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LA « GRANDE SÉCURITÉ SOCIALE » : NON, MERCI !

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Dès qu’il s’agit d’étendre encore un peu plus l’emprise du secteur public, notre personnel politique, comme notre haute fonction publique, ne sont jamais à court d’idées. C’est ainsi que le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance-Maladie (HCAAM), qui réunit une soixantaine de membres issus notamment des partenaires sociaux, ainsi que des Ministères, des assurances et mutuelles privées et des professions de santé et aussi des usagers, se préparerait à rendre un rapport sur l’évolution des couvertures privées venant en complément de l’assurance-maladie. Ce Haut Conseil fait partie du réseau France Stratégie, bien connu, sinon apprécié, de nos lecteurs L’activité visée est actuellement exercée par des sociétés d’assurances et des mutuelles privées, auxquelles les pouvoirs publics, experts en la matière, reprochent une gestion trop coûteuse du fait notamment de leurs frais de gestion qui absorbent jusqu’à 20% des primes versées par les assurés. On procédera d’abord au rappel préalable des enjeux à partir d’un certain nombre de chiffres-clefs (I) pour bien situer le débat, avant d’exposer les différentes options envisagées par le Haut Conseil (II). On en recensera ensuite les avantages (III) et les inconvénients (IV) les plus notoires, avant d’esquisser en conclusion (V) un premier avis sur la réforme proposée, dont on ne sait encore si elle prendra ou non le chemin du débat public.

 

I – RAPPEL PRÉALABLE DES ENJEUX

On estime en 2019 (nous avons retenu cette année parce que peu affectée par la Covid) à environ 208 milliards d’euros l’ensemble des dépenses de l’assurance-maladie au titre de la consommation des biens et services médicaux. Au plan de la nature des dépenses, elles se distribuent

-principalement pour 97 milliards d’euros en faveur du secteur hospitalier, 58 milliards d’euros en faveur de l’ambulatoire, 31 milliards d’euros pour les médicaments, -accessoirement pour 17 milliards d’euros pour les biens médicaux (optique, prothèses, fauteuils roulants etc), le solde subsidiaire de 5 milliards d’euros correspondant pour l’essentiel aux transports sanitaires.

L’assurance-maladie obligatoire couvre pratiquement 79 % de ces frais, les complémentaires santé en prennent en charge un peu moins de 14% cependant que le reste à charge des assurés sociaux est estimé selon les sources à un peu moins de 7%, soit l’un des taux les plus performants au regard des systèmes étrangers. Il faut noter encore que 95% des Français sont couverts aussi bien par le système de base que par les assurances complémentaires et qu’il existe à côté du secteur contractuel contributif (assurances et mutuelles) un secteur institutionnel redistributif qui se consacre aux couvertures solidaires.

Au titre des assurances complémentaires-santé, on compte pas moins de 439 organismes différents, dont les primes annuelles se situent à un peu plus de 38 milliards d’euros hors taxe (DREES 2019). On estime à environ 30 milliards d’euros le coût des remboursements de prestations aux assurés. Les frais de gestion qui se montent à 20% des primes absorbent donc un peu moins de 8 milliards d’euros. La taxe de solidarité que prélève l’État en sus des cotisations s’élève à un peu plus de 5 milliards d’euros. S’y ajoute pour 2021 un versement exceptionnel de 1 milliard d’euros au titre des économies que le secteur aurait faites durant la pandémie tenant à la réduction observée des prestations, qui sera complété en 2022 d’un nouveau prélèvement réduit cette fois à 500 millions d’euros.

