Psychodrame au plus haut sommet de l’État. Le 30 janvier 2020, un amendement déposé par le député du groupe UDI-Agir Guy Bricout et prévoyant de faire passer de cinq à douze jours le congé d’un salarié lorsqu’il perd un enfant mineur, est rejeté par l’Assemblée nationale.
L’affaire fait grand bruit. Toute l’opposition – de la France insoumise aux Républicains, en passant par les socialistes, les communistes et les élus du Rassemblement national – s’est offusquée. Même le Medef a tenu à préciser qu’il était pour cet amendement.
Il a fallu que le président de la République lui-même intervienne pour mettre fin à la crise en demandant aux députés de faire preuve « d’humanité ». Des députés LREM en ont un peu gros sur la patate car ils s’étaient rangés derrière le gouvernement qui ne soutenait pas l’amendement en question. De là à passer pour des godillots, il n’y a qu’un pas.
Toujours est-il que Muriel Pénicaud a reconnu « une erreur » et indiqué qu’elle allait la rattraper en allant plus loin que la proposition initiale. Sur LCI, la ministre du Travail a précisé que « le projet de loi sera meilleur et c’est ça qui importe. On y aura rajouté les RTT, de l’accompagnement psychologique qui est très lacunaire aujourd’hui, alors qu’il est très souvent nécessaire, et des jours de congés supplémentaires ».
Bref, le nouveau texte qui sera présenté au Sénat sera donc pire que le précédent.
Pourquoi l’amendement a-t-il été rejeté ?
L’amendement a été rejeté avec trois arguments principaux.
Le premier est son coût. Le congé de cinq jours existants est financé par les entreprises. Ajouter sept jours n’aurait par conséquent fait qu’ajouter une charge financière aux entreprises. Comme l’a dit la députée LREM Sereine Mauborgne, allonger ce congé comme le propose le député Bricout, c’est s’acheter « de la générosité à bon prix sur le dos des entreprises, c’est quand même un peu facile ».
Le deuxième argument est que la solidarité nationale s’exerce déjà en cas de deuil d’un enfant. En effet, comme l’a précisé Sereine Mauborgne, « face au deuil d’un enfant, les parents prennent en moyenne trente-cinq jours d’arrêt maladie ». Et la députée d’ajouter que « quelqu’un déposant un arrêt maladie après avoir perdu un enfant n’est pas un fraudeur et ne le sera jamais. La classification internationale des maladies psychiatriques qualifie cette réaction de « dépression réactionnelle ». Personne, aucun médecin conventionné sécurité sociale, ne contestera ce fait ».
Enfin, troisième argument, celui de l’âge de l’enfant décédé. Le texte du député Bricout parle d’enfant mineur. Comme le lui a demandé la députée LREM Michèle de Vaucouleurs, « L’âge de dix-huit ans constituerait-il un cap qui, une fois franchi, nous placerait dans des conditions différentes » ? Si l’enfant décède la veille de ses dix-huit ans, les parents ont droit au congé de douze jours ; mais s’il décède au lendemain de sa majorité, les parents n’auraient droit à rien !
C’est sans doute pourquoi la députée Les Républicains Émilie Bonnivard a proposé d’étendre le dispositif au décès d’un enfant âgé de moins de vingt-deux ans. Et pourquoi pas vingt-cinq ans ?
Pourquoi douze jours ?
Pourquoi douze jours et pas treize ? Ou quinze comme au Royaume-Uni ?
Apparemment Guy Bricout est choqué par le fait que le congé pour deuil soit d’une durée inférieure au congé de paternité de onze jours.
En 2016, ce congé n’était que trois jours. Il est ensuite passé à cinq jours. Et aujourd’hui, ce serait manquer « de générosité et d’humanité », pour reprendre les mots de Guy Bricout, de ne pas le porter à douze jours.
