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La belle vie des fonctionnaires de l’Assemblée nationale

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Cette étude a été réalisée avec difficulté eu égard au peu d’informations délivrées par l’Assemblée Nationale et ses agents, notamment sur l’association AGRAN qui gère ses restaurants. Nous déplorons ce manque de transparence, suspect en soi, et nous accueillerons avec plaisir toutes informations qui viendraient compléter ou corriger ces données.

  • Des salaires mensuels nets entre 6 454 € et 18 736 € en 2017 (8 936 € brut / mois en moyenne en 2016)
  • Soit 2,5 fois plus que le salaire moyen des agents du Bundestag (3 543 € brut/mois) et 2,2 fois plus que le salaire des agents de la House of Commons (3 949 € brut/mois) en 2016
  • Un taux de primes de 114,5 % en 2016 qui double les salaires
  • Un accaparement de fonds publics par l’Association pour la gestion des restaurants administratifs de l’assemblée nationale (A.G.R.A.N) qui a multiplié par 37 les subventions annuelles qu’elle percevait de l’Assemblée dès 2007 (de 170 000€ à 6 millions d’euros)
  • La même association qui, sur la base des données obtenues, rémunère ses salariés à hauteur de 14 098 € nets par mois en moyenne.

Introduction « L’erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l’histoire un petit nombre d’hommes, ou même un seul, en possession d’un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s’est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n’ont songé qu’à le déplacer. » Benjamin Constant, Principes de politique (1815) Lorsqu’on pénètre pour la première fois dans le Palais Bourbon la majesté du lieu si chargé d’histoires nous éblouit. Il n’est pas possible de rester insensible aux peintures de Delacroix qui décorent les murs du salon du Roi et les dômes de la bibliothèque qui renferment de véritables trésors. Où l’odeur du bois usé et ciré côtoie le parfum de livres bicentenaires. Il faudrait être le plus fermé et apyre des cœurs pour ne pas ressentir la chaleur des passions qui plane encore dans l’Hémicycle après tant de débats enflammés et exaltés. Il est impossible de ne pas se laisser envahir du calme et de la sérénité du jardin des Quatre colonnes où trône Montesquieu en protecteur de la séparation des pouvoirs. L’Assemblée nationale est, en ce sens, un lieu sacré. Dans l’univers collectif, elle est le temple de la démocratie, l’expression de la séparation des pouvoirs garantissant l’équilibre de la démocratie. Elle représente, chez ses pères fondateurs du Serment du Jeu de Paume, la lutte contre l’arbitraire du pouvoir centralisé et absolu. Toutefois, nous ne sommes plus en 1789 et les grands principes semblent avoir déserté la Chambre basse tout comme la pureté qu’inspire ces lieux. À trop vivre dans un ancien palais royal, certains ont certainement imaginé qu’ils constituaient une nouvelle noblesse à qui l’on ne refuse aucun privilège. Cette noblesse de caste se compose bien sûr d’élus, mais pas seulement. Les fonctionnaires parlementaires sont certainement ceux dont on parle le moins. Dès qu’un rapport, un article de presse ou encore une émission de télévision s’intéresse de trop près, ils disparaissent comme par enchantement. Pourtant, ces fonctionnaires jouissent d’avantages à faire pâlir les statutaires des autres fonctions publiques, et les députés même. Les tout premiers privilèges ont d’abord été ceux de la cooptation. Pour travailler à l’Assemblée il fallait être parrainé par un autre fonctionnaire ou par un député qui acceptait toujours volontiers de répondre favorablement à la demande d’un de ses électeurs. L’on devenait huissier de père en fils, et sans ami ou famille au sein du Palais Bourbon, impossible de connaître les postes à pourvoir. Il n’y avait pas de concours public, du moins, pas avant 1980. Des séries d’avantages ont alors été mis en place durant toutes ces années sans jamais que l’Assemblée fasse l’objet de contrôle. Entre 1789 et 2016, l’Assemblée nationale n’aura été contrôlée qu’une seule fois par la Cour des Comptes sur demande du Président Sarkozy en 2007. L’audit fera scandale au sein des murs de la Chambre, si bien que les magistrats de la Cour seront gênés dans leur travail et des informations fausses circuleront pour biaiser leurs observations. L’audit sera enterré et les exemplaires dont disposait le Président de l’Assemblée, Bernard Accoyer, seront détruits au broyeur de ses propres mains en juin 2012 avant céder sa place à Claude Bartolone[[Botella, Bruno. Petits secrets et grands privilèges de l’Assemblée nationale. Paris : Editions du Moment, 2013]]. Le 21 janvier 2018 dernier, Capital[[« Train de vie de l’Etat la facture va-t-elle enfin baisser ? » Capital, 21 janvier 2018]] s’est intéressé au fonctionnement de l’Assemblée et certaines portes lui ont été ouvertes. Toutefois, les informations qui ont été révélées notamment celles sur la rémunération des fonctionnaires et le système de primes sont particulièrement inexactes. Ce rapport s’attachera, dans une première partie, à montrer le lien entre l’augmentation des dépenses de fonctionnement de l’Assemblée et l’augmentation des rémunérations des fonctionnaires. Ces rémunérations sont d’ailleurs largement sous-estimées et l’étude révèlera une grille des salaires plus réaliste. Une comparaison des traitements entre les fonctionnaires de la House of Commons et du Bundestag soulignera également les avantages des agents français. Dans une seconde partie, nous montrerons comment un accaparement de fonds public s’est organisé autour d’une association de gestion des restaurants parlementaires très discrète et protégée en interne. Enfin, le rapport reviendra sur deux privilèges et inepties qui subsistent au Palais Bourbon et qui coûtent chers au contribuable. Le cadre de cette étude est original, puisqu’il ambitionne de compléter par une enquête de terrain et des témoignages de l’auteur (qui y a travaillé) une série d’analyses et d’observations sur les comptes de l’Assemblée nationale.

1. L’Assemblée nationale : explosion de la dépense publique et des bureaucrates obsédés par l’appât du gain

Si l’Assemblée refuse d’être contrôlée, c’est sans doute par peur de la découverte d’un régime plus que généreux pour ses fonctionnaires et ses parlementaires. Davantage pour ses fonctionnaires, d’ailleurs. C’est par crainte aussi que l’on découvre que la vie de palais a complètement déconnecté de la réalité cette fonction publique qui protège secrètement, discrètement, jalousement et avec ivresse une vie opulente.

+a. Qui finance l’Assemblée nationale ? combien coûte-t-elle ? et comment se répartissent ses dépenses ?+