Quant aux 20% de frais de gestion, soit quelque 8 milliards d’euros, il faut tout de suite lever une confusion: ce taux de 20% a été partout complaisamment diffusé par le Ministère de la Santé, les médias et les associations de consommateurs, en faisant croire au public que ces sommes importantes étaient entièrement investies dans des actions  de promotions dispendieuses ou somptuaires  (courses au large, compétitions sportives, sponsoring etc). En réalité 3 milliards d’euros seulement, soit 8% environ des primes encaissées couvrent les frais d’acquisition commerciale des contrats (promotion, communication, négociation et signature des nouveaux contrats + renouvellement des anciens etc), le reste couvre les frais de traitement des dossiers d’indemnisation qui absorbent un peu moins de 2 milliards, le solde  de 3 milliards d’euros correspondant  pour l’essentiel  aux frais  de recouvrement des cotisations, aux frais de constitution, d’animation et de contrôle des réseaux de soins, avec aussi des actions de prévention. Au total et à entendre les sirènes publiques, c’est quelque 5 milliards d’euros d’économies qui seraient aisément réalisées sur les frais de gestion. Une fois posées ces données, il convient de se tourner vers les propositions de réformes du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance-Maladie.

 

II – LES OPTIONS: QUATRE RÉFORMES DISTINCTES

Il existe en effet quatre versions de ce que les pouvoirs publics appellent pudiquement l’articulation entre la sécurité sociale et les complémentaires-santé, trois versions conduisent à des adaptations (A), mais seule la seconde version (B) opère une refonte complète de l’assurance-maladie.

A – Les schémas adaptatifs: La première version est en quelque sorte une réforme a minima qui améliore la couverture de certains patients (essentiellement salariés modestes et retraités)  en diminuant par exemple leur reste à charge. Il s’agit de retouches de détail, qui ne bouleversent pas l’architecture actuelle du financement des soins.

La troisième version renforce le rôle des complémentaires-santé en leur permettant d’offrir des garanties plus étendues, mais le système obligatoire de base demeure. Elle oblige également les 5% de Français qui en sont encore dépourvus à souscrire une complémentaire-santé, en veillant à une normalisation des contrats, avec la possibilité d’extensions de garanties moyennant surprimes.

La quatrième version organise une séparation des paniers de soins. Le panier de soins public conserverait au public les prestations que le régime de base finance déjà principalement et il serait remboursé à 100%. sur la base de tarifs prétendus « responsables » (le terme est très galvaudé de nos jours). Inversement la prise en charge des soins où le rôle des complémentaires santé est prépondérant – dentaire, optique, auditif etc – leur serait entièrement dévolu.

B – Le schéma intégrateur: Version la plus ambitieuse, c’est elle  aussi qui soulève le plus d’opposition de la part du monde de l’assurance et de la mutualité, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que d’intégrer purement et simplement les complémentaires santé-actuelles dans l’assurance-maladie. Seul subsisterait pour le secteur privé le marché de niche des clients développant des exigences de garantie supérieures à celle du régime public. Cette intégration entrainerait évidemment en faveur de ce dernier une augmentation des cotisations: 22 milliards d’euros seulement selon le HCAAM, visant à leur conférer avec l’intégration de la CSG un caractère progressif. Mais en réalité les représentants des assureurs et mutuelles s’attendent plutôt à un coût global de 40 milliards d’euros répliquant pratiquement le coût actuel des assurances complémentaires.  La réforme profiterait aux huit premiers déciles d’assurés, les deux derniers déciles supportant le poids de l’équilibrage du système. Comme on le verra, les problèmes posés sont nombreux et complexes et cette fiscalisation de l’assurance maladie est loin de faire l’unanimité.

Si les trois premières versions adaptatives, relativement mineures, ne soulèvent pas de problèmes existentiels, il n’en va pas de même pour l’intégration qui aboutirait à ce que le Gouvernement appelle la  » Grande Sécurité Sociale ». C’est donc sur cette dernière option que nous allons focaliser la suite de nos analyses en distinguant ses avantages et ses inconvénients.

