La disparition brutale du pape François, le lundi de Pâques, qui était apparu, la veille, très fatigué, après une longue hospitalisation, a entraîné beaucoup d’émotion dans le monde catholique et au-delà. Certains ont parlé d’un pontificat de rupture. C’est l’occasion de revenir sur sa conception de la doctrine sociale de l’Eglise. On connait les prises de positions fréquentes de François contre le capitalisme. Mais, au-delà des discours de circonstances, François a-t-il fait évoluer les grands principes de la doctrine sociale dans un sens hostile au libre-marché ?
Les papes Jean-Paul II et Benoît XVI avaient, dans leurs encycliques sociales, défendu les grands principe de l’économie de marché : propriété, subsidiarité, liberté économique…Ces papes avaient connu les totalitarismes, notamment communiste, et pris clairement position pour les libertés en général et les libertés économiques en particulier. Le pape François, qui vient de disparaitre, a semblé tourner le dos à ces analyses et a multiplié les discours hostiles au capitalisme, au profit et au libre-marché, probablement influencé par l’histoire de son pays, du capitalisme de connivence et de l’héritage du péronisme.
Mais ce qui compte, ce ne sont pas les discours de circonstances, qui reflètent la « sensibilité » de chaque pape, mais les grands principes de la doctrine sociale de l’Eglise. Or, au moins sur deux de ces principes, la propriété et la subsidiarité, François a semblé infléchir fortement la doctrine sociale dans un sens hostile au libre-marché.
En ce qui concerne la propriété privée, elle a toujours été défendue par l’Eglise. Thomas d’Aquin la défendait, comme conforme au droit naturel. Les papes successifs, depuis Léon XIII font de même. Ce dernier, dans Rerum novarum (1891) a affirmé à son tour que la propriété privée était de droit naturel, a condamné la « proposition funeste » des socialistes de supprimer la propriété, et il a déclaré « Que ceci soit donc bien établi : le premier principe sur lequel doit se baser le relèvement des classes inférieures est l’inviolabilité de la propriété privée. » (RN § 12-2). Il a aussi expliqué comment concilier la propriété privée et le fait que tous les hommes aient droit à accéder aux biens (« destination universelle des biens ») : la propriété favorise cette destination, car elle est source de revenus (revenus de l’entrepreneur, du capital et du travail) et ces revenus permettent d’accéder aux biens. Si cela ne suffit pas, la solidarité complètera, si nécessaire. Tous les papes ont été sur cette ligne.
Or François a semblé infléchir ces principes. Dans son encyclique Fratelli tutti, le pape François aborde la question de la propriété : « Je rappelle que la tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à la propriété privée, et elle a souligné la fonction sociale de toute forme de propriété privée. Le principe de l’usage commun des biens créés pour tous est le premier principe de tout l’ordre éthico-social ; c’est un droit naturel, originaire et prioritaire. Tous les autres droits concernant les biens nécessaires à l’épanouissement intégral des personnes, y compris celui de la propriété privée et tout autre droit n’en doivent donc pas entraver, mais bien au contraire faciliter la réalisation (…). Le droit à la propriété privée ne peut être considéré que comme un droit naturel secondaire et dérivé du principe de la destination universelle des biens créés ; et cela comporte des conséquences très concrètes qui doivent se refléter sur le fonctionnement de la société. Mais il arrive souvent que les droits secondaires se superposent aux droits prioritaires et originaires en les privant de toute portée pratique ». (§ 120). universelle des biens. C’est important, car un droit naturel secondaire n’est plus véritablement un droit naturel, ce qui, si on pousse le raisonnement plus loin, remet en cause le principe même de la propriété privée.
