Programmer un déficit égal à quelque 9 % du PIB est déjà en soi d’une certaine audace. Mais l’audace devient de l’inconscience quand le niveau de la dette publique dépasse largement 80% du PIB. Analyse du Pr. Jacques Garello, administrateur de l’IREF et président de l’ALEPS.
Monsieur Eric Worth fait ce qu’il peut pour persuader les Français que le gouvernement maîtrise les finances publiques. La « loi de finances » pour 2010 prévoit un déficit de 116 ¬milliards, en recul par rapport au déficit 2009, qui se montera à 141 milliards. Il s’agit hélas d’une double tromperie.
Tromperies sur l’importance du déficit
D’une part le déficit « voté » l’an dernier à la même époque n’était pas de 141 milliards mais « seulement » de 56 milliards. Comme on doit comparer ce qui est comparable, cela signifie que le déficit voté a doublé d’une année sur l’autre, passant de 56 à 116 milliards.. Il n’y a pas eu baisse. Si l’on applique le même taux de dérive sur 2010 que ce que l’on a observé en 2009 (2,5), le déficit en fin d’année 2010 devrait être non pas de 116 milliards, mais de 290 milliards !
D’autre part, en excluant toute dérive – ce qui est évidemment très optimiste – présenter comme vertueux un budget en déficit de 116 milliards, soit 8,5 % du PIB, est tout de même assez osé. Rappelons que les engagements pris dans le cadre du pacte d’Amsterdam dit « de stabilisation » par des gouvernants français « ultralibéraux » « avant la crise » étaient de 3% du PIB et que Nicolas Sarkozy avait promis à nos partenaires de l’Union et à la Commission de Bruxelles que la France serait à l’équilibre budgétaire en 2012 (après avoir d’ailleurs reporté d’un an cette échéance mirifique). Sans doute la rupture avec l’ultralibéralisme exigée par la crise qu’il avait provoquée, et la gestion de la crise elle-même, nous ont-elles totalement libérés de tout engagement international. La France est au-dessus de tout soupçon. Cependant, Monsieur Worth est obligé d’admettre que le déficit 2010, avec ses 8,5% du PIB, représentera un nouveau dérapage, puisque le déficit 2009 ne représente « seulement » que 8,2 %. Dérapage purement arithmétique, puisque le PIB 2010 serait moins élevé que celui de 2009 – ce qui contredit les bulletins de santé affichés en permanence à Bercy.
Bien entendu, le Président Sarkozy a d’excellents alibis, c’est lui qui a voulu cette audace, et il a assez reproché à ses amis européens de ne pas être assez agressifs face à la crise, en restant très en deçà des efforts salutaires des Etats-Unis, et également en deçà des initiatives budgétaires prises par la France.
Il faut être réellement convaincu des mérites de la dépense publique dans la relance de l’économie pour se lancer dans une telle aventure.
Il faut surtout être réellement inconscient pour négliger le financement d’un tel déficit.
Pour résorber les déficits : faire payer les riches
Evidemment, l’opposition de gauche pense que tout pourrait se régler si l’on se décidait « enfin » à faire payer les riches, et si l’on mettait fin aux cadeaux fiscaux qu’on leur fait en permanence, tel le bouclier fiscal. On ne voit pourtant pas comment les 10 % de Français « les plus riches » pourraient payer un impôt de 150 milliards. Comme il y a 52.000 foyers fiscaux qui peuvent passer pour « riches », à supposer qu’on applique la proportionnalité (et non la progressivité) cela représenterait donc pour chaque foyer fiscal un impôt « exceptionnel » de 3 millions d’euros – une bagatelle. Cette exception devrait évidemment se pérenniser dans les années suivantes. Il est vrai que des savants comme Thomas PIKETTY, économiste du PS, ont calculé qu’en France on n’était pas encore arrivé au point de retournement de la courbe de Laffer, ce qui signifie que l’on peut augmenter encore le taux de prélèvements obligatoires (et notamment le taux marginal) sans risquer une chute des recettes fiscales. Donc, on peut y aller franchement : augmentons les impôts !
Il semblerait que cette profession de foi pro-fiscaliste n’inspire pas toute confiance à Bercy, puisque nos grands argentiers s’occupent beaucoup aujourd’hui de lutte contre l’évasion fiscale, évidemment soupçonnée d’être frauduleuse. Si l’effet Laffer ne jouait pas, les gros contribuables ne chercheraient pas à fuir la France, et seraient très heureux de rester chez nous pour payer plus d’impôts encore.