 

III – LES AVANTAGES DE L’INTÉGRATION

Inutile de dire que ce sont eux que met en avant le Haut-Conseil. D’abord d’importantes économies issues d’une gestion unifiée débarrassée des échanges de documents. Par rapport aux primes, les quelque 8 % de coût d’acquisition des contrats complémentaires – un peu plus 3 milliards d’euros – disparaîtraient. La quasi-fiscalisation des cotisations devrait permettre une gestion plus proche de la situation économique des assurés. La couverture unique généralisée bénéficierait aux franges les plus fragiles de la population qui n’avaient souvent pas les moyens de souscrire aux contrats les plus protecteurs. L’unification profiterait aussi aux retraités dont les contrats individuels sont infiniment plus onéreux que les couvertures collectives d’entreprises.  La suppression des tickets modérateurs allégerait aussi la gestion de la nouvelle entité. L’entière maîtrise sur les remboursements procurerait à l’assurance-maladie une puissance opérationnelle et une liberté d’allure qu’elle n’avait pas jusqu’à présent. L’ensemble des économies pourrait atteindre 7 milliards d’euros, mais petit bémol, l’essentiel irait à l’extension ou à l’amélioration des couvertures des publics les moins favorisés. Donc du côté public, aucun problème: la réforme ne présente que des avantages, elle procurera des économies substantielles qui iront améliorer certaines couvertures des plus  défavorisés et elle permettra à la puissance publique de contrôler plus étroitement encore l’assurance-maladie et les politiques de santé publique, tout  en étendant au secteur maladie la progressivité des  cotisations.

 

IV – LES INCONVÉNIENTS DE L’INTÉGRATION

Les fédérations d’assurances et de mutuelles sont quasiment intarissables sur le sujet, bien qu’elles laissent curieusement dans l’ombre de puissantes objections à opposer à la puissance publique.

A – les critiques des professionnels de l’assurance: Ils font d’abord valoir que les frais de gestion du secteur des complémentaires santé excèdent inévitablement ceux de l’assurance-maladie, qui n’intègrent pas les frais de recouvrement assurés par l’URSSAF, ni les frais de réseau pour optimiser la distribution des soins, ni les actions de prévention, ni surtout l’absence de coût d’acquisition des contrats, puisque la Sécurité sociale bénéficie d’un monopole de droit, qui la protège de toute concurrence. D’autre part, nombre d’assurés peuvent attester que la qualité de leurs relations avec leurs assureurs ou mutuelles d’assurance-santé n’a absolument rien à voir avec ce qui se passe trop souvent pour l’Assurance-Maladie (attentes téléphoniques interminables – bureaux fermés en temps de COVID etc.).

La profession s’inquiète également du sort de ses salariés (70 000 et plus selon les sources), la question de leur intégration dans l’Assurance-Maladie ou des plans sociaux accompagnant leur licenciement n’étant pas documentée. Les assureurs-santé pointent encore que le Trésor perdra pour l’essentiel le produit de la très juteuse taxe de solidarité additionnelle (un peu plus de 6 milliards d’euros, avec la contribution exceptionnelle 2021), dont une petite se trouve indument détournée vers le régime de base de l’assurance-maladie. Beaucoup de professionnels, mais aussi d’assurés, dénoncent une nationalisation rampante de la Santé sous la houlette redoutable des 36 Agences de santé qu’elles soient nationales (18) ou régionales (18 également – source: Figaro -M. Peyromaure). Pourtant la crise en cours n’a cessé de révéler leurs innombrables carences et défaillances, tant en matière d’approvisionnements (masques, tests, protections des soignants, seringues etc) que d’irresponsabilité dans les prescriptions (le triomphe du  Doliprane) ou les directives aux EHPAD. Pire encore après la catastrophe des 35 heures qui ont durablement désorganisé la plupart des services, tout ce beau monde a été absolument incapable de programmer en temps utile la formation de base d’effectifs suffisants de personnel soignant aux disciplines de la réanimation, laissant le pays à la merci de tout imprévu de quelque importance. Résultat: on recrute présentement à grands frais et dans l’urgence  des praticiens intérimaires qui touchent en quelques jours l’équivalent du salaire mensuel de leurs confrères hospitaliers. On ne peut être qu’effaré par le manque de jugement de ces castes administratives à qui on doit les pénuries, les carences et l’inadaptation perpétuelle de nos structures médicales et hospitalières. Tout se passe comme si la politique de la santé en France misait sur la raréfaction continue des lits d’hôpitaux pour sidérer les pandémies en brisant leur élan. On avait déjà « déraisonné » (plaisant euphémisme!) de même voici quelques décennies, lorsqu’une cohorte d’abrutis haut placés avait décidé  de peser  sur  le nombre des  médecins en espérant  tarir ainsi  les prescriptions à venir, comme si la prééminence des coûts pouvait l’emporter sur la santé du pays. Mais, même si la liste est déjà longue, elle est encore incomplète!