Les pouvoirs publics[[Les pouvoirs publics sont au nombre de sept : Président et Présidence de la République, Assemblée nationale, Sénat, Conseil constitutionnel, Haute Cour de Justice, Cour de Justice de la République]] perçoivent de l’Etat des crédits budgétaires sous forme de dotations qui sont, d’ailleurs, répertoriées de manières plutôt discrète dans le budget général. Classées comme « Charges Communes », leurs détails se retrouvent au sein des « verts budgétaires » – livret récapitulant par Titre, Agrégat et Chapitre le budget voté par le Parlement. Ainsi, ces charges nous permettent de savoir combien coûte la République en dehors de l’Etat et des Collectivités locales. f1-4.jpg La Figure 1 ci-dessus, représente l’évolution, sur la période la plus longue disponible, des dotations de l’Etat pour l’ensemble des pouvoirs publics et la part allouée à l’Assemblée nationale. Entre 1986 et 2016, la part attribuée à l’Assemblée a augmenté de 27,1%, soit près de 110 millions d’euros. Sa dotation a même atteint en 2009 les 554,20 millions d’euros avant d’être gelée à 533,9 millions d’euros entre 2010 et 2012, puis à 517,9 millions d’euros entre 2013 et 2016. L’Assemblée est donc financée par l’Etat et peut même se féliciter d’être le pouvoir public à percevoir la plus grosse part du budget alloué (54 % en moyenne). D’une part, ces données sont importantes parce que l’Assemblée, et ce malgré 228 ans d’existence, n’avait jusqu’en 1992 aucune obligation de rendre ses comptes publics et ne les publie réellement que depuis 2001. A ce titre, il est difficilement concevable de considérer raisonnablement que le pouvoir public qui représente le plus les citoyens ait méprisé à ce point la rigueur budgétaire de rendre des comptes détaillés sur l’emploi qu’il fait du moindre centime « public ». C’est malheureusement le cachet distinctif du législateur, qui, ayant tant de fois foulé aux pieds le principe de propriété, considère pouvoir disposer de du fruit du travail des autres ; qu’il peut vivre à leurs dépens. D’autre part, parce que le rôle de la Chambre basse s’est estompé avec la montée en puissance du Parlement européen, qui, depuis le traité d’Amsterdam (1997) s’est vu attribuer de nombreuses nouvelles compétences, transférées directement depuis les Etats membres. Sur ce dernier point, soulignons simplement que sous la XVe législature (2012-2017), 339 projets de loi (lois d’initiative gouvernementale) ont été adoptés contre seulement 110 propositions de loi (lois d’initiative parlementaire). Le législateur n’est pas le Député ou le Sénateur, mais l’Etat. Mais alors, si l’Assemblée nationale se contente d’être une simple chambre d’enregistrement des lois gouvernementales, pourquoi sa dépense augmente-t-elle à ce point ? Entre 2001 et 2016, les dépenses de fonctionnement représente de manière continue 96% des dépenses totales et les dépenses d’investissement 4%. Parmi les dépenses de fonctionnement (Figure 2), une partie importante est allouée aux charges parlementaires (57% en 2016) et aux charges de personnel (34%). Ces deux pôles de dépenses représentent respectivement 289,7 millions d’euros et 172,3 millions d’euros. Il ne faut cependant pas en déduire que la rémunération des députés est plus importante que celles des fonctionnaires. Dans le détail, les charges parlementaires se décomposent en différentes catégories de dépenses. Les indemnités de Députés s’établissent à 50 millions d’euros environ (soit 17% des charges parlementaires totales) et les frais de secrétariat des députés représentent la plus grande part des charges parlementaires (163 millions d’euros environ). Ils regroupent la dotation des groupes politiques mais aussi les rémunérations des assistants parlementaires. Au total, ce sont près de 3 000 personnes qui sont concernés par ces dépenses. Quant aux charges de personnel, c’est-à-dire les charges des fonctionnaires de l’Assemblée, elles se composent principalement de la rémunération des statutaires (effectif de 1 132 à la fin de l’exercice 2016) pour une somme de 110 millions d’euros environ (soit 64% des charges de personnel totales). f2-4.jpg Ces charges de rémunérations ont d’ailleurs légèrement augmenté, à mesure que le budget a grossi entre 2001 et 2016, à une vitesse quasi-similaire de 8,7% pour les indemnités de députés et 8,8% pour les rémunérations de fonctionnaires (valeurs en € courants ; Figure 3 et Figure 4 ci-dessous). L’on observe également que les indemnités des députés varient de manière moins forte que les rémunérations des fonctionnaires. Cela s’explique en partie du fait des suspensions de l’activité parlementaire avant les élections présidentielles et législatives (Figure 4 : pics bas de 2007 et 2012) qui impactent directement le salaire des fonctionnaires car ils effectuent moins d’heures supplémentaires. Les indemnités des députés demeurent toujours stables que le travail soit effectif ou non, que l’Assemblée suspende ses travaux, ou non. figure3.jpg figure4.jpg Au final, les charges d’exploitations (voir Annexe 1) ont augmenté de 23,7% entre 2001 et 2007, passant de 432,1 millions d’euros à 534,5 millions d’euros, orientées principalement par l’augmentation des charges de personnel et des charges parlementaires. L’opinion publique et les médias conformistes se sont beaucoup exprimés, à juste titre, sur les indemnités des Députés au cours de l’été 2017[[« Il y a un vrai besoin de restaurer la confiance sur le financement de la vie politique ». Franceinfo, 22 février 2018.]]. Une loi de moralisation a même été adoptée[[« Moralisation de la vie politique : le texte largement adopté ». Le Monde.fr, 9 août 2017, sect. Politique.]] afin de stopper les abus qui avaient été révélés au cours l’affaire Fillon. Les députés perdent ainsi leur deuxième indemnité dite « représentative de frais de mandat » et de la liberté dans le recrutement d’assistants parlementaires – qui, reconnaissons-le, ne sont pas les mieux lotis au Palais Bourbon. À l’Assemblée nationale, les abus sont loin d’être l’apanage des élus. Bien au contraire. Les charges d’exploitations et de personnel au Bundestag et à la House of Commons Les Chambres basses d’Allemagne et de Grande-Bretagne ont également des charges d’exploitation importantes comme le montre la Figure 5. Elles plafonnent à 300 millions d’euros (soit 211 millions de £) en 2016 pour la House of Commons et presque 857 millions d’euros pour le Bundestag en 2016. Elles ont également particulièrement augmenté comme pour l’Assemblée française. L’Assemblée britannique voit ses charges augmenter de 26,1% entre 2001 et 2016 et le Bundestag de plus 60% entre 2005 et 2016. Il s’agit, pour ce dernier, d’une véritable explosion des dépenses (voir Annexe 6, 7 et 8). Quelle est la part des charges de rémunération des fonctionnaires des deux Chambres et quelles sont leur évolution ? figure5.jpg Chaque Chambre basse a privilégié une stratégie de rémunération des fonctionnaires, mais l’Assemblée française a fait un choix illogique et coûteux Cette question est importante pour comparer de manière objective les dépenses de personnel des trois assemblées. A ce titre, il est crucial de remarquer que le Bundestag a réalisé les réformes sur le statut du fonctionnaire. Par conséquent, une partie des salariés du Bundestag ne sont pas des fonctionnaires (Beamten), mais des employés publics sous contrat privé et donc hors statut (Arbeitnehmer). Ces derniers représentent 43,4 % des 2544 agents du Bundestag en 2016[[« Comment l’Allemagne a rénové la fonction publique politique ». Daniel Vernet, Slate.fr, 15 avril 2017.]]. Cette distinction est fondamentale pour notre comparaison : nous retiendrons par conséquent la partie des fonctionnaires (sous statut) pour réaliser une comparaison juste des trois Chambres. L’observation des trois figures ci-dessous (Figure 6, Figure 8 et Figure 7) montre de manière assez évidente que les charges de rémunération en euros courants ont augmenté dans les trois chambres entre 2001 et 2016. Pour la House of Commons, ces charges ont bondi de 111,9 %, soit une augmentation de près de 60 millions d’euros. Pour le Bundestag, les données disponibles ne débutent qu’en 2005. Toutefois, sur cette période raccourcie, les charges ont augmenté de 69,8 % pour atteindre les 61 millions d’euros. Enfin, pour ce qui concerne la France l’augmentation a été plus faible, de 8,8% seulement, mais les sommes engagées sont bien plus importantes que chez ses deux voisins : 121 millions d’euros en 2016, soit 11 millions d’euros de plus que la House of Commons et 60 millions de plus que le Bundestag. Pour déterminer si l’augmentation de ces dépenses est justifiée, il est impératif d’observer l’évolution du nombre de fonctionnaires dans chacune des assemblées. Ainsi que les Figures ci-dessous l’exposent très clairement, au Bundestag et à la House of Commons, l’évolution du nombre d’agents suit celle des charges de rémunération. Ainsi, plus il y a de fonctionnaires, plus les dépenses augmentent. Le nombre de fonctionnaires augmente de 65,9% dans la Chambre britannique et de 22,2 % dans la Chambre allemande sur les mêmes périodes. f6-2.jpg Ces évolutions parallèles semblent aller dans le bon sens comptable (Figure 6 et Figure 8), si bien que l’évidence n’aurait pas besoin d’être soulignée tant elle saute aux yeux. Pourtant, elle ne semble pas être si visible pour l’Assemblée nationale (Figure 7) puisque ses gestionnaires diminuent la masse salariale de 11,1 % entre 2007 et 2016 tout en poursuivant l’augmentation de charges de rémunération. Ce contresens conduit à la seule conclusion plausible : le nombre de fonctionnaires diminue, mais ces derniers sont mieux payés. Qu’en est-il alors réellement ? Quels sont les vrais salaires des très discrets fonctionnaires de l’Assemblée nationale ? f8-2.jpg f7-2.jpg