La voie de l’inflation est momentanément coupée
La voie fiscale étant fermée, restent trois manières de financer les déficits, deux mauvaises mauvaise et deux bonnes. Est mauvaise le recours à l’inflation. Le problème c’est qu’à cause de la création de l’euro on ne peut y aller que tous membres de l’Euroland ensemble. Les Anglais ont pu se payer le luxe de faire perdre à la Livre 25 % de sa valeur parce que la Banque d’Angleterre est restée souveraine. Ainsi les Anglais ont-ils pu spolier leurs épargnants et les créanciers étrangers ayant des avoirs en monnaie anglaise. Cela ne suffira pas à rétablir l’équilibre de leur finance publique. Quant à la Banque Centrale Européenne, elle doit affronter depuis des mois la pression de la France pour faire baisser la valeur de l’euro, mais les Allemands, Hollandais et Scandinaves n’en veulent pas.
Il est vrai que la BCE émet une quantité de monnaie déraisonnable qui tôt ou tard aura des répercutions sur le niveau des prix dans l’Euroland, mais pour l’instant le gouvernement français ne peut utiliser l’issue de crise budgétaire choisie par le tandem Maurois Delors en 1981-1983 : trois dévaluations en deux ans. Pour l’instant, considérons que le recours à l’inflation est impossible à court terme.
La cavalerie montée
On peut se rabattre sur une deuxième source de financement : l’endettement supplémentaire. Il faut donc que l’Etat emprunte, et pour cela trouve des prêteurs. Ceux-ci ont certes une confiance « illimitée » dans la signature de l’Etat français. Un Etat rembourse toujours : ne vient-on pas il y a quelques mois de rembourser les emprunts russes du début du XXème siècle ? Cependant les taux d’intérêt exigés par la finance internationale (« le mur d’argent ») pour prêter à la France seront de plus en plus élevés, et alourdiront encore le service de la dette, première dépense publique et première origine des déficits budgétaires. Donc, le financement des déficits se fait par des déficits nouveaux, cela s’appelle habituellement de la cavalerie.
Aller chercher la croissance avec les dents
Restent deux bonnes manières : celles d’une croissance accélérée permettant des rentrées fiscales accélérées, accompagnée d’une réduction drastique des dépenses publiques. Restons dans la logique actuelle du Président Sarkozy : il n’est pas question de réduire la dépense publique, puisqu’il faut au contraire « relancer la relance » avec davantage de dépenses. Le seul espoir est donc dans l’accélération de la croissance qui accroîtra les rentrées fiscales plus sûrement que la hausse des taux d’imposition. Les architectes du budget nous disent que la croissance va être présente dans les prochaines années au vu de deux changements importants : d’une part la « croissance verte », d’autre part les investissements du futur. La croissance verte est une aimable farce, puisqu’on sait que les impôts et les réglementations imaginés à Grenelle détruisent plus d’emplois et d’entreprises qu’ils n’en créent. Quant aux « investissements du futur », dans un premier temps ils impliquent des dépenses supplémentaires sans retour immédiat, de sorte que les déficits se creuseront immanquablement ; au demeurant on ne voit pas en quoi les investissements planifiés par les ministres avec l’argent public seraient plus rentables que les investissements qu’auraient réalisés des entreprises privées si on leur en avait laissé les moyens, au lieu de les ponctionner et de « partager le profit ». « J’irai chercher la croissance avec les dents », disait le Président au début de son mandat. Il s’est cassé les dents.
Rompre avec le mythe de la dépense publique ou se préparer au déluge
Il faut ignorer complètement les principes de la loi de Say et de « l’économie de l’offre », pour croire qu’il peut y avoir croissance sans prospérité des entreprises, ni prospérité des entreprises sans liberté d’épargner,d’investir et de créer des emplois. Aujourd’hui cette liberté est détruite par la fiscalité, la réglementation et le droit social. Il n’y aura donc pas de croissance, ni de financement possible des déficits. La réalité économique impose une élimination des déficits, une rupture avec le mythe de la dépense publique. Une vraie rupture de gouvernement, un vrai retournement de l’opinion publique et de ceux qui la manipulent.
Pour l’instant, qui s’en soucie ? « Après nous le déluge a toujours été la doctrine socialiste », écrivait jadis Ludwig von Mises. Après la Régence et Louis XV est venu le déluge.