 

B – Les critiques avancées par l’IREF: il existe en effet bien d’autres griefs à l’encontre de l’Assurance-Maladie et ils sont lourds.

            1 – Quant à ses comptes annuels: rien de mieux pour couper court à toute polémique que de reproduire             textuellement l’avis de certification de la Cour des comptes sur les comptes annuels 2020 de la branche maladie de la Sécurité Sociale :

CERTIFICATION DES COMPTES ANNUELS DE L’ASSURANCE-MALADIE
La Cour certifie les comptes de 2020 de la branche maladie sous sept réserves et ceux de la CNAM sous deux réserves: les limitations et désaccords sur les comptes combinés de 2020 de la branche maladie concernent:
 les faiblesses du dispositif national de contrôle interne et d’audit interne au regard des risques financiers ;
 le risque de prises en charge de frais de santé non conformes aux droits effectifs de leurs bénéficiaires, dont la portée financière n’est pas évaluée ;
 les faiblesses du dispositif de contrôle interne des règlements de frais de santé, de plus allégé dans le contexte de crise sanitaire, qui rendent possibles des erreurs financières très significatives et incomplètement mesurées au détriment de l’assurance maladie ;
 les contrôles sur les séjours facturés par les établissements de santé publics et privés, allégés dans le contexte de crise sanitaire, qui ne permettent pas de garantir la correcte prise en charge des frais de santé ;
les insuffisances du contrôle interne des indemnités journalières, accrues du fait de la crise sanitaire, qui rendent possibles des erreurs dont la portée financière est sous-évaluée ; les risques d’erreur relatifs aux pensions d’invalidité, partiellement maîtrisés ;
le manque de justification de certaines écritures comptables, notamment celles relatives aux charges à payer et provisions relatives à des soins ;
la portée sur la branche maladie des incertitudes et désaccords sur les comptes du recouvrement.

Ceux de nos lecteurs peu familiers des rapports d’audit trouveront déjà copieux le menu de ces réserves, cependant que les plus aguerris ne manqueront pas de se poser la question de savoir comment avec tant de réserves, la Cour peut certifier utilement de tels comptes. En tout cas, le moins qu’on puisse dire, c’est que présentement les comptes de l’Assurance-Maladie ne renvoient pas du tout l’image sincère et fidèle, qu’on exige d’habitude des comptes de chacun des partenaires d’une fusion correctement préparée.

2 – Quant à l’addiction aux déficits et à la dette: Les comptes annuels présentés depuis de longues années traduisent au mieux des équilibres tendus et précaires, mais bien plus souvent des déficits significatifs toujours appuyés d’excellentes raisons. Il a même fallu à plusieurs reprises rallonger les dispositifs mis en place (notamment au titre de la  CRDS) pour rééchelonner l’apurement jamais achevé des dettes reportées. Le résultat est que la dette de la Sécurité sociale ne cesse tendanciellement de croître et on peut  légitimement s’inquiéter de savoir ce qui se passera lorsqu’elle sortira du havre de l’argent facile pour affronter les taux de haute mer d’un marché de devenu plus exigeant. Il est paradoxal de vouloir précipiter dans le trou noir de la Sécurité sociale des structures nettement plus modestes gérées à l’équilibre.

