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Discours du Premier ministre au CESE

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L’une des annonces-phares du Premier ministre dans son discours du 11 décembre dernier au CESE a été incontestablement le report de la première application de la réforme des retraites de la génération 1963, telle que prévue par le rapport Delevoye en juillet dernier, à la génération 1975. Soit un décalage dans le temps de 12 ans, qui n’équivaut certes pas à la clause du grand-père un instant évoquée, mais qui, compte tenu du maintien de l’âge légal à 62 ans, repousse néanmoins à 2037 la première cohorte de retraités issus de la réforme.

Or ce décalage pose plusieurs questions :

– pourquoi repousser si loin les premiers effets tangibles d’une réforme qui n’a que des qualités et dont normalement tout le monde devrait vouloir bénéficier le plus vite possible ?

– un tel décalage dans le temps ne risque-t-il pas d’accroître l’exposition de la réforme à des changements législatifs importants et imprévisibles venant des majorités issues de l’une ou l’autre des trois législatures qui vont normalement se succéder d’aujourd’hui à début 2037 ?

– en allongeant encore de 5 à 10 ans les transitions pour les fonctionnaires et les autres ressortissants de régimes spéciaux bénéficiant de facultés de départ anticipés à 52 (génération 1985) ou 57 ans (génération 1980), n’aboutit-on pas à remettre en cause dans le temps l’universalité d’un régime, qui se scindera durant très longtemps en de multiples cohortes ne marchant pas toutes du même pas ?

Pourquoi enfin précisément 1975 au lieu de 1963 ? Derrière cette question innocente se cache en réalité un calcul intéressant, dont on a du mal à croire que le Gouvernement ne l’ait pas fait sien, face à la levée de boucliers à laquelle la réforme s’est trouvée confrontée ces tout derniers mois.

I – Quelques chiffres

Ces chiffres sont arrondis au plus proche pour raison de simplicité : la population active du pays compte quelque 29,7 millions de travailleurs, l’effectif total des retraités actuels est de 17,2 millions, le corps électoral réunit 47 millions d’électeurs. Pour les régimes spéciaux, on compte 4,3 millions de cotisants pour les trois fonctions publiques et 0,4 million de cotisants relevant des autres régimes spéciaux (75% provenant de la SNCF, de la RATP et des industries énergétiques). Toutefois pour éviter de compliquer à l’infini les calculs, on négligera les reports supplémentaires accordés aux agents bénéficiant de faculté de départ anticipé, parce qu’ils ne portent que sur des effectifs relativement très réduits (leur exacte prise en compte viendrait d’ailleurs renforcer encore la conclusion de notre démarche exploratoire).

II – Les calculs

+A – Formule Delevoye (juillet 2019)+

Originellement le rapport Delevoye avait retenu la génération 1963 pour être la première à entrer dans la réforme à l’échéance 2005. Pourquoi ? Parce que si l’on applique une durée de carrière de 42 ans à une entrée dans le monde du travail à 20 ans, la génération 1963 se trouve pour son départ en retraite en 2025 (= 1963+20+42) outrepasser le délai-plafond de 5 ans à compter de la présentation de la loi, tel qu’originellement prévu dans le rapport précité.

Ce qui veut dire que cette date-limite permettait au moment de la présentation de la réforme de retrancher de la population active 5 cohortes d’actifs (2020 à 2024) sur les 42 qui composent cette même population, soit

29,7 millions x 5/42 = 3,5 millions de travailleurs

qui se trouvent ainsi échapper à la réforme. Si l’on ajoute à ces 3,5 millions d’actifs préservés de la réforme, 17,2 millions de retraités qui y échappent naturellement, on réunit un effectif de 20,7 (=3,5+17,2) millions d’électeurs qui, a priori, n’auront aucune raison de protester contre la réforme, ni de verser dans l’opposition. Mais ces 20,7 millions ne représentent que :

20,7/47 = 44% du corps électoral,

ce qui laisse quand même un vaste champ d’expression à tous ceux qui ne veulent pas de la réforme avec les risques qui s’ensuivent. Incontestablement, il était possible de faire mieux et c’est d’ailleurs à quoi va s’atteler le discours du Premier ministre.

+B – Formule Philippe (décembre 2019)+

Il recule la première mise en application de la réforme de la génération 1963 à la génération 1975. Ce qui a immédiatement pour effet de retrancher de la population active 17 cohortes d’actifs (2020 à 2036) sur les 42 qui composent cette même population

29,7 millions de travailleurs x 17/42 = 12,0 millions

d’actifs qui se trouvent ainsi échapper à la réforme. Si l’on ajoute à ces 12 millions d’actifs préservés de la réforme les 17,2 millions de retraités qui y échappent naturellement, on réunit un effectif global de 29,2 (= 12,0+17,2) millions d’électeurs qui, a priori, n’auront aucune raison de protester contre la réforme, ni de verser dans l’opposition. Mais cette fois, ces 29,2 millions représentent :

29,2/47 = 62 % du corps électoral,

ce qui assure au Gouvernement une marge de sécurité confortable en vue des prochaines échéances électorales et de celles qui suivront. En outre, la réforme elle-même ne va plus concerner dans l’immédiat que :

29,7 – 12,1 = 17,6 millions de travailleurs

en ayant avec diverses mesures catégorielles additionnelles (bonus d’entrée, revalorisation salariale, délais supplémentaires, etc.) purgé cette cohorte résiduelle d’une bonne partie de ses opposants les plus déterminés.