Ce qui était « humain et généreux » hier ne le serait donc plus aujourd’hui. C’est pourquoi Muriel Pénicaud a bien fait de rappeler que ce congé a été conçu pour permettre « l’organisation des obsèques et la réalisation des démarches afférentes ». Comme l’a dit la ministre, « que le congé pour deuil dure cinq ou douze jours, il ne permet pas de se remettre et de compenser le traumatisme ».
Bruno Bonnell, député LREM lui aussi, a connu la disparition d’un enfant. Son fils Balthazar, atteint d’une maladie génétique dégénérative, est décédé en 2012. Il a pris la défense de ses collègues le 4 février dans l’hémicycle : « Arrêtez l’indécence et la manipulation de l’émotion des foules. […] Nous parlons de la douleur absolue. Perdre un enfant, c’est perdre son avenir, sa projection personnelle dans l’éternité. On met du temps à l’accepter ! Pas cinq, pas douze jours, mais toute sa vie […]. Pour être un de ceux ayant vécu ce cas, je vous le dis, légiférer sur quelques jours n’est pas le sujet, c’est même incongru ».
Et Michèle de Vaucouleurs d’ajouter : « si le recours à l’arrêt maladie est pleinement justifié dans certaines situations, d’autres personnes, en revanche, préféreront reprendre le travail rapidement, estimant qu’il leur est nécessaire de retrouver rapidement leurs collègues et leur engagement professionnel ».
Quelles autres solutions ?
Des députés et la ministre du travail avaient proposé d’autres solutions qui auraient mérité d’être prises en compte.
Muriel Pénicaud a suggéré de donner aux entreprises et aux branches professionnelles la possibilité de conclure des accords en la matière, car ce sujet ne figure pas sur la liste de ceux qui relèvent de la négociation sociale.
Les députés de la majorité ont également proposé :
– que les salariés qui le souhaitent puissent prendre des jours de RTT et/ou de congés légaux à la suite du congé de deuil dont la durée serait maintenue à cinq jours ;
– que les dons de congés et de RTT soient rendus possibles en cas de décès d’un enfant. Aujourd’hui, cette possibilité n’existe qu’en cas de maladie grave. On pourrait ainsi donner à l’employeur la possibilité de créer un compte de dons, afin que chaque salarié d’une entreprise puisse se montrer solidaire envers un collègue ayant perdu son enfant.
Ces propositions vont dans le bon sens. Mais elles oublient que la plupart des entreprises françaises sont des micro-entreprises dans lesquelles il n’est pas question d’accord collectif, ni de RTT.
Elles auraient pu aussi être beaucoup plus pertinentes si elles avaient visé à libérer les initiatives. Plutôt que d’ajouter le congé pour deuil d’un enfant à la liste des sujets relevant de la négociation sociale, laissons les entreprises et les branches professionnelles négocier librement. Sans limitation de sujets.
Plutôt que d’ajouter le décès d’un enfant aux cas permettant les dons de congés et de RTT, laissons les salariés faire ce qu’ils veulent de ces jours. Sans que la loi cherche à lister tous les cas possibles.
Arrêtons de tout légiférer sur tous les sujets ! Car le législateur ne pouvant tout prévoir, toute loi en appelle presque systématiquement une autre. Ainsi, pour le cas qui nous préoccupe, les non-salariés, artisans, commerçants, indépendants… sont exclus des dispositifs imaginés par les députés. N’auraient-ils pas, eux aussi, besoin de temps s’ils venaient à perdre leur enfant ?
On peut aussi de demander ce qui arriverait en cas de décès de l’enfant quelques jours après sa naissance. Le père pourrait-il cumuler le congé de paternité de onze jours avec le congé pour deuil ? Le congé de deuil s’ajouterait-il au congé de maternité ?
Surtout faisons confiance aux individus. Les situations dramatiques dont il est ici question – 4 500 enfants décèdent chaque année pour 700 000 naissances – ne sont-elles pas déjà traitées avec intelligence, humanité et, sans doute aussi, générosité, par la plupart des employeurs ?