+b. Une vie de faste : pour une moralisation des fonctionnaires parlementaires+

Le 21 janvier 2018, Capital diffuse sur M6 une enquête sur les « frais de l’Etat ». L’émission s’intéresse justement à l’Assemblée nationale après la loi de moralisation et cherche à montrer que certains privilèges subsistent, notamment pour ce qui est de la rémunération des fonctionnaires. L’enquêteur parvient même à se procurer la grille – jusqu’à lors jamais révélée – de la rémunération des agents du Palais grâce à la collaboration du 1er Questeur Florian Bachelier. Cette grille révèle des salaires exorbitants, mais est-elle vraiment exacte ? Confrontons les chiffres. La vraie rémunération des fonctionnaires de l’Assemblée nationale Cette révélation choque au sein de l’Assemblée. Jamais le « public » n’avait vocation à découvrir de tels salaires avantageux, si bien que le replay de l’émission disparaît mystérieusement du site de la chaîne. Cependant, et malgré ce contretemps, l’IREF s’est procuré cette grille et vous propose ci-après de l’étudier. Mais observons tout d’abord la composition de la rémunération des fonctionnaires. Le salaire réel d’un fonctionnaire de l’Assemblée, quel que soit son rang, se compose d’un traitement de base, d’indemnités de travaux supplémentaires (travail de nuit et en sessions extraordinaires[[Les travaux de l’Assemblée nationale sont organisés par session. Une session s’ouvre au premier jour ouvré d’octobre et se termine au dernier jour ouvré de juin. Cependant, une session n’est jamais suffisante pour terminer tout le travail parlementaire et étudier toutes les lois, c’est pourquoi deux sessions extraordinaires sont ouvertes : l’une au mois de juillet et l’autre au mois de septembre]]) et d’« autres indemnités » (Voir Annexe 1). Ces « autres indemnités » n’apparaissent comme unité comptable qu’à partir de 2011. Nous pouvons en déduire deux choses : soit elles apparaissent réellement en 2011 (ce qui serait difficile à croire), soit il y a eu jusqu’en 2011 dissimulation d’une unité comptable. La seconde hypothèse serait la plus probable, puisque cette apparition soudaine interviendrait juste avant le début des audits de certification de la Cour des comptes. Les Questeurs et leurs administrateurs auraient alors cherché à faire le ménage dans leurs comptes. Entre 2001 et 2016, le traitement de base a peu augmenté, de 2,9%. Les primes, en revanche, ont explosé : + 16 % d’augmentation pour les indemnités de travaux supplémentaires, dont un pic à + 40,7% en 2013. Les « autres primes » qui apparaissent en 2011 semblent, quant à elles, avoir un rôle bien particulier : elles sont un outil de compensation et de prévention des baisses « trop » importantes des indemnités de travaux supplémentaires, comme le suggère très clairement la Figure 9. En 2012, les élections présidentielles et législatives réduisent les indemnités pour travaux supplémentaires perçus puisque l’Assemblée suspend toute activité entre février et juin, soit 5 mois complets sans prime de nuit, sans prime d’heures supplémentaires, sans rien. Ces « autres indemnités » maintiennent par conséquent un niveau de rémunération des fonctionnaires plus stable et à la hausse ; ils n’ont ainsi pas à subir de baisse de salaire. f9-2.jpg La Figure 9 suggère également que le montant des primes est quasi égal au montant du traitement de base . En 2001, le taux de primes représentait 81,5% du traitement de base. En 2009, le total des primes atteint les 100,8% du traitement de base. Les fonctionnaires doublent alors leur salaire. Le pic est atteint en 2013 où le taux de primes est de 136,9% du traitement de base. En 2016, le taux de prime reste toujours élevé, puisqu’il atteint les 114,5%. Avec de tels taux, la part des primes dans la rémunération totale des fonctionnaires du Palais Bourbon dépasse très rapidement le traitement de base. La Figure 10 montre, qu’en 2001, la part des primes dans la rémunération totale était de 45%, donc que le traitement de base s’établissait à 55% du salaire total. En 2009, le rapport s’inverse, mais il est de courte durée car les primes baissent en 2010. En 2011, l’introduction des « Autres indemnités » va inverser définitivement ce rapport. Les primes vont alors représenter successivement jusqu’en 2016 plus de 50% de la rémunération totale. Le pic de 2013 fait plafonner à 58% la part des primes dans la rémunération totale. Les fonctionnaires parlementaires sont drogués à la prime et le phénomène ne désenflera pas. Ces taux de primes sont astronomiques, insensés, absurdes. Rien ne peut justifier un tel traitement de faveur, surtout en comparaison du taux pratiqué chez les fonctionnaires territoriaux et d’Etat de 25,4%. Rien ne peut justifier un tel traitement de faveur parce qu’il s’agit d’argent public, parce que cet argent public est prélevé sur le travail et l’épargne des contribuables. f10-2.jpg Avec de tel taux, on peut se demander alors combien gagne un fonctionnaire de l’Assemblée nationale. Ci-dessous, le Tableau 1 (voir également l’Annexe 2) présente la rémunération nette mensuelle des fonctionnaires par catégorie incluant le traitement de base et les indemnités. Il s’agit de la même grille de rémunération fournie par le 1er Questeur Florian Bachelier à l’enquêteur de Capital. Les salaires affichés sont élevés : un agent au plus bas de l’échelle commence à 3 780€, un ouvrier professionnel à 3 769€ et un assistant de direction à 4 153€. Face au journaliste de M6, F. Bachelier avait justifié de telles rémunérations en arguant de la sélectivité du concours administratif, de la qualité du travail réalisé et de la disponibilité dont les fonctionnaires font preuve. Cependant, aussi sélectif un concours soit-il, comment justifier qu’un assistant de direction, dont le concours est niveau « brevet des collèges », soit payé dès le premier mois travaillé plus du double de ce qu’un diplômé de Master 2 peut attendre sur le marché du travail. Près de 8 ans séparent les exigences de niveau d’études. De plus, et parce que les chiffres ont été fournis par la Questure de l’Assemblée nationale, nous avons effectué des calculs pour savoir si les chiffres corroboraient avec ceux du budget de l’Assemblée nationale. Dans un premier temps nous avons suivi l’hypothèse basse de F. Bachelier selon qui, il y a plus de bas salaires que de hauts salaires (selon la grille indiquée bien sûr). Nous avons appliqué un rapport 60/40 à chaque catégorie de fonctionnaire entre les salaires les plus bas (60%) et les salaires les plus haut (40% – à partir de 10 ans de carrière et dans le respect des effectifs des « grades contingentés ») (Tableau 2). Dans un second temps nous avons pris le dernier budget (2016) et décortiqués en trois partie la rémunération totale : traitement de base, indemnité de travaux supplémentaires et les autres indemnités (Tableau 3 et Annexe 2). t1-9.jpg Les tableaux 2 et 3 ci-dessous sont intéressants à observer car selon la base fournie par Florian Bachelier et nos estimations (dont une marge d’erreur est tolérable) le total de la rémunération annuelle, primes incluses, serait de 67,8 millions d’euros en 2017. Lorsqu’on observe les chiffres du budget 2016 de l’Assemblée nationale on s’aperçoit que le total de la rémunération dépasse les 108 millions d’euros. Il manquerait donc plus de 40 millions d’euros ! En observant attentivement les tableaux budgétaires de l’Assemblée nationale, nous remarquons que la prime de nuit représente entre 40 et 50 millions d’euros entre 2011 et 2016. Par conséquent, la somme la plus proche des 67,8 millions serait en fait composée du traitement de base et des « autres indemnités ». Certes en 2016, cette somme ne représentait que 62 millions d’euros, mais elle a déjà pu atteindre les 71 millions d’euros en 2013. À ce titre, elle constituait 54% à 60% de la rémunération totale entre 2001 et 2016. Pour cette dernière année, celle-ci représentait 57,2% de la rémunération totale (Tableau 3) En conséquence, Florian Bachelier n’a pas fourni les bons chiffres et entretient un flou sur ce qu’il entend par « primes incluses ». Son tableau exclut en fait les primes de nuit. Il est, d’ailleurs, plutôt logique qu’il ne les ait pas incluses puisque les indemnités de travaux supplémentaires dépendent de la charge de travail parlementaire, elles varient trop souvent pour fournir dans une grille de rémunération un chiffre stable mensuel. t2-4.jpg t3-2.jpg Cependant, nous avons quand même tenu à calculer le salaire moyen mensuel par catégorie d’agent (traitement de base et toutes primes incluses – Tableau 4). Il faut savoir que la prime de nuit est un privilège acquis par un combat syndical, et qu’elle