III – La stratégie

En fait, devant la difficulté, au vu du flou de sa présentation, de renforcer les soutiens de la réforme face à la brusque montée des oppositions, toute la stratégie du pouvoir a donc consisté à réduire patiemment le nombre des opposants potentiels par diverses mesures calendaires et catégorielles accentuées encore ces derniers jours. C’est ainsi qu’en reculant de 12 ans son entrée en vigueur, le Gouvernement réussit à la fois à faire plus facilement passer la réforme et à réduire au maximum les risques électoraux auxquels elle expose inévitablement la majorité gouvernementale. On comprend mieux alors le choix de la génération 1975, parce que c’était cette année qui faisait gagner le plus de temps, sans tutoyer immédiatement l’année 1977 qui aurait fort inopportunément placé la personne du Président en dehors du champ du nouveau texte. Comme quoi, dans une réforme importante, la manière de gérer et de déplacer le temps peut s’avérer aussi importante que le soin apporté au contenu de ce que l’on propose !

Conclusion

Malheureusement une partie de cette subtile stratégie a été brouillée par la confirmation par le Premier ministre de l’âge-pivot à 64 ans, étendu aux générations antérieures à celle de 1975 mais encore en activité. Loin de rattraper le coup, l’incroyable volte-face d’une majorité qui n’a pas craint – dès le lendemain de son discours- de désavouer implicitement le chef du Gouvernement sur cette question hautement clivante n’a fait qu’ajouter encore à la perplexité de l’ensemble des générations concernées.


LA CFDT « PIVOTE »!

On sait que la CFDT, ardent promoteur en son temps des 35 heures, ne veut absolument pas entendre parler de la clause de l’âge-pivot qui repousse à 64 ans l’âge de départ à la retraite sans décote. Elle en a fait un casus belli – la fameuse ligne rouge – face au Gouvernement en marquant résolument son désaccord avec le discours d’Édouard Philippe, qui a osé acter le choix du pouvoir en faveur de cet âge-pivot. Mais le président de la CPME a justement rappelé que, dès 2015, la CFDT avait, conjointement avec la CFE-CGC et la CFTC, introduit le principe de l’âge pivot aujourd’hui en vigueur au sein de l’Agirc-Arrco.

On peut donc légitimement s’étonner de cette curieuse schizophrénie syndicale, à moins que la clause de l’âge-pivot n’ait été jugée bonne que pour les manants du secteur privé et qu’au contraire, pour des raisons qu’on imagine volontiers, il faille absolument en préserver un secteur public sur lequel les enchères ne cessent de monter entre les centrales en concurrence et qui y recrutent une bonne partie de leurs troupes.

Résultat : de plus en plus déboussolés, les Français ne savent plus à quel saint se vouer et ils traduisent leur désarroi en apportant encore à 68% (sondage du 13 décembre) leur soutien à des grèves dont ils savent bien qu’elles ne résoudront rien. Car enfin trois options sont possibles et pas une de plus :

1 – soit la réforme est effectivement juste et efficace et, par rapport à un système antérieur accablé de tous les maux, elle engendre alors inévitablement des gagnants et des perdants : pourquoi tant tarder, ne pas l’admettre et ne pas révéler dès maintenant aux uns et aux autres dans quel camp ils se trouveront ?

2.- soit par extraordinaire la réforme ne comporte ni gagnants ni perdants, pourquoi alors installer le doute, instiller une angoisse malsaine, provoquer et généraliser les désordres et les troubles dans un pays dont l’opinion se fracture dangereusement, le tout pour imposer une réforme parfaitement inutile ?

3 – soit enfin le Gouvernement navigue à la corne de brume dans une réforme dont un quarteron d’économistes lui a vendu vite fait, bien fait, un séduisant croquis, mais dont, plus de deux ans après, il est toujours incapable d’établir précisément le plan-masse. En effet, le citoyen peut se demander légitimement si les deux ans passés et les reports successifs n’ont pas servi en réalité à masquer une improvisation permanente et brouillonne, ponctuée par ces tergiversations infinies et ces revirements incessants, dont la récente embardée sur l’âge-pivot et la révélation ô combien tardive des multiples et gênantes attaches du Haut-Commissaire ne sont que les derniers avatars.

S’il veut vraiment cette réforme, le Gouvernement ne va pas pouvoir indéfiniment se cacher derrière la valeur indéterminée du point pour bloquer tous les calculs de ceux qui veulent savoir où on les emmène. Il va bien falloir qu’un jour ou l’autre – et le plus tôt sera le mieux – le pouvoir abatte enfin loyalement ses cartes, toutes ses cartes, en cessant de jouer avec les syndicats et l’opinion à une sorte de poker menteur que nombre de Français, légitimement inquiets, supportent de plus en plus mal.

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1 commenter

Dominogris 17 décembre 2019 - 3:10 pm

Lâcheté et calculs électoraux
Votre conclusion est implacable de logique et un gouvernement courageux s'en inspirerait.
Si vous voyez juste, les petits calculs électoraux du gouvernement montrent qu'ils tablent sur l'égoïsme des électeurs. Ce n'est pas très glorieux…
Quoi qu'il en soit, comme les socialistes n'ont pas encore réussi à abolir complètement la famille, les retraités et les plus âgés des travailleurs peuvent très bien refuser cette réforme qu'ils pensent mauvaise pour leurs enfants!
En réalité, il aurait fallu instituer d'abord un système par points qui convertirait les droits actuels acquis sans rien y changer dans un premier temps, et ultérieurement faire converger les règles de la retraite de base.

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