3 – Quant au sureffectif des personnels non soignants: les chiffres les plus fous circulent et nous avons préféré nous référer prudemment aux données de l’OCDE qui relève pour la France un taux de 34 % de personnel hospitalier non soignant contre seulement 25% environ pour nos voisins allemands, italiens ou espagnols. D’où un excès de 9%, qui rapporté au coût de l’ensemble des personnels de l’hôpital public, soit 75 milliards d’euros (selon la source DREES), détermine un surcoût de: 75 * 0,09 = 7 milliards d’euros (et c’est probablement une hypothèse basse!) principalement imputable au personnel administratif. Ceci montre qu’avant de vouloir restructurer l’ensemble du secteur des assurances complémentaires-santé, la Sécurité sociale ferait bien de commencer par remettre un minimum d’ordre dans la gestion de ses propres personnels, qui souffre du double mal d’un excès d’effectifs là où elle ne soigne pas et d’une insuffisance d’effectifs partout où elle soigne.

            4 – Quant à la gestion tarifaire: On sait que de nombreux  tarifs réglementés n’ont quasiment aucun              rapport avec la réalité des coûts. C’est ainsi que l’Assurance-maladie oblige les mutuelles à afficher des taux de remboursements de 150, 200 %  (voire parfois  davantage) par rapport à des tarifs officiels  qui n’ont bien entendu plus aucun sens et dont l’actualisation est très discontinue. Il est urgent que tous les tarifs de référence collent le mieux possible à la réalité du soin ou de la prothèse et que les Français sachent quel est leur véritable reste à charge par rapport à un tarif sérieux et non pas fictif. Alors certes les taux de remboursement affichés chuteront, mais du moins reprendront-ils tout leur sens auprès de l’assuré.

L’absurdité de cette politique tarifaire se trouve confirmée par la Cour des comptes elle-même qui nous apprend : un établissement faisant le choix d’augmenter sa capacité d’hospitalisation en réanimation d’un lit génère de façon   quasi-automatique un déficit de € 115 000. Ceci explique sans nul doute l’empressement des établissements à fermer des lits dès qu’ils le peuvent. On n’est plus au pays de Gribouille, on est passé chez les fous! De quoi réfléchir avant de leur confier toute la politique de santé de la Nation, en exposant encore davantage le sort des patients au cynisme de stratèges, chez qui on ne sait ce qui l’emporte de l’incohérence ou de l’incompétence.

            5 – Quant aux actes inutiles: Le rapport du Sénateur Vanlerenberghe sur la recherche de la pertinence des   soins dans les systèmes de santé, déposé le 20 juillet 2017, cite judicieusement une étude de l’OCDE qui conclut que pour l’ensemble de ses membres:«  près d’un cinquième des dépenses de santé apportent une contribution nulle, ou très limitée, à l’amélioration de l’état de santé de la population. En d’autres termes, les pouvoirs publics pourraient dépenser beaucoup moins dans ce domaine sans que cela n’ait d’impact sur la santé des patients ». Si on ajoute à ce constat l’incidence des maladies nosocomiales qui toucheraient jusqu’à 7% des patients hospitalisés.  Tous secteurs confondus environ, on admet (Ministère  Santé) que 4 000 patients en décèdent chaque année. On voit donc que la Sécurité sociale a beaucoup mieux à faire en se considérant elle-même comme terre de mission, plutôt que de prétendre, en le noyant dans ses propres turpitudes, améliorer un système privé dont le fonctionnement global est qualitativement très    supérieur au sien.