s’applique, par conséquent, à tous les fonctionnaires, qu’ils soient en train de dormir chez eux, ou effectivement à l’Assemblée à travailler. La prime de nuit est en réalité une prime à dormir ! Néanmoins, un tel avantage facilite nos calculs car la prime s’applique à tous de manière égale. Nous avons également mensualisé son versement – bien que ce ne soit pas le cas dans la réalité – afin de donner un aperçu plus clair de ce que perçoivent les fonctionnaires du Palais Bourbon. Et, les chiffres sont renversants, mais dans la réalité budgétaire. Selon nos calculs, sur la base des comptes de 2016, la prime de nuit mensualisée et individualisée s’élève à 2 685 euros nets. Le salaire mensuel moyen d’un fonctionnaire de l’Assemblée nationale est de 7 892 € net. Un agent au plus bas échelon ne débuté pas à 3 700€, mais à 6 465 € et un assistant de direction à 6 838 €. Et ce n’est pas tout. Car en plus de la prime, ceux qui ont réellement travaillé la nuit, obtiennent jusqu’à 25 jours de congés en plus des 5 semaines de base dues à leur statut. Les députés et leurs 5 552 euros d’indemnité nette mensuelle font pâle figure à côté. t4-2.jpg Selon nos calculs et en incluant une estimation de la prime de nuit, nous obtenons un total de 102,2 millions d’euros de rémunération annuelle des fonctionnaires parlementaire. Ce chiffre est plus proche de la réalité. De fait, les montants indiqués par F. Bachelier sont inexacts et confirment même notre hypothèse – qu’ils n’étaient composés que du traitement de base et des autres primes – puisqu’ils représentent 52,3% du total que nous avons trouvé (Tableau 4 ; contre 57,2% en 2016). Avec de tels revenus, les fonctionnaires sont-ils au moins occupés ? Méritent-ils vraiment de gagner autant ? Estimation des salaires des fonctionnaires de la House of Commons et du Bundestag Si nous estimons les salaires bruts des fonctionnaires des deux autres chambres basses, il est difficile de répondre que nos fonctionnaires méritent un tel traitement. En reprenant les charges de rémunérations de la House of Commons et du Bundestag ainsi que leur nombre respectif de fonctionnaires nous pouvons estimer un salaire brut moyen mensuel pour ces deux assemblées. Pour ce qui concerne les agents du Bundestag nous avons réalisé un calcul total, et séparé par catégorie de salarié (Beamten = fonctionnaires ; Arbitnehmer = employés publics hors statut). Les salaires obtenus sont des moyennes qui ne tiennent pas compte des catégories ou grades d’agents. Tout est confondu, donc cette moyenne est plus basse que le salaire le plus élevé, et plus haute que le salaire le moins élevé. Pour les agents français, le brut moyen général s’élève à 8 936,40 €, ce qui demeure très proche du brut du fonctionnaire en bas de l’échelle, estimé dans le tableau ci-dessus : 8 463 € (7 359 € + 15%) f11.jpg t5-2.jpg Ces calculs généraux nous donnent toutefois un aperçu assez clair de la situation. En moyenne un fonctionnaire de la House of Commons gagne 3 949,50 € brut par mois et un fonctionnaire (Beamten) de l’assemblée allemande 3 543,84 € brut par mois. Les agents publics hors statut du Bundestag (Arbeitnehmer) semblent bénéficier d’un traitement plus généreux, puisque leur brut mensuel s’élève à 6 159,87 € brut. Ces salaires sont très largement en dessous des salaires distribués à l’Assemblée. Selon cette même estimation, l’écart du brut de l’Assemblée française (qui demeure très proche des calculs précédents) est de 4 986,89 € avec les agents britanniques et de 5 392,60 € avec les fonctionnaires allemands. Ainsi, nous venons de vérifier une nouvelle fois que les salaires des fonctionnaires français sont trop élevés. L’argument du 1er Questeur Bachelier justifiant de telles rémunération pour la qualité du travail et la sélection du concours tombe à nouveau. Est-ce qu’un fonctionnaire de la House of Commons ou du Bundestag exécute un travail de moins bonne qualité que le fonctionnaire français ? La réponse est « non » à n’en pas douter. Enfin, et à l’analyse des deux données ci-dessus, nous pouvons retenir ces éléments : • L’Assemblée nationale a augmenté les salaires de ses fonctionnaires par un simple effet de levier : augmentation des charges de rémunération et diminution des effectifs ; • Les salaires des agents français sont astronomiques en raison d’un taux de prime de 114,5 % du traitement de base. Ils sont par conséquents doublés pour la même quantité de travail. • La House of Commons et le Bundestag ont, quant eux, augmenté leur charge en proportion de l’augmentation de leurs effectifs ; • Ces deux chambres rémunèrent bien moins leurs fonctionnaires (5 000 € / mois de différence environ). En faisant ainsi, notre assemblée maintient l’illusion de la politique de l’effectif : il ne s’agirait que de diminuer le nombre de fonctionnaires. Sur le papier l’argument politique tient. Il est d’ailleurs scandé par tous les partis politiques comme étant celui de l’assainissement des comptes publics. Mais il n’a, dès lors, plus aucun sens si les rémunérations compensent par une augmentation exorbitante. La véritable réforme, la véritable question est celle de la dépense publique. Un ennui papable : sudoku et mots fléchés entre deux distributions de courriers Il y a deux rythmes à l’Assemblée nationale : le rythme politique, qui embarque avec lui les députés et les assistants parlementaires, et le rythme administratif. En outre, parmi les arguments du 1er Questeur, une telle rémunération des fonctionnaires se justifie car ils effectuent un travail de qualité. L’auteur de cette étude a pu observer durant deux ans le travail effectif de différents fonctionnaires, et le constat est plus nuancé. En effet, il n’est pas à douter que le travail des administrateurs est de qualité et qu’ils s’adonnent à leur tâche sans compter. Néanmoins, tous les fonctionnaires ne sont pas administrateurs et une grande partie sont de simples agents. Pour ce qui les concerne particulièrement, nous pouvons nous interroger sur l’effectivité de leur travail. Dans les bâtiments où travaillent les députés, sont positionnés à chaque étage des bureaux d’agents. Ces fonctionnaires, sont nommés les « agents d’étage ». Leur rôle est essentiellement de rendre service aux députés et aux assistants parlementaires en distribuant le courrier dans des cases nominatives attribuées, une fois le matin, une fois l’après-midi, ou encore distribuer des ramettes de papiers blanc (deux par semaine) et transporter d’un bâtiment à l’autre des rapports et textes de lois que certains élus ont réalisés. Ils peuvent aussi répondre aux questions et donner des orientations sur certains services existants. Et… c’est tout. Mais alors que peuvent-ils bien faire entre deux distributions de courrier et de ramette de papier blanc ? En réalité l’ennui est palpable : ils discutent entre eux, jouent aux mots fléchés et au sudoku des DirectMatin et 20Minutes, regardent les séances publiques du matin et de l’après-midi à la télé, parfois les infos sur les chaînes d’informations en continu, parfois des films sur leurs ordinateurs. Ils profitent de se rendre dans un endroit pour se balader un peu, s’arrêter prendre un café et discuter avec des collègues. Ce sont des comportements réguliers dont l’auteur peut témoigner la récurrence. Certes, il y a des jours plus mouvementés que d’autres, mais ni aucune difficulté, ni aucune surcharge n’est à signaler dans leur travail. Et combien même, ils seraient occupés toute la journée, peut-on considérer raisonnablement qu’une rémunération de 7 000 € par mois se justifie au regard des tâches accomplies ? Sont-elles à ce point si indispensables à la réalisation de l’intérêt général ? Le propos n’est pas de dire que leur travail est inutile. Loin de là, car l’ensemble des tâches qu’ils effectuent seraient absolument chronophage pour le député ou l’assistant parlementaire. Toutefois, leur valeur ajoutée demeure bien en-deçà du salaire perçu. La théorie de la bureaucratie de Niskanen[[Niskanen, Jr. Bureaucracy and Representative Government. 1 edition. New Brunswick, NJ: Routledge, 2007.]] reprise par Bélanger[[Bélanger G. (1972), « Le secteur public : un budget croissant pour des services constants », Revue économique, janvier, vol. XXIII, n°1]] nous est utile pour comprendre le raisonnement du fonctionnaire : il cherche à maximiser la différence qu’il y a entre ce que cela lui coûte de travailler et le budget qu’il lui est affecté en propre pour réaliser ses objectifs personnels. Reste à savoir comment s’organisent ces augmentations de salaires entre fonctionnaires et députés. Justement, les théories de la bureaucratie nous aideront à y répondre.

