mais globalement, il ralentit.
Pour relancer les prêts accordés aux entreprises – donc l’investissement –, les banques pourraient récupérer jusqu’à 50 milliards d’euros en provenance des livrets d’épargne règlementée, comme le livret A. Une illusion qui se heurte à deux réalités économiques. À l’heure où le rendement de l’épargne passe sous le taux d’inflation, il faudrait être fou pour encore détenir quelques liquidités sur son compte épargne. Ensuite, la décision d’investir dépend en premier lieu des carnets de commande, pas de la capacité des banques à mobiliser l’épargne pour favoriser l’obtention de prêts.
Le grand bond en arrière
Les raisons de ce ralentissement sont bien connues. Nos entreprises souffrent depuis trop longtemps de ces semelles de plomb que sont la fiscalité, le droit du travail et le manque de modernisme de notre Éducation Nationale. Ces non-réformes ont un coût stratosphérique à long terme : perte de compétitivité, croissance atone, marché de l’emploi vecteur de chômage et d’insécurité. Et depuis 2008, la marge de manÅ“uvre des entreprises est en constante diminution. Comme le montre le graphique ci-dessous, le taux de marge des entreprises est très en dessous de la moyenne de la zone euro – près de 10 points d’écart !
Enfin, les entreprises françaises sont également à traine quand il s’agit de générer du profit pour ses investisseurs. Il faut par exemple 4 fois moins de capitaux propres en Allemagne qu’en France pour engendrer la même rentabilité. S’il fallait un dernier signe de la baisse d’attractivité de notre pays…
Ces indicateurs ne sont pas les seuls, mais ils montrent bien l’excès d’optimisme qui règne au sein du gouvernement. Sans changement radical dans la manière d’appréhender la politique économique, la reprise ne sera que de courte durée, ainsi que l’accalmie pour nos dirigeants. L’ère technologique n’attendra pas ceux qui n’ont osé le changement par des réformes courageuses. Si la Finlande, la Suède, ou encore la Suisse ont su adapter leurs institutions à cette nouvelle phase de croissance, en France, nous en sommes restés à la révolution industrielle, à venir en aide aux industries du passé, sans se préoccuper de l’avenir en attendant béatement une sorte de Providence économique tout en rejetant l’économie de marché et le capitalisme.
Erreur que même Mao Zedong, à l’aube de la révolution culturelle, n’a pas commise. Reprenons ses mots : « … pendant une fort longue période après la victoire de la révolution, il faudra utiliser au maximum les aspects positifs du capitalisme privé des villes et des campagnes pour faire bénéficier le développement de l’économie nationale. Durant cette période, tous les éléments capitalistes privés des villes et des campagnes qui ne sont pas préjudiciables à l’économie nationale, mais au contraire lui sont avantageux, doivent être autorisés à survivre et à se développer ». La France serait-elle devenue plus maoïste que Mao ? Dans sa mansuétude, notre « petit père du peule » devrait se soucier des Français, car le changement risque fort de se transformer en un grand bond en arrière.