6 – Quant au mode de gouvernance de l’Assurance-Maladie et plus largement de la Sécurité sociale: dans           notre pays, la plupart  et surtout les plus importants des régimes sociaux (assurance-maladie et assurance-        vieillesse) sont  abandonnés à une gestion paritaire que se partagent les syndicats professionnels de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs. Or ce mode de gestion, qui pouvait présenter des avantages au titre de la cohésion sociale dans les années qui ont suivi la Libération, n’est visiblement plus  adapté au début de ce nouveau siècle. La preuve s’en trouve dans le caractère largement déficitaire de la plupart des gestions considérées, incapables de lancer des réformes qui bousculeraient des ordres établis,  auxquels elles sont politiquement et pécuniairement très attachées. D’ailleurs le problème déborde largement le secteur institutionnel puisqu’il sévit également dans des caisses comme l’Agirc-Arrco, ou la Préfon, rigoureusement inaptes depuis plusieurs années à garantir le maintien du pouvoir d’achat de leurs retraités. Mais il est vrai que l’exclusion quasi-systématique desdits retraités des organes de direction et de gouvernement de ces entités les prive – notamment dans la gestion des personnels et la  lutte contre la fraude – d’une rigueur, d’un bon sens et d’une expérience qui leur fait actuellement cruellement défaut.

            7 – Quant à l’indolence de la lutte contre la fraude, c’est un grand classique en matière de Sécurité sociale. Et ceci pour deux raisons.  D’abord, parce que les Urssaf ont quand même laissé filer en 2019 environ 6 milliards d’euros de cotisations selon l’Observatoire du travail dissimulé (sic!). Mais c’est bien pire du côté des services prestataires qui prétendent qu’ils ne sont là que pour faciliter la vie des gens et pas pour les « fliquer ». En outre, depuis quelques décennies, le souci prioritaire de la « paix sociale, » achève de décourager ceux des agents qui croyaient encore à l’utilité du contrôle des prestations accordées. Le résultat : des millions – on ne sait pas exactement combien de cartes Vitale « dans la nature » ouvrant toutes des droits à des prestations souvent onéreuses. La Cour des comptes elle-même ne sait pas précisément où l’on en est et elle a officiellement renoncé à toute tentative d’approche sérieuse et documentée. Et pour l’instant, les cartes sans photo de plus de vingt ans circulent toujours librement et il est évidemment exclu de renouveler les cartes en circulation – pensez donc, quel travail! – en les dotant par exemple d’un contrôle biométrique qui risquerait de froisser les susceptibilités  des  fraudeurs. D’ailleurs, la rue Cambon trouve que  la lutte contre la fraude est des plus timide et on s’aperçoit en plus qu’elle se concentre via les URSSAF sur les patrons qui, eux, ne sauraient bien entendu bénéficier de l’indulgence-maison.

Or, le secteur des assurances complémentaires-santé se trouve souvent directement ou indirectement impacté par les   nombreuses négligences ou incohérences du service public, dont il doit partager les coûts avec un partenaire qui regarde ailleurs. Une preuve de plus qu’il y a beaucoup de choses à changer dans le fonctionnement laxiste, la gestion paritaire et la culture déficitaire d’une l’Assurance-Maladie, qui préfère regarder obstinément ailleurs.

 