+c. Le Léviathan bureaucratique : Collusion entre élus et bureaucrates pour maximiser leurs revenus+

Parmi les théories de la bureaucratie en économie politique, celle du Léviathan bureaucratique de Buchanan et Brennan de 1980 est certainement celle qui va le plus loin et celle qui s’applique le mieux à l’Assemblée nationale. La théorie du Léviathan bureaucratique Contrairement à leurs prédécesseurs (Niskanen, Migué & Bélanger[[Migué J.L. and Bélanger G. (1974), “Towards a general theory of managerial discretion”, Public choice, 17, (1), pp.24–43]] et Wintrobe & Breton[[Wintrobe, Ronald. « Modern bureaucratic theory ». In Perspectives on public choice. A handbook, Mueller D.C. (ed.), pp. 429 – 454. Cambridge University Press, s. d]]), Buchanan et Brennan considèrent que le bureaucrate cherche à maximiser son budget discrétionnaire non pas en le dissimulant à l’homme politique (son « principal » = celui qui ordonne), mais en accord avec celui-ci. Il y a donc collusion puisqu’il n’y a pas de divergences d’objectif entre le bureaucrate et l’élu. Il n’est plus à démontrer que les hommes politiques cherchent à augmenter les dépenses publiques pour augmenter la valeur de leur mandat politique. En ayant plus d’argent à donner aux électeurs ou aux groupes d’intérêts ils peuvent légitimer leurs actions. L’ignorance rationnelle des électeurs (i.e. « la loi du moindre effort ») et l’incertitude inhérente aux règles de majorité sont deux prérequis essentiels à la théorie de Buchanan et Brennan. Tout d’abord, l’ignorance rationnelle prépare la théorie de l’illusion fiscale : les électeurs n’ont pas conscience de cette collusion entre hommes politiques et bureaucrates, ils souffrent également d’une asymétrie d’information sur le coût réel de la mise en œuvre des politiques. Ainsi, ils surestiment les gains des dépenses publiques et sous-estiment les coûts. C’est le fameux argument : nous avons peut-être beaucoup de dépenses publiques mais nous avons de très bons services publics. Sous-entendu que l’électeur moyen y trouve une rentabilité combien même il n’a jamais expérimenté d’autres services publics ou privés pour se forger une opinion. Les bureaucrates et les politiques vont, pour cette raison, pouvoir jouer sur cette asymétrie d’information pour saisir une rente. Ils vont se rémunérer au-dessus de leur productivité marginale. Ensuite, l’incertitude inhérente aux règles de majorité conduit les pouvoirs administratifs et politiques à établir une forme de continuité dans les politiques publiques. La simple observation de la continuité des déficits publics par exemple ou encore de la multiplication des régulations économiques montrent qu’il n’y a pas de changement essentiel ou plutôt de réforme structurelle puissants dans la réalisation et la mise en œuvre des politiques publiques. La seule constante est celle de la maximisation des recettes fiscales. L’objectif principal de l’Etat dans la théorie de Buchanan est de rendre l’impôt moins lourd qu’il ne l’est en réalité. Toute la question est de savoir si l’Etat réussit ou non à entretenir cette illusion. Pour ce qui est de l’Assemblée nationale, l’illusion est parfaite. Enfin, presque. Les indemnités et avantages des députés ont été révélés et une loi de moralisation les a en partie réduits ou abolis. Mais pas ceux des fonctionnaires. La Figure 12 ci-dessous illustre cette théorie et montre les évolutions (base 2001) des rémunérations des fonctionnaires et des indemnités de députés. Il est aisément observable le jeu mis en place dans la maximisation de la rémunération sur les 15 dernières années. Les syndicats de fonctionnaires et d’élus ont organisé une année sur deux (à part pour 2003, 2012 et 2013), une accélération ou un ralentissement du taux d’augmentation des salaires. Ainsi, lorsqu’en 2005, les députés bénéficient d’une augmentation de leur indemnité (+ 1,9 %), les fonctionnaires connaissent un ralentissement, voir une baisse de leur salaire (-2,2%). En 2006, en revanche, les fonctionnaires connaissent une forte augmentation de leur salaires (+ 1,7 %) et les député un ralentissement très net de leur indemnité de 0,2%. f12.jpg Ce jeu bureaucratique se joue également entre les fonctionnaires et le personnel de la Présidence de l’Assemblée[[Le personnel de la Présidence représente une quinzaine de personne composant le cabinet du Président de l’Assemblée]] et manière beaucoup plus distinguée (Figure 13). Celui-ci représente le pouvoir politique de cette collusion. La Figure 13 montre également que les augmentations de rémunération du personnel de la Présidence sont beaucoup plus fortes que celles des fonctionnaires, en particulier celle de 2007 (+44,8% par rapport à 2006) et de 2012 (+29,3% par rapport à 2011). L’interprétation de ce phénomène est simple : A chaque alternance quinquennale, le Présidence de l’Assemblée augmente fortement les salaires du personnel de son cabinet (voir annexe 3). Soulignons également que le budget de rémunération du personnel de la Présidence était de 1,1 millions d’euros en 2001, et qu’il a atteint les 2,6 millions d’euros en 2016, soit une augmentation de 132 % pour un nombre de contractuels à peu près stable. Il s’agit probablement de l’augmentation de budget la plus importante des comptes de l’Assemblée nationale. Enfin, la Figure 14 permet d’observer le jeu du Léviathan bureaucratique entre les trois acteurs : fonctionnaires, députés et Présidence (le « principal »). f13.jpg f14.jpg L’organisation d’une telle maximisation des revenus est l’aveu même d’un accaparement de fonds publics. Il n’y a pas d’autres termes pour l’exprimer. Les fonctionnaires principalement – car ils demeurent malgré l’alternance – s’octroient des privilèges et forment une nouvelle noblesse au Palais Bourbon. L’entre-soi domine, mais il sait aussi se montrer généreux avec certaines associations.

2. L’accaparement de fonds publics organisés par le gestionnaire de la restauration de l’Assemblée

Parmi toutes les particularités que nous nous sommes efforcés de souligner dans la première partie de cette étude, il en est qui sont plus difficilement décelables car moins intuitives, et, par conséquent inconnues du public. Toutefois, leur discrétion ne les rend pas moins suspectes.

+a.Une Association de gestion des restaurants parlementaires de l’Assemblée nationale (A.G.R.A.N) mystérieuse+

La gestion des restaurants parlementaires est assurée depuis 2000/2001 par une association située dans les locaux à l’Assemblée nationale : l’Association de gestion des restaurants parlementaires de l’Assemblée nationale, dite AGRAN. Lorsqu’on est fraîchement embauché à l’Assemblée nationale, quel que soit notre fonction, un parcours administratif nous attend. Divers documents à remplir, dont un document d’autorisation de prélèvement SEPA. Cette autorisation est destinée à l’AGRAN. Le nouveau salarié doit alors se rendre au 8 étage du 233, boulevard Saint-Germain dans le bureau dit « Cartes AGRAN » où un fonctionnaire détaché dans l’association l’attend. Son seul et unique travail connu est d’imprimer un code-barres au dos du badge d’accès du salarié directement rattaché à son compte bancaire. Ainsi, lorsqu’il veut régler son repas au restaurant ou encore acheter un café, le code-barres est scanné et la facture réglée. Après cette incroyable expérience administrative, le salarié n’entend plus jamais parler de « AGRAN » sauf pour des prélèvements mensuels équivalents à l’ensemble de ses dépenses. D’ailleurs, l’association est tellement discrète que tout le monde sait plus ou moins qu’AGRAN est un mécanisme pour payer et acheter, et en dehors du fonctionnaire au « 233 », personne ne saurait dire s’il a des collègues ou s’il est seul, ou encore détailler le fonctionnement de l’association. Cette ignorance générale est en réalité bien normale. L’association ne figure dans aucun document officiel consultable, l’élection du président et du trésorier de l’association se font en catimini alors que ce sont des députés et aucune ligne budgétaire ne fait référence à l’association dans les comptes de l’Assemblée. Son fonctionnement semble kafkaïen, et les montants qu’elle reçoit de l’Assemblée tout particulièrement élevés. Très élevés même.

+b. D’un financement par créances à de la subvention directe qui s’accompagne d’une explosion hors-norme de son coût de fonctionnement+

