Emmanuel Macron avait promis la suppression totale de la taxe d’habitation. A vrai dire, il y avait un effet d’annonce dans cette proposition électorale dans la mesure où la moitié des foyers fiscaux se trouvait déjà exonérée. Toutefois, une partie de la fraction populiste des gilets jaunes, ceux que l’on peut plaisamment qualifier de « jaloux jaunes », plaide en faveur d’un maintien de la taxe d’habitation pour les « 20 % les plus riches ». Il ne s’agit pas ici de se prononcer sur le caractère fondé ou non de la taxe d’habitation. Nous soulignerons simplement que l’idée de la suppression d’un impôt local va exactement à l’encontre de ce qu’il faudrait faire pour « transformer » la fiscalité française, à savoir le fait de faire jouer la subsidiarité fiscale en permettant une concurrence entre les diverses collectivités locales pour ce qui concerne les prélèvements obligatoires. Mais là n’est pas l’objet de cet article.
Il s’agit ici de montrer combien le consentement à l’impôt est opiacé et de quelle manière. Pour cela, il est nécessaire de faire de l’histoire de longue durée en remontant à la première moitié du XIXème siècle.
Jusqu’à 1848, le suffrage censitaire régnait en France. Ne votaient que ceux qui payaient une certaine quotité d’impôt direct, le cens. Il paraissait juste que seuls ceux qui contribuaient aux charges publiques puissent élire des représentants, à tout le moins seuls ceux qui payaient l’impôt direct, et il apparaissait tout aussi juste que seuls des contribuables puissent être élus pour, entre autres, voter l’impôt. Dès lors, il paraissait aussi juste que ceux qui ne contribuaient pas au paiement de l’impôt direct, a fortiori ceux qui dépendaient de la collectivité, ne puissent pas voter et encore moins être élus.
Le suffrage censitaire n’en recelait pas mois d’irrémédiables défauts. Tout d’abord, les gouvernants, particulièrement sous la Monarchie de Juillet, ont évité d’étendre l’impôt direct pour éviter d’étendre le droit de suffrage. Les hausses de la fiscalité se concentraient donc sur l’impôt indirect. C’est l’une des origines du déséquilibre de notre fiscalité et de l’importance des impôts indirects en France par rapport à la quasi-intégralité de nos homologues. Surtout, le suffrage censitaire a permis à une minorité privilégiée de faire régner un protectionnisme agricole, mais surtout industriel, au détriment de la très grande majorité des individus.
Dans les années 1820, à la fin de la Restauration, il existait moins de 100 000 électeurs. Même si le chiffre croît sous la Monarchie de Juillet, il n’atteint même pas au milieu des années 1840 les 250 000 électeurs. Alors que la France était très en retard par comparaison avec le Royaume-Uni, elle va devenir brutalement, en 1848, le premier pays à instaurer le suffrage universel masculin. En quelques jours, les 250 000 électeurs vont se muer en plusieurs millions.
Malheureusement, la Révolution de 1848 a opéré une disjonction entre la qualité de citoyen et celle de contribuable, à tout le moins à l’impôt direct. Les représentants n’appartiennent plus forcément aux mêmes catégories socioculturelles que leurs électeurs, ils ne sont plus forcément des contribuables eux-mêmes, mais surtout ils ne sont plus guère incités à défendre les intérêts des contribuables en général et des contribuables les plus imposés en particulier. La conservation de la richesse commence à faire place à la distribution des richesses.
L’interventionnisme, qui existait de temps immémoriaux en France, s’accroît avec la politisation de la société. Les dépenses publiques continuent d’augmenter de manière inexorable. Le suffrage universel va permettre aux hommes politiques les plus démagogiques de freiner les mutations économiques. En un mot, la démocratie politique ne signifie pas pour autant la démocratie fiscale. Nous nous trouvons en présence des prodromes de la dictature de l’« électeur médian », les hommes politiques cherchant à capter les voix du plus grand nombre au détriment des minorités sur lesquelles pèse l’essentiel de l’imposition. Le « marché politique » va progressivement mener à la spoliation des classes moyennes supérieures qui s’impose en maître aujourd’hui.
Le suffrage censitaire avait permis à une minorité « égoïste » de conserver un protectionnisme néfaste à l’immense majorité de la population. Le suffrage universel a permis à une majorité démagogique d’étendre sans garde-fou l’interventionnisme et le poids de l’Etat.
Puisque le chef de l’Etat a ouvert un grand débat, notamment sur la fiscalité et les institutions, il serait sans doute opportun que des voix s’élèvent afin que le Parlement retrouve le rôle qui devrait être le sien dans le consentement à l’impôt. A cet effet, il est préalablement indispensable de s’interroger sur la légitimité de la conception actuelle de l’impôt, devenu un mode de distribution des richesses, alors que, classiquement, il n’était entendu que comme la contrepartie des services rendus par l’Etat.
Jean-Philippe Feldman
Professeur agrégé des facultés de droit
Maître de conférences à sciencesPo
Avocat à la Cour de Paris
3 commentaires
Taxe d'habitation et taxe foncière
Bonjour, tant qu'à supprimer une taxe pourquoi ne pas supprimer la taxe foncière (donc de propriété) ? Le propriétaire a déjà payé une (ou des) taxe (s) au moment de l'achat de son bien et, s'il occupe son logement ne paye t-il pas 2 fois pour les mêmes services entre la TF et la TH ? Alors que la TH est récupérée sur le locataire en cas de location du bien ? C'est bien le locataire d'un logement qui bénéficie et utilise les voiries, les réseaux (sec et humides) et autres services de la commune où il réside.
La taxe foncière, si elle est perçue par l'Etat et non la collectivité, peut s'entendre dans le cadre de la mission régalienne de celui-ci: protéger les biens. Plus une personne possède de biens fonciers, c'est à dire liés au sol, plus il a d'intérêt à ce que la collectivité défende le sol par les armes si nécessaire, par la police ou l'armée selon le cas d'agression.
La taxe d'habitation est par essence locale: suis-je prêt à élire M. x qui dépenser l'argent commun pour telle ou telle chose dont je vais bénéficier (ou pas) au quotidien? Mais on a fait l'inverse comme souvent en France quand il s'agit de l'Etat.
centralisme et autoritarisme
Cette suppression est la démonstration absolue de l'inefficacité et d'une certaine manière de l'ineptie de notre gestion centralisée. L'état et ses représentants savent tout et font le bien de tout le monde. Amen. Il serait temps de sortir de cette culture, j'avais un peu benoitement imaginé qu'un jeune président était plus ouvert à ce type d'approche, mais malheureusement c'est tout le contraire.