Le NHS (National Health Service), le système de santé public britannique, vit une crise sans précédent. En 75 ans d’existence, il connaît le plus grand mouvement social de son histoire avec des dizaines de milliers d’infirmières et d’ambulanciers en grève qui réclament des hausses de salaires ainsi qu’une amélioration des conditions de travail.
Depuis 2011, le pouvoir d’achat de certaines catégories d’infirmières britanniques a chuté de 20 % et la proportion des employées qui quittent la profession s’élève désormais à 10,9 % contre 8,5 % auparavant. La gravité de la situation est telle que, dans un contexte d’inflation qui dépasse 10 % au Royaume-Uni, plus de la moitié des trusts du NHS (les organismes publics qui gèrent les hôpitaux) sont contraints d’ouvrir des banques alimentaires pour le personnel. Des difficultés qui se répercutent également sur les patients : lorsqu’il y a suspicion de crise cardiaque ou d’AVC, il faut attendre néanmoins en moyenne 90 min pour qu’une ambulance arrive. Aujourd’hui, près de 7,1 millions de personnes attendent une prise en charge pour des traitements non urgents, tandis que d’autres se voient refuser l’accès à des hôpitaux saturés.
Baisse des salaires, allongement record des temps d’attente, mais aussi pénurie de personnel : le besoin s’évalue à environ 130 000 postes supplémentaires (12 000 médecins hospitaliers et 47 000 infirmières). Déjà en 2013, alors que la moyenne européenne était de 347 médecins pour 100 000 habitants, le Royaume-Uni n’en comptait que 278 pour 100 000. La baisse du nombre de diplômés en médecine (– 3,6 % depuis 2021) s’ajoute aux difficultés rencontrées pour remplacer les infirmières en provenance de l’UE qui, depuis le Brexit, ne franchissent plus le « Channel ».
La collectivisation des soins : un principe noble miné par la réalité
Pour comprendre l’ampleur du problème, il faut revenir aux origines du système de santé britannique. Le National Health Service (NHS) a été créé en 1948, après la Seconde Guerre mondiale, dans le but de fournir à la population un accès aux soins gratuit. Inspiré du système bismarckien – mais plus ambitieux encore – il a imposé la nationalisation des hôpitaux. Jusque-là gérés pour la plupart d’entre eux par des sociétés mutualistes, ils sont à présent gérés de manière centralisée par le gouvernement britannique. En matière de finance par exemple, le budget du NHS Angleterre est défini par la Couronne, tandis que les autres régions (Écosse, Pays de Galle, Irlande du Nord) dépendent du versement de subventions.
Un principe noble miné par la réalité : en 2022, 1 adulte sur 10 déclare avoir fait appel à des services de soins privés au cours des 12 derniers mois, dont 63 % en raison des délais d’attente du NHS. Nombreux sont ceux qui se tournent désormais vers l’offre du secteur privé : 10,6 % de la population britannique est couverte par une assurance de santé privée. “Le Royaume-Uni a confondu économie et efficacité dans son approche de la santé, et c’est en train de se retourner contre lui” assène Nigel Edwards, ancien directeur général du NHS.
La cause principale serait liée aux économies drastiques des gouvernements conservateurs successifs, ainsi qu’à des gels de budget depuis la crise financière de 2008. Lorsqu’on examine les choses de plus près, il est vrai que le Royaume-Uni dépense moins que ses grands voisins européens. Les dépenses de la NHS représentent 10,2 % du PIB en 2019 – dans la moyenne de l’OCDE – mais cela reste inférieur à des pays comme la France (11,1 %), l’Allemagne (11,7 %) ou encore la Suède (10,9 %). Pourtant, les dépenses publiques de santé par rapport au PIB ont plus que doublé depuis 1953, et ne cessent d’augmenter ces dernières années : 121,5 millions de livres en 2008, 156 millions en 2019, et un plan de dépenses de 184,5 millions de livres pour 2024. Partant de ce constat, il semble difficile d’imputer la situation actuelle à une hypothétique politique d’austérité.
Les dépenses du Department of Health & Social Care (DHSC), le ministère de la Santé britannique, sont en constante augmentation
L’échec de la gestion bureaucratisée
En réalité, c’est bien la gestion financière du NHS qui est source de problèmes. Selon un rapport du National Audit Office de 2020, la stratégie de financement court-termiste et l’absence de plan d’investissement à long terme du ministère de la Santé, de la NHS England et de la NHS Improvement ont accéléré la crise du NHS. Depuis les années 2010, les trusts sont en déficit du fait de dépenses supérieures à leurs revenus. Un déficit qui s’évaluait à 827 millions de livres en 2018, conduisant le ministère de la Santé à contracter 10,9 milliards d’encours de dettes l’année suivante. Focalisés sur les dépenses quotidiennes, les trusts ont accumulé des dettes auprès du ministère pendant plusieurs années sans réelles perspectives de remboursement. Avec comme résultat des déficits croissants, des emprunts à court terme, ainsi qu’une baisse des investissements. Aujourd’hui, le NHS n’est plus capable de répondre à la demande croissante d’une démographie vieillissante.
Certes, des partenariats avec le secteur privé ont été noués pour assainir les comptes publics, notamment pour le financement, la construction et l’exploitation d’infrastructures (hôpitaux, cliniques, maisons de retraite, etc.). En 2000, un accord avec l’Independant Healthcare Association (IHA), une association représentative des prestataires indépendants de soins de santé et de services sociaux, a ainsi permis à la population britannique de se soigner dans plus de 200 hôpitaux privés.
Mais cela n’a pas suffi. Déjà sous la gouvernance de Tony Blair, ancien Premier ministre, le fossé entre la hausse des financements du NHS et la baisse des résultats (listes d’attente allongées, augmentation des morts prématurées, annulations d’opérations chirurgicales) était palpable. Au point qu’Alan Milburn, secrétaire d’État à la Santé, en arrive à constater que le NHS recrutait plus de fonctionnaires que d’infirmières. Découragé par la posture du gouvernement travailliste qui érigeait les dépenses comme des solutions à tous les problèmes, il a fini par démissionner en 2003. Une illustration de la Loi de Gammon selon laquelle le fonctionnement d’un système bureaucratique ne peut conduire qu’à un épuisement des ressources et à la baisse de la productivité. Mais aussi qu’une hausse des dépenses publiques de santé n’est pas nécessairement source de qualité et d’efficacité.
Alors que notre système de santé français s’enfonce désespérément dans un système beveridgien, sachons tirer les leçons de l’expérience britannique.
1 commenter
Un peu comme chez nous : un problème? Au lieu d’engager des professionnels de santé compétents on paye très cher des technocrates qui pour la plupart n’y connaissent rien mais nous expliquent quand même ce qu’il faudrait faire. Un tas de contraintes administratives en découle ce qui empêchent tout le monde de travailler sereinement. C’est la paralysie et le découragement assurés. Les ARS coûtent cher et ne servent à rien, par exemple. Idem pour les certifications, la T2A etc..