Un dépouillement attentif des comptes de l’Assemblée nationale de 2001 à 2016 nous permet de comprendre comment cette association de l’Assemblée est financée. Entre 2001 et 2006, l’association est évacuée en une phrase dans les 50 pages du rapport des Questeurs de 2003. C’est la première fois qu’elle est citée dans les comptes. L’Assemblée verse, sous forme de créance, « une avance permanente » à l’association depuis 2001 pour « la constitution de son fonds de roulement ». Cette créance se retrouve mélangée dans l’unité comptable des « créances fournisseurs » au sein de l’actif circulant qui représente environ 0,30 millions d’euros. Cette méthode va durer jusqu’en 2006. Dès 2007, l’AGRAN réapparaît mais pas au sein des créances fournisseurs. Elle est citée dans la sixième partie du rapport, c’est-à-dire dans les annexes où il est précisé que l’engagement qu’elle constitue n’a pu être évalué pour la clôture de l’exercice comptable. Nous découvrons alors, parmi les « Avantages accordés à des organismes extérieurs », que l’association ne perçoit désormais plus d’avances permanentes sous forme de créance, mais deux subventions directes. L’une pour la participation aux frais de repas et l’autre pour la rémunération d’une partie des employés. Ces subventions sont toutefois bien plus élevées que l’avance permanente qui avait été consentie entre 2001 et 2006. Même si nous ne connaissions pas le montant exact des créances, nous savons qu’elles étaient inférieures à 300 000 euros. Or, la première subvention de « frais de repas » est quatre fois supérieure s’établissant à 1,3 millions d’euros. La seconde subvention dite « de rémunération d’une partie des salariés de l’association » s’établit à 5,1 millions d’euros. Au total, ces deux subventions représentent une augmentation de +3658 % de la participation de l’Assemblée dans l’association entre 2006 et 2007 ! Une première interrogation surgit : pourquoi financer les repas et rémunérer les salariés d’une association dont des avances pour constituer son fonds de roulement ont été versées durant les cinq années précédentes. A quoi peut bien servir son fonds de roulement si elle n’a aucun frais à sa charge ou à avancer ? Une seconde jaillit aussitôt : pourquoi ces subventions sont-elles si élevées ? et pourquoi l’association n’en a-t-elle pas eu besoin durant les cinq années précédentes pour l’exécution du même travail ? En poursuivant le dépouillement des comptes, il apparaît dès 2011 que la subvention de frais de repas se scinde en deux. Sa deuxième partie devient une subvention à part entière. Il s’agit d’une subvention assise sur le nombre de repas servis afin d’adapter son montant à la consommation effective. Elle représente environ 50% de la subvention de frais de repas. Il apparaît aussi, dès la même année qu’une nouvelle subvention est créée, d’environ 200 000 euros au titre du « remboursement des frais de personnels ». En progressant encore dans les rapports, d’autres irrégularités apparaissent. L’AGRAN disparaît entièrement du rapport des Questeurs de 2012. Elle apparaît en revanche dans un audit du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables (CSOEC) sans explication. C’est d’ailleurs la première fois que l’Assemblée publie l’audit de l’Ordre alors que le CSOEC l’auditait depuis quelques années, et ce sera la dernière fois car, dès 2013, la Cour des Comptes aura la fonction de « certifier » les comptes de l’Assemblée. En poursuivant toujours dans les rapports, les subventions de frais de repas et de rémunération disparaissent totalement du rapport des Questeurs de 2012 et n’apparaissent nulle par ailleurs, pas même dans le rapport de la Cour des comptes. Mystérieusement, elles réapparaissent en 2014, jusqu’en 2016. L’absence de ces subventions en 2013 peut être expliquée par la crainte que la Cour des comptes tente une nouvelle fois de dépasser ses prérogatives et trouve des irrégularités dans les annexes du rapport. Afin d’y voir plus clair dans les subventions de l’Assemblée à l’AGRAN, l’IREF a réalisé des calculs du total et par type de versements effectués entre 2001 et 2016 en prenant pour hypothèse pour la première période (2001 – 2006) que 50% des créances fournisseurs étaient à destination de l’association, soit 170 333 € (voir Annexe 4). Entre 2007 et 2016 le total des subventions est multiplié par 37 (+3658%) et est resté ensuite quasi stable autour de 6,4 millions d’euros (6,3 millions d’euros en 2016). Un pic est tout de même atteint en 2011 à 7,2 millions d’euros. La Figure 15 illustre à ce titre l’ensemble des subventions distribuées. Elle permet de réaliser également la part importante que les subventions de rémunération représentent dans les subventions totales (80 % en moyenne). f15.jpg L’AGRAN perçoit par conséquent des sommes élevées, mais il est impossible de vérifier l’emploi réel que l’association fait de cet argent. En effet, l’association ne publie aucun compte alors que de l’argent public finance son fonctionnement. Comment peut-on alors être sûr que l’argent public qu’elle perçoit est bien employé dans l’intérêt général ? Par ailleurs, les subventions de rémunération représentent une part très importante de ces sommes. Quel est, par conséquent, l’effectif des salariés de l’AGRAN et combien sont-ils payés ?

+c. Des rémunérations indécentes bien au-delà de la productivité marginale des salariés+

Il y a des choses que la « grande famille » de l’Assemblée n’aime pas révéler. Lors de l’enquête de terrain, beaucoup de fonctionnaires sont restés muets ou ont cherché à éluder la question. Néanmoins, l’IREF a réussi à obtenir cette information et bien plus encore. L’AGRAN compte ainsi 19 salariés, tous en CDI. Ils bénéficient d’une réévaluation biennale de leur rémunération fixée cette année à 3 %, contre 5 % les années précédentes. Cependant, l’évolution de carrière est bloquée. Mais cela peut se justifier très simplement. Reprenons les chiffres dont nous disposons. Nous appliquons le total des subventions de rémunération à l’ensemble des 19 salariés de l’AGRAN, bien qu’elles ne soient destinées qu’à « une partie des salariés ». Nous estimons également que tous les salariés ont le même statut, ne bénéficient pas des primes des fonctionnaires et que leur effectif (19) n’a jamais varié. Nous déduisons un taux de 26,26% de charges (taux de la fonction publique) afin d’obtenir une valeur nette. Nous obtenons une fourchette basse reproduite dans le Tableau 6 ci-dessous. Nous découvrons alors rémunération hallucinante qui a oscillé entre 13 416 € net par mois en 2016 et 16 599 € net par mois en 2011. t6.jpg Si ces sommes dépassent l’entendement, nous pouvons également nous questionner sur l’effectivité du travail réalisé par cette association. Elle assure la gestion d’un nombre de restaurants parlementaires et de buvettes qui restent les mêmes : d’aucuns n’ont disparu. La gestion du nombre de repas est également répétitive d’une année sur l’autre : le nombre de fonctionnaires, de députés et d’assistants parlementaires varient très légèrement. Enfin, la relation avec les fournisseurs de marchandises et de matières premières sont des contrats de longs termes, leurs tarifs sont connus d’avance grâce au système de marché public. Ainsi aucune difficulté conjoncturelle ou structurelle ne semble bouleverser l’activité de l’AGRAN, ou en tout cas pas suffisamment pour justifier de tels salaires. Si l’Assemblée s’efforce de dissimuler autant d’informations concernant cette association et que celle-ci est protégée en interne, c’est en soi problématique relativement à l’utilisation de ces fonds publics opérée depuis 2007 par le gestionnaire de la restauration parlementaire de l’Assemblée nationale.