Deuxième exemple, la subsidiarité ; principe essentiel depuis Pie XI. Les décisions doivent se prendre au plus bas niveau possible, celui des personnes, des familles, des associations, des entreprises, et ne faire appel à l’échelon supérieur, et en dernier ressort à l’Etat, qu’en cas d’impossibilité. C’est le fondement de toutes les libertés, notamment économiques, et donc du libre marché. Pour Benoît XVI, la subsidiarité est « l’expression de l’inaliénable liberté humaine » (Caritas in veritate § 52).
A sa façon, le pape François, dans Fratelli tutti, rend hommage à cette action subsidiaire de la société : « Grâce à Dieu, beaucoup de regroupements et d’organisations de la société civile aident à pallier les faiblesses de la Communauté Internationale, son manque de coordination dans des situations complexes, son manque de vigilance en ce qui concerne les droits humains fondamentaux et les situations très critiques de certains groupes. Ainsi, le principe de subsidiarité devient une réalité concrète garantissant la participation et l’action des communautés et des organisations de rang inférieur qui complètent l’action de l’État ». (§ 175).
En réalité, sous couvert d’une apparente défense de la subsidiarité, François inverse radicalement le principe. Si on lit bien ce texte, c’est l’action des Etats qui est première et la société civile est là pour pallier les insuffisances de l’action étatique ; elle n’est plus qu’un complément, au lieu d’être première (On trouve la même dérive dans l’application de la subsidiarité dans les traités européens). Le principe est donc dénaturé ; pour François, c’est l’Etat qui est premier et les organismes décentralisés de ls société civile ne font que combler les insuffisances étatiques.
Le pape François n’est plus, un nouveau pape prendra bientôt la suite. Il y a donc là un débat essentiel : l’Eglise catholique va-t-elle rester fidèle à la tradition de sa doctrine sociale et défendre la propriété, la subsidiarité et les libertés économiques, tout en rappelant -c’est son rôle- les exigences de la morale et de la charité ? Ou va-t-elle s’engager dans la voie ouverte par François et s’éloigner de ces principes fondamentaux ? C’est une question importante pour le combat des libéraux, car il est essentiel d’avoir, autant que possible, l’appui des « autorités morales ». Quant aux catholiques, ils se poseront la question de l’avenir de la doctrine sociale : si un pape dit, durablement et fermement, le contraire de ses prédécesseurs à propos des principes essentiels, c’est qu’on n’est plus dans la doctrine, celle-ci, par définition, étant immuable. François a donné un infléchissement contraire à ses prédécesseurs ; à son successeur de ne pas transformer cet infléchissement en rupture avec les grands principes de la doctrine sociale.
11 commentaires
“On trouve la même dérive dans l’application de la subsidiarité dans les traités européens”… à qui le dites vous ! Mais quand on rappelle urbi et orbi que l’européisme est un socialo-keynésianisme, on se fait traiter de tous les noms. La réalité est que le Pape François est sur la ligne du bloc centriste français et d’une bonne partie du MEDEF (abreuvé d’aides indirectes) lui-même… la question du renouveau libéral ne se pose donc pas que dans l’église mais surtout dans la vie politique et intellectuelle française. Quand on voit des Villepin et des Edouard Philippe aller se faire applaudir à la Fête de l’Huma, je pense que c’est clair… mais nul doute pourtant que les bonnes âmes – y compris libérales – nous appelleront à “faire barrage” en 2027 en votant pour un islamo-gauchiste quelconque. Pourquoi cette torpeur intellectuelle en France ?
Merci, à la lecture de ce texte tout observateur dilletante de l’institution catholique comprend mieux pourquoi et à quel point François, avec sa novlangue et ses inversions des concepts les plus basiques, méritait son qualificatif de “pape de gauche”.
En Amérique Latine, les curés catholiques ont chassé la population des églises.
Pas de quoi pavoiser. Les Chrétiens évangélistes ont gagné beaucoup de fidèles.
L’admiration de la Gauche pour ce pape ne s’est jamais démentie. Mêmes mots creux ou déformés. Même admiration exclusive pour les pauvres.
