Durant la période stalinienne (à partir du début des années 1920 et jusqu’au début des années 1950), environ 20 millions de personnes ont été condamnées à une peine de camp et plus de six millions ont été déportées sur simple mesure policière. Parmi elles, l’écrivain Varlam Chalamov ainsi que des dizaines d’autres qui s’expriment dans ce volume de plus de 400 pages. Il s’agit de témoignages recueillis entre 2012 et 2015 par les membres de l’ONG Memorial des victimes du goulag (dissout en décembre 2021 par Poutine) et parus, en partie, dans Novaïa Gazeta, journal russe obligé de cesser sa parution en mars 2021 à cause de ses articles contre l’invasion de l’Ukraine. Publié aux Editions des Quatre Vivants (fondées par les moines bénédictins de Mesnil Saint-Loup) dans des conditions exceptionnelles, le livre, rempli de photos, se présente comme un album, celui des victimes de la répression communiste. Des enfants (à l’époque), des femmes et des hommes encore en vie racontent leur(s) condamnation(s) et leur(s) période(s) au camp. Les peines, c’était à partir de 5 ans et certaines ont duré 25 ans…
Toute une vie, toute une jeunesse passées au goulag, aux travaux forcés dans des conditions atroces. Les détenus étaient paysans, ouvriers, intellectuels, étudiants, membres du Parti, membre du clergé, artistes, soldats… Des Russes, des Ukrainiens, des Polonais, des Lettons, des Lituaniens, des Georgiens, des Russes d’origine allemande… Les chefs d’accusation ? Une jeune pianiste condamnée pour avoir joué un « hymne fasciste » (en réalité, du Bach) ; une étudiante ukrainienne condamnée à 6 ans de camp pour avoir chanté l’air de Marguerite de l’opéra Faust ; un étudiant de Léningrad condamné à 25 ans parce qu’il aurait envisagé de creuser un tunnel reliant Léningrad à la place Rouge ; un pope orthodoxe condamné pour 10 ans parce que… il croyait en Dieu, des paysans condamnés à 7 ans pour avoir prétendument volé du pain. Par exemple. Plus de la moitié des détenus du goulag à la fin des années 1940 et au début des années 1950 étaient des paysans et des ouvriers condamnés à de lourdes peines de travaux forcés pour « vol de la propriété d’Etat ou de la propriété kolkhozienne ».
Terribles témoignages. Pratiquement tous parlent de la faim et du froid dans les camps, de la dureté du travail et l’espoir de survivre. Antonina Vassilievna Asiounkina a été déportée car elle était d’une famille de koulaks, ces paysans accusés d’être « riches ». La faim la rongeait au début mais après « je ne ressentais pas le besoin de manger davantage, car je savais qu’on ne donnerait rien de plus ». Iouri Lvovitch Fidelgots (10 ans de camp et 5 ans de privation de droits civiques pour avoir commenté dans son journal intime le sort des travailleurs sur des chantiers qui « mangent une soupe infecte dans des bols sales » ) a été empêché de se suicider au camp par un truand qui l’a intégré dans son « groupe » pour l’aider à survivre… Anna Krikoune (15 ans de travaux forcés) a poussé pendant 3 ans et demi, dans une mine, des wagonnets d’une tonne…
Pour Varlam Chalamov, le « mal concentrationnaire est absolu et radical ». Il a passé presque 20 ans au goulag (il avait 46 ans à sa libération), période qu’il raconte dans Récits de la Kolyma et dans Souvenirs de la Kolyma. La détention a provoqué chez lui un traumatisme psychologique profond dont on voit les traces dans ses écrits. La vie au goulag est racontée dans tous ses détails, si impressionnants que le lecteur se demande, à chaque page, comment certains ont pu survivre… Chalamov écrit ce qu’il a vu et ce qu’il a compris au camp : « En trois semaines de travaux pénibles, de froid, de faim et de coups, un homme devenait une bête féroce » ; « Ce qui contribue le plus à la dépravation de l’âme – c’est le froid » ; « J’ai compris que le sentiment que l’homme conserve en dernier, c’est la rage. La rage peut vous faire vivre » ; « J’ai compris que les  » victoires  » de Staline furent remportés parce qu’il tuait des innocents… » ; « J’ai compris que l’être humain est devenu ce qu’il est parce qu’il est physiquement plus solide que n’importe quel animal – aucun cheval ne résiste aux travaux dans le Grand Nord » ; « j’ai vu que les femmes sont meilleures, ont plus d’esprit de sacrifice que les hommes : il n’existe aucun cas où le mari a suivi sa femme à Kolyma. Mais les femmes venaient nombreuses » ; « J’ai vu l’irrépressible propension des Russes à dénoncer, à se plaindre » ; « Le camp corrompt tout le monde, détenus et travailleurs libres » ; « J’ai appris à planifier ma vie pour un seul jour, pas plus ».
Deux ouvrages sur les « crevards » (« dokhodiaga » en russe), ceux qui ont été au goulag, pendant des années, entre la vie et la mort…
Achetez les livres : Souvenirs de la Kolyma et Voix et visages du Goulag