3. Les derniers privilèges des années folles de l’Assemblée nationale

+a. Les prêts immobiliers censés être abolis sont toujours d’actualité+

Parmi les privilèges les plus avantageux, les prêts immobiliers sont certainement en tête du classement. Jusqu’au début des années 2000, ces prêts étaient accordés par les Questeurs aux fonctionnaires de l’Assemblée et aux députés à un taux zéro. Un très grand nombre d’entre eux possèdent désormais plusieurs propriétés entre Paris et la province. Appartements, maisons de campagne ou de vacances, des propriétés de mise en location… L’Assemblée a ainsi permis à un grand nombre d’élus et de personnes de posséder plusieurs propriétés foncières. Ce dispositif a perduré avec des taux très bas jusqu’en 2010, année de sa suppression. Du moins, sa suppression « supposée », car les chiffres racontent une histoire différente (voir Annexe 5). Reprenons cette histoire dès 2006. Dans le rapport des Questeurs de 2006, apparaissent pour la première fois depuis 2001, le véritable encours des prêts dit « au logement ». Entre 2001 et 2005, les prêts au logement et les prêts de trésorerie sont compilés dans l’agrégat comptable « Prêts » et pas une seule ligne d’un seul rapport de ces cinq années n’y fait clairement référence. Ainsi, nous apprenons d’emblée en 2006 que l’encours des prêts immobiliers s’élève à 119,1 millions d’euros. Sa variation est négative, d’environ – 1,4 %, ce qui signifie que les prêts sont remboursés par les emprunteurs, mais à une vitesse particulièrement lente, donc par de petites sommes. L’encours continue de diminuer jusqu’en 2009. Cette année-là, les Questeurs annoncent que dès 2010, les prêts au logement seront supprimés. Toute l’Assemblée est en émoi et tous s’empressent de souscrire à un dernier prêt immobilier car jamais nulle part ailleurs on ne trouvera si bonne affaire. L’encours bondit de 10,7 % dès 2009, soit de 14 millions d’euros environ et se stabilise à 130 millions d’euros jusqu’à fin 2010. Durant cette dernière année, 1 million d’euros de prêts sont accordés aux fonctionnaires et seulement 2 millions d’euros sont remboursés par les députés. L’ensemble des remboursements qui devait se produire en 2010 sont reportés à 2011 pour faciliter l’emprunt. La Figure 16 l’illustre particulièrement bien : en 2011, les remboursements (variation négative de l’encours) résorbent 8% de l’encours (10 millions d’euros environ), ce qui est énorme par rapport aux niveaux de variations habituels. Nous pouvons également observer que l’encours se réduit de moitié entre 2010 et 2016, mais que le montant des remboursements diminue. Ce phénomène est par conséquent dû par l’arrêt des prêts immobiliers. Mais, ces prêts ont-ils réellement stoppé ? Et à qui profite le plus le crime ? f16.jpg La Figure 17 ci-dessous représente les montants des prêts au logement versés par l’Assemblée nationale aux députés et aux fonctionnaires entre 2007 et 2016 – ces montants ne figurant au budget qu’à partir de 2007. Nous remarquons que le montant des prêts immobiliers a grimpé fortement en 2009, pour les raisons exposées ci-dessus, et que les fonctionnaires sont ceux qui ont le plus souscrit à ces crédits. Le montant total prêté aux fonctionnaires en 2009 s’envole à 19,7 millions d’euros, tandis que le montant total prêté aux députés s’élève à 8 millions d’euros. La Figure 17 nous permet également d’observer l’enclenchement de la suppression du dispositif en 2010, ou plutôt, la presque suppression du dispositif. Une suppression nette des prêts immobiliers en 2010 aurait dû se traduire par un arrêt définitif des prêts en 2011. Nous devrions donc observer un montant de 0 euros puisqu’il ne devrait y avoir aucun nouveau prêt souscrit. Ce n’est « évidemment » – sommes-nous tentés de dire – pas le cas. Il faut bien sûr reconnaitre que les montants des prêts sont plus faibles que précédemment : de 470 000 euros aux députés et de 3,7 millions d’euros aux fonctionnaires en 2016. D’ailleurs, depuis 2009, les députés empruntent moins que les fonctionnaires. Pis, en 2016, les emprunts des fonctionnaires augmentent de 23,8 % alors que ceux des députés diminuent de 54 % ! Au total, entre 2009 et 2016, la somme des prêts accordés aux fonctionnaires atteint les 50 millions d’euros et la somme des remboursements en capital, les 26,8 millions d’euros. Sur cette même période, la somme des prêts aux députés s’est élevée à 16 millions d’euros et le montant total des remboursements en capital à 23 millions d’euros. Ainsi, entre 2009 et 2016, l’encours des fonctionnaires est de + 23,5 millions d’euros, ce qui signifie que les fonctionnaires continuent d’emprunter plus qu’ils ne remboursent leurs prêts immobiliers. f17.jpg A l’inverse, l’encours des députés est de – 7,3 millions d’euros ; ce qui signifie que les députés remboursent davantage que les sommes qu’ils empruntent. Néanmoins, cette situation souligne un déficit total d’éthique de la part de cette « grande famille » de l’Assemblée nationale. Elle est à la fois intolérable pour les citoyens qui subissent la double peine de financer par l’impôt de tels privilèges mais ne peuvent en bénéficier, et intenable politiquement car aucun argument, ni aucune justification des hommes politiques ne sont suffisants pour protéger leurs « agents ».

+b. Le verre d’eau qui fait déborder le vase+

Parmi les fonctionnaires de l’Assemblée nationale, les plus impressionnants sont certainement les huissiers. En uniforme, ils sont reconnaissables par leur queue de pie, leur nœud papillon blanc et leurs chaînes – un apparat tout droit hérité de la monarchie. Ils sont en réalité les tout premiers fonctionnaires recrutés en 1789 par l’Assemblée qui se réunit à Versailles. Ils sont les gardiens intemporels du pouvoir législatif. Relativisons cependant, car l’huissier parlementaire n’est pas vraiment huissier. Il s’agit d’un titre interne, une forme d’anoblissement des agents les plus méritants et ayant plus de 10 ans de carrière. Ils ne sont pas réellement huissier, mais leur rôle est tout comme. Ils assurent l’intégrité des débats au sein de l’hémicycle où personne d’autre qu’eux ne peut pénétrer en dehors des députés, pas même un autre fonctionnaire. Les huissiers assurent donc différents rôles : le filtre à l’entrée de l’hémicycle, le messager entre deux députés, ou entre un ministre et un député ; ils contiennent les débordements lorsque les débats s’enflamment trop, ils font respecter également la tradition de porter une tenue sobre dans l’hémicycle ou encore une réelle séparation des pouvoirs en reprenant tout comportement qui laisserait sous-entendre qu’il y a collusion entre le législatif et l’exécutif (un sourire ou un geste). Toutefois, parmi leurs traditions, il en est une qui interroge et surprend même. Lorsqu’un agent vient d’être anobli huissier, son rôle pour ses nouvelles premières années est d’apprendre à se rendre discret. Et, pour cela, il a une tâche et une seule : porter un verre d’eau de la cuisine dissimulée sous l’hémicycle à chaque orateur, lorsqu’ils prennent la parole à la « Tribune de l’orateur ». Plus tard, après avoir fait ses preuves, le porteur d’eau se rapproche du perchoir où siège le Président de l’Assemblée nationale, en filtrant les entrées et sorties dans l’hémicycle, puis en transportant des mots que veulent s’échanger élus et gouvernement, puis enfin comme gardien de la bienséance. Force est de constater, cependant, que cette tradition prend le dessus sur le management public. Ne peut-on pas apprendre à se rendre discret en effectuant diverses tâches ? Le transport du verre d’eau est-il une technique réputée dans l’art de se rendre discret ? Cette technique est-elle connue et utilisée partout dans ce monde ? Nous ne pouvons qu’en douter. La valeur ajoutée des huissiers est donc particulièrement symbolique. Et il nous semble que transporter des verres d’eau ne requiert pas un salaire net mensuel entre 7 000 € et 10 000 € pendant plusieurs années. Afin de savoir précisément combien représente le coût d’un verre d’eau, l’IREF a réalisé une simulation en estimant une moyenne haute et basse du nombre d’interventions à la tribune par an. Chaque intervention nécessite un verre d’eau. Nous estimons, dans la moyenne basse, un nombre de 16 séances publiques par mois et un nombre d’interventions à la tribune variant entre 240 et 360 par mois (3 à 4 interventions de ministres et de 20 à 30 interventions de députés), ce qui implique que 240 à 360 verres d’eau sont apportés aux orateurs. En moyenne haute, nous estimons à 30 le nombre de séances publiques par mois, et entre 480 et 960 interventions à la tribune. Donc, entre 480 et 960 verres d’eau apportés aux orateurs. Au final, par an, la moyenne basse se traduit par un nombre d’interventions, donc un nombre de verres d’eau, variant entre 11 520 et 17 280. En moyenne haute, ces chiffres varient entre 23 040 et 46 080. En considérant que le salaire de l’huissier porteur d’eau est de 7 792 euros (agent après 10 ans de carrière), nous obtenons les résultats suivants : tx.jpg Lors de basse activité, le coût du verre d’eau augmente jusqu’à 8,12€, soit 40,58 € le litre. En période de forte activité, le coût du verre d’eau atteint au minimum 2,03€, soit 10,15€ le litre. En France, la consommation d’un verre d’eau, comme bien de consommation en lui-même, peut être payante. Dans le sud de la France la pratique est répandue en période estivale pour renouveler les clients en terrasse plus rapidement[[« Cafés et brasseries : faut-il faire payer le verre d’eau ? » ladepeche.fr.]]. Les prix pratiqués sont de 0,20€, soit 1€ le litre – des sommes bien inférieures au cas ici présent. Il ne fait aucun doute alors que cela fait de ce verre d’eau des plus basiques l’un des plus chers au monde.