La vie des curés est difficile : donner l’exemple ; pas de liaisons avec les femmes ; niveau de vie médiocre ; rôle social évaporé. On fait difficilement pire.
Ce qui m’aura le plus interpellé, lors du dernier “” bain de foule “” de tout le règne de ce souveraini,
sera le nombre démesuré, disproportionné, hallucinant, de bonshommes entourant la papamobile.
aurait-on craint qu’on la lui vole ?
Très discutable l’action de ce Pape. Mondialiste, immigrationniste, la submersion migratoire que nous subissons ne le dérangeait pas, Covidiste, aucune réflexion sur ce soit disant vaccin, très discret sur le massacre des Chrétiens d’Orient etc.. Et par dessus le marché très gentil avec l’Islam. Il s’est mis à plat ventre aux pieds de je ne sais plus quel grand mufti musulman, ce qui est un signe de soumission. Un Pape de l’Église Catholique et Apostolique ne doit pas faire cela. C”est scandaleux, l’Islam étant l’ennemi de la Chrétienté.
Quand on voit le patrimoine immobilier de l’Eglise, on se demande s’il ne devrait pas accueillir tous les immigrés que le pape nous pousse à accueillir chez nous…. La curie pourrait partager des bureaux bien trop grands pour les princes de l’Eglise.
Monsieur le Professeur,
Qu’il est dommage que vous n’ayez pu assister à la dernière conférence du Professeur Jacques Garello sur le thème : « catholicisme, libéralisme, divergence ou convergence ? ».
Il a attendu longtemps, en vain, les « Aixois »…
J’y étais.
Vos connaissances spécialisées sur ce thème, n’auraient pas manqué d’enrichir les débats.
Je vous remercie pour votre analyse approfondie qui l’aurait enthousiasmé !
Et celle-ci aurait trouvé sa juste et naturelle place dans « la Nouvelle Lettre ».
Respectueusement,
Mme D. CHEF
L’Eglise romaine se divise depuis longtemps en 2 tendances contraires sur ce sujet : une tendance social-conservatrice et une tendance libéral-conservatrice. Sans compter les tentatives de synthèse. Frédéric Bastiat donne une doctrine d’un libéralisme économique catholique parfaitement étayé au plan aussi bien scientifique que théologique. J’invite les chrétiens à lire son oeuvre.
Ce lundi de pâques le pape François est mort! Etrange coïncidence pour un pape; mourir à la suite du moment consacré à la résurrection de Jésus. Curieuse époque et institution paradoxale, l’Eglise Catholique fait tout à contretemps. En période de mondialisation elle a délaissé sa langue universelle, le latin, pour la multitudes des langues propres à chaque communauté. Avec le Pape François elle fustige l’économie de marché de nos sociétés libres pour prêcher je ne sais quel partage de la misère avec les communautés qui démontrent par l’exemple leur incapacité à construire un monde meilleur. Bref, pour ma part je ne pense pas que l’action de ce Pape fut bénéfique à l’humanité dans son ensemble. La foule de fidèles qui se pressent à Rome m’étonne. Il nous reste à attendre qui succédera à François? Je souhaiterais, pour ma part, un personnage de la trempe de Jean-Paul 2, un personnage qui ne courtise pas la popularité mais affronte l’opinion générale pour l’édification du monde et l’élévation de l’humanité
Bien sûr le trône de St.Pierre sera occupé par un nouvel homme, mais François a profondément préparé sa succession en nommant une foultitude de Cardinaux à son goût et limitant le pouvoir des électeurs âgés . Ainsi sa doctrine personnelle sera appliquée et amplifiée . . . sauf si un coup d’état comparable à celui qui lui a valu cette charge se répète . Dans les conditions qu’il a créées il y a extrêmement peu de chances !
C’était un communiste comme beaucoup de prêtres sud américains de sa génération, adeptes de la théologie de la libération qui a sévit au XXe siècle.