Depuis la fin des grands plans de construction de centrales nucléaires dans les années 90, l’État et les gouvernements successifs se sont reposés sur leurs lauriers, mettant à mal le maintien des compétences de la filière, ce qui, par la suite, a mis en danger la souveraineté du mix électrique de la France au moment où elle en avait le plus besoin, du fait de la crise énergétique entraînée par la guerre en Ukraine.
Le 10 février 2022, à Belfort, le président de la République a prononcé un discours annonçant un ambitieux plan de construction de six nouvelles centrales nucléaires de type EPR 2 qui viendraient s’ajouter à celle de Flamanville (un EPR de première génération). Une déclaration qui peut apparaître tout à fait logique eu égard au vieillissement des centrales construites à la fin du XXe siècle et dont la durée de vie devra être prolongée de quarante à soixante ans.
En réalité, le discours de Belfort tranche avec près de trente ans d’inaction des pouvoirs publics, soit qu’ils aient subi les diktats des Verts, pour la gauche plurielle, soit qu’ils se soient laissés convaincre par la douce musique de l’inertie, pour la droite.
Le tournant de 2005 et la léthargie des gouvernements successifs.
Selon le SDES[1], les capacités de production d’électricité nucléaire nettes françaises ont commencé véritablement à décoller dans les années 80 en dépassant les 100 TWh puis ont continué à croître jusqu’en 2005 pour dépasser les 400 TWh et retomber depuis cette date à 393 TWh en 2018 et 279 TWh en 2022. Cet essor avait permis de réduire la part d’importations d’énergie en volume de 90 à 60 % entre 1970 et 1985, mais en 2022, à cause de nombreux problèmes de corrosion des réacteurs, la France a dû importer 4 % de sa consommation électrique alors qu’elle était exportatrice depuis près de quarante ans, venant alourdir d’autant un déficit commercial massif.
En 1973, c’est le plan Messmer qui avait donné l’impulsion de construction de 44 réacteurs nucléaires dont le dernier est entré en service en 1995, quatre autres réacteurs ayant été achevés dans les dix années suivantes. Mathématiquement, la durée de vie des centrales arrivera à échéance dans un intervalle de temps très rapproché, ce qui aurait dû motiver les gouvernements à anticiper leur fin de vie.
Entre 1995 et 2005, il n’en fut rien. Comme l’a avoué Lionel Jospin à la commission d’enquête parlementaire visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France : « À cette époque, j’étais plus préoccupé par le fait qu’EDF encourageait des usages nouveaux de l’électricité […] que par la sécurisation des approvisionnements […] La prolongation de la durée de vie des centrales ne constituait pas non plus un sujet de réflexion ».
Revenus aux affaires, la droite se contentera de décider de la construction de l’EPR[2] de Flamanville, de mettre 600 M€ dans le projet ASTRID d’un prototype de réacteur de quatrième génération et de faire de fausses promesses sur le lancement d’un deuxième EPR à Penly.
« Un accord de coin de table » : comment les Verts ont saboté le nucléaire français.
C’est Arnaud Montebourg, ancien ministre du redressement productif, qui parle d’un « accord de coin de table » pour désigner l’accord conclu entre le Parti socialiste et les écologistes, un an avant la présidentielle de 2012, prévoyant de réduire la part du nucléaire à 50 % de la production électrique (et même de fermer 24 réacteurs, une mesure qui n’a, quant à elle, pas eu de postérité).
François Brottes, ancien député socialiste et président du directoire de RTE, a le plus crûment synthétisé l’évènement en déclarant qu’« il s’agissait d’un accord politique. Certains étaient pour la sortie du nucléaire, d’autres pour l’accélération du déploiement des énergies renouvelables, sans pour autant abandonner le nucléaire. Il a donc été décidé de trancher au milieu. ».
En dépit de toute analyse technique et scientifique solide, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a transcrit ce marchandage en droit, ainsi que d’autres mesures incantatoires comme le fait de porter la part des énergies renouvelables à 40 % dans le mix électrique à horizon 2030 ou la limitation de la capacité de production à 63,2 GW par réacteur nucléaire, ce qui était en fait une habile mesure pour concéder la fermeture de la centrale de Fessenheim.
Il a fallu attendre 2017 et l’arrivée d’Emmanuel Macron à la magistrature suprême pour que cette aberration soit corrigée, d’abord en reportant les échéances à 2035 puis en la supprimant définitivement du code de l’énergie.
Du fait notamment des exigences de décarbonation de la production d’électricité et du secteur des transports, avec notamment de fortes incitations à l’achat de véhicules électriques, la consommation d’électricité devrait continuer à augmenter dans un futur proche. Selon la RTE (Réseau de transport d’électricité), celle-ci devrait passer de 500 à 645 TWh à horizon 2050 et même à 752 TWh dans une hypothèse de réindustrialisation du pays. En combinant le nucléaire, l’hydroélectrique et les énergies renouvelables (respectivement 65 %, 11,9 % et 14,6 % de la production électrique) 92,2 % de la production française est déjà décarbonée : elle émet donc trois fois moins de CO2 pour produire un TWh que le Royaume-Uni et même cinq fois moins que l’Allemagne, très dépendante de son charbon.
Quoi qu’il advienne, c’est donc bien le choix de l’atome qui demeure la solution la plus rationnelle pour l’avenir de notre mix électrique. Finalement, comme disait Lord Walter Marshall, président de la compagnie publique britannique d’électricité : « La France n’a pas de charbon, la France n’a pas de pétrole, la France n’a pas de gaz, la France n’a pas le choix.»
[1] Service des données et études statistiques des ministères chargés de l’environnement, de l’énergie, de la construction, du logement et des transports
[2] Réacteur à eau pressurisé européen.