Conclusion

Nous avons démontré que les dépenses de fonctionnement de l’Assemblée nationale se sont envolées, principalement en raison de la collusion entre les bureaucrates et les élus qui cherchent à maximiser leurs revenus. Contrairement à l’idée reçue, les fonctionnaires sont mieux payés que les Députés. Nous avons à ce titre révélé que la grille fournie par le 1er Questeur Bachelier lors de l’émission de Capital était incomplète puisqu’elle ne comptabilisait pas toutes les primes offertes aux fonctionnaires. Nous avons ainsi dévoilé leur véritable rémunération nette mensuelle en incluant toutes les primes. En outre, la gestion des restaurants de l’Assemblée nationale est réalisée par une association qui se protège et qui est protégée de l’intérieur. Presque rien ne filtre, mais nous avons toutefois pu établir qu’une envolée des dépenses de l’Assemblée à la destination de l’AGRAN est intervenue en 2007, et que le nouveau mécanisme organise en réalité un accaparement de fonds publics par la rémunération extravagante des 19 salariés de l’association. De telles rémunérations sont inadmissibles au regard des fonctions de ces personnes. Nulle part ailleurs, pour un travail équivalent ils ne trouveront une telle rémunération. Nulle part ailleurs, dans le privé, de tels salaires sont praticables pour la simple raison que la productivité marginale du salarié serait inférieure à son coût pour l’employeur. Nous avons enfin établi que l’un des derniers privilèges, vestige des années folles de l’Assemblée nationale, censé être aboli demeure toujours. Il s’agit des prêts immobiliers à taux bas qui auraient dû disparaître il y a de cela 7 ans, mais qui, pour des raisons obscures, perdurent. Nous avons démontré que, même si les députés semblent profiter encore aujourd’hui du dispositif, là aussi ce sont les fonctionnaires qui profitent le plus des prêts au logement Les fonctionnaires de l’Assemblée semblent disposer eux-mêmes du pouvoir de décider des mesures les concernant. Nous avons également mis en lumière la charge extravagante que représentaient les rémunérations des huissiers et la vanité de leurs services Il est souvent dit des ministères que « les Ministres passent et les bureaux restent ». Il en va de même à l’Assemblée. Un député est de passage dans la Chambre tandis que les fonctionnaires y passent littéralement leur vie entière, au point que certains ont pu organiser un temps leur propre succession. Dans ce palais royal où, ironiquement, ceux qui ont fait tomber l’Ancien régime, ses corps constitués et les privilèges de la noblesse française, une dynastie perpétue l’esprit de ce temps révolu. Les héritiers actuels ne rejettent pas cet héritage mais au contraire comptent bien le préserver.

Propositions

L’IREF avance différentes propositions pour sortir de ce fonctionnement kafkaïen et onéreux à l’excès : • Création d’un National Audit Office à l’anglaise pour stopper et empêcher de nouveau des abus des rémunérations et de privilèges. L’IREF estime que la Cour des Comptes n’est pas assez indépendante pour contrôler l’Assemblée nationale car ses magistrats sont issus du même « sérail » : la fonction publique. La création d’un NAO permettrait à la France de se doter d’une autorité indépendante de toute tutelle rendant des décisions exécutoires en matière de dépenses publiques et de comptabilités des pouvoirs publics. Ses rapports seraient remis au gouvernement et au parlement. Elle aurait également une capacité unique de suivi de l’application de ses recommandations pour déterminer et exposer combien d’argent public a été économisé Le NAO serait composé de professionnels de droit privé (contrairement à la Cour des Comptes qui recrute des fonctionnaires) limitant ainsi la collusion et les conflits d’intérêts. • L’alignement des taux de prime des fonctionnaires de l’Assemblée nationale sur le taux de prime des fonctionnaires d’Etat. Puisque les fonctionnaires de l’Assemblée nationale jouissent d’un statut hérité des fonctionnaires de l’Etat, il n’est pas déraisonnable de baisser leur taux de prime de 114 % à 24 %. • La limitation de la prime à ceux qui ont réellement travaillé. • L’instauration d’indicateurs de performance pour limiter les emplois sans activité effective. • Le démantèlement immédiat de l’association AGRAN qui reçoit chaque année depuis 2007 entre 5 et 6 millions d’euros de subventions indues. Parallèlement, les restaurants et buvettes de l’Assemblée Nationale appliqueraient des tarifs suffisant pour être à l’équilibre. Bibliographie et annexes 

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Documents joints

 

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10 commentaires

virginie 28 mai 2018 - 5:10 am

pleine de bonne volonté et pourtant je ne touche rien
bonjour, suite à des soucis de santé je ne travaille plus depuis 04/2015, sans être inactive mais je n'ai droit à rien sous prétexte que mon mari travaille !!! alors que j'ai moi aussi travaillé mais on ne tient pas compte du tout du parcours professionnel depuis toujours, non seulement des dernières 600 heures pour la sécu (par ex) donc je suis restée 5 mois sans ressources et ça va être de retour le cas dans 1 tout petit mois, j'ai quand même une toute petite depuis 2 mois allocation aah de 170 euros mais que je suppose ne va pas durer, en espérant que ma santé revienne à un jour meilleur, je suis donc obligé de vivre sur le compte de mon mari qui bosse dur, est-ce normal ? J'ai donc suggéré que je puisse travailler dans le public car je sais exactement quoi faire (aider les forces de l'ordre par exemple) mais non rien du tout, on m'a plus rigolé au nez qu'autre chose !!! Le pire c'est qu'en voyant que malgré l'opération ma situation ne s'arrangeait pas je prenais mes renseignements et on me disait "ne vous inquiétez pas on ne va pas vous laisser tomber" eh bien SI, et pourtant je ne demande pas mieux que de travailler

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CLERGEOT 28 mai 2018 - 10:34 am

C'est beau la politique…….
A la lecture de votre étude, je dirais que nos "Chers Politiques" sont, ni plus ni moins, coupables d'"abus de confiance" envers les électeurs et donc passibles de passer devant un tribunal, comme ne manquerait pas de l'être un simple citoyen pour les mêmes faits.

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PICOT François 28 mai 2018 - 1:47 pm

1788
Nous sommes en 1788 ou un peu avant. Tout ceci ne pourra pas durer, la population étant de plus en plus au courant de ces pratiques de prédateurs. Les économies à faire dans le secteur public devraient commencer par la tête : d'abord tous ces coquins, puis les hauts fonctionnaires, les hommes politiques (trop de ministres, trop de parlementaires, trop de "collaborateurs", trop de primes, trop de voitures de fonction etc… prenons exemple sur l'Allemagne), ensuite tous les mille feuilles administratifs en surnombre jusqu'aux "brigades des feuilles" dans les Mairies et ça ira déjà un peu mieux.

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Laurent46 29 mai 2018 - 5:10 am

Revenus et prétention !
A l'instar des revenus la prétention de nos parlementaires est aujourd'hui sans limites au point que certains ouvertement se rebiffent parce qu'on leur demande des comptes !
En fait ils ont simplement dit ce que beaucoup d'autres pensent tout bas.
N'est-ce pas le rôle des parlementaires de donner des comptes à leurs électeurs ?
Et puis l'Élysée est dans le même système, là aussi les budgets ont explosés.
Pendant ce temps-là on taxe les biens que le petit peuple a réuni à la force du poignet et en se privant de choses et d'autres quand dans le même temps on oublie ceux dont vous avez parlé qui transforment leurs biens en tableaux de maître, bateaux ou biens immobiliers à l'étranger. La France est devenue un pays honteux de profiteurs et d'escrocs. N'est-ce pas la raison première de la situation économique désastreuse et des incivilités grandissantes ? De tels comportements ne peuvent que très mal finir.

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paul bureu 29 mai 2018 - 11:14 am

la redevance
belle enquête,pourrait-t'on avoir la même chose vis à vis des chaines TV publiques,ou va ma redevance ,combien sont payés les journalistes ,quelles sont leurs horaires, abattements fiscaux ,aucune source ne révèle le prix réel de cette grande entreprise publique ,très bizarre

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aragorn74 6 juillet 2018 - 7:41 pm

Décrédibilisé ?
M. Jossé fait-il oui ou non l'objet d'une procédure disciplinaire à la Sorbonne fondée sur l'absence de rigueur scientifique de cette étude ? Pourquoi l'Express a-t-il publié le 8 juin un article affirmant que cette étude est complètement "bidon" ?

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Kojac 7 novembre 2018 - 8:41 pm

Le scandale de l.assemblee
À faire vomir
Retraité 44 ans de cotisations pour une pension d'a peine
1400€ ça me dégoûte à quand une révolution pour supprimer tous ces goujats

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toutourien 22 août 2019 - 12:33 pm

the shame !
Tous ces avantages votés dans l'intérêt de ceux qui courent après les électeurs, "REVOLTANT"… Le lambda doit faire face aux frais d'obsèques de sa famille même s'il ne touche que le smic. Et tous ces privilèges sur les prélèvements effectués sur le travail de chacun durant sa vie, SCANDALEUX. Et l'on s'étonne des réactions du peuple ? Finalement, il se laisse plumer sans trop réagir…

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Francis Belcour 26 novembre 2019 - 6:27 pm

Irefeurope : quel serieux !
Lecture très distrayante. Il y a un comité scientifique qui relit ce type de papier? En tous les cas ce "document" fait hurler de rire tout ceux qui connaissent un peu l'assemblée nationale. Bravo, on attend vos autres productions avec gourmandise

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Anonyme 23 avril 2021 - 3:10 pm

La belle vie des fonctionnaires de l’Assemblée nationale
Nombre de chiffres sont inexacts, ou mélangent le brut et le net. Pour l’Agran, ils sont carrément fantaisistes.

Cela dit, les fonctionnaires du bas de l’échelle (les 3/4 de l’effectif) sont effectivement bien payés. En revanche les hauts fonctionnaires sont tout juste dans la norme compte tenu des horaires effectués et des sujétions imposées.

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