V – CONCLUSION

 La « Grande Sécurité sociale » est censée améliorer la balance coûts/avantages en facteur des patients et procurer une économie significative sur le coût de la santé. Mais sept décennies de recul et d’expérience rendent circonspect d’abord sur les chiffres publics en général et ensuite plus encore sur les promesses et prévisions sociales. N’oublions pas en effet l’engagement  présidentiel du 31 mars 2020  de porter rapidement à 10 000 le nombre de lits de réanimation en France. Fin  2020,  soit neuf mois après, avec 6 200 lits il manquait toujours 3 800 lits de réanimation, situation aggravée encore en pleine pandémie par la fermeture concomitante de 5 758 lits d’hospitalisation complète (soit environ 1,5% du parc national – sources La Tribune et Radio-France). Combien d’opérations graves reportées, combien de pertes de chances, combien de handicaps apparus, combien de décès liés à une incroyable incurie, dont une fois la pandémie passée la Justice pourrait bien avoir à connaître un jour ou l’autre? Mais cela fait des lustres que l’Assurance-maladie préfère réformer les autres (les médecins, les infirmiers, les pharmaciens, les dentistes, les laboratoires d’analyse, les ambulanciers etc.) que de se réformer elle-même, en donnant raison au fabuliste qui raillait justement notre propension à faire pour nos défauts la poche de derrière et celle de devant pour les défauts d’autrui. Pourtant, avant de lancer hardiment le grappin sur les complémentaires-santé, la Sécurité sociale ferait bien d’engager enfin en interne les efforts nécessaires pour rétablir ses équilibres fondamentaux, chasser les surcoûts inutiles et entreprendre enfin une lutte énergique contre la fraude. Nul doute que les gains ainsi espérés se chiffreraient en plusieurs dizaines de milliards d’euros et qu’ils apporteraient à notre système de santé bien davantage que l’absorption à marche forcée du secteur secondaire des complémentaires-santé. Ce dernier ne demande qu’à poursuivre son activité, quitte à consentir rapidement les efforts nécessaires pour réduire  certains défauts et certains excès parfaitement amendables. Bien sûr, avec l’actuelle majorité plus qu’obéissante, le Pouvoir peut parfaitement passer en force et imposer d’urgence une réforme dont personne ne veut: ni assureurs, ni soignants, ni syndicats, ni patients, tout en glissant sous le tapis tous les griefs que nous avons signalés. Cependant, après l’échec cinglant de la réforme des retraites, le Gouvernement serait avisé de bien peser le risque social et politique d’une nouvelle réforme mal ficelée, qui pourrait fortement perturber le début du prochain quinquennat en cas de réélection du Président actuel et sinon filer droit dans la poubelle d’une nouvelle équipe plus raisonnable.

Par ailleurs, le Haut Conseil s’est-il demandé comment, sous la Présidence de la France, le Gouvernement ira expliquer à nos censeurs européens, qui ne cessent d’exiger une politique volontaire et énergique de réduction de la dépense publique, que le fait de:

                – de privilégier une réforme externe pour, une fois de plus, éviter de se poser les questions qui    fâchent en interne;

                – de surcharger la barque des prélèvements publics de plusieurs dizaines de milliards d’euros      dans d’invraisemblables conditions de désordre et d’improvisation;

                –  de soustraire du marché des prestations dont jusqu’à présent il assurait a peu près convenablement la   fourniture;  

 répondent précisément à leurs préoccupations de réduire l’emprise de l’État et de maintenir à la liberté économique ce qu’elle gère jusqu’à présent à la  satisfaction générale? Car ne l’oublions pas, malgré tous ses défauts, 77% des Français demeurent satisfaits de leur couverture de complémentaire-santé.

Enfin il faudra bien à un moment ou à un autre que la caste aux manettes de la Sécurité sociale comprenne qu’elle ne pourra pas continuer à accroître indéfiniment ses dépenses, sans réformer profondément l’institution. Nos élites sanitaires ont cru qu’il suffisait de renforcer les effectifs gestionnaires pour réduire les dépenses. Elles ont fait fausse route: en réalité, ces nouveaux effectifs les augmentent. Elles sont cru aussi qu’il serait possible de soigner mieux avec moins de soignants: le résultat est cruel, puisqu’on soigne désormais moins (cf. l’encombrement des urgences pour pallier la progression inquiétante de la désertification médicale!) et surtout beaucoup moins bien (services à saturation dès la moindre crise). Comment exclure enfin que cette « Grande Sécu » ne soit la dernière tentative de diversion trouvée par la rue de Ségur pour gagner encore un peu de temps, afin de repousser une nouvelle fois les réformes indispensables? Car les Français ont parfaitement compris que nos services publics, qui sont devenus parmi les plus coûteux du monde, ne sont plus depuis longtemps les meilleurs de la planète. La preuve, tandis que l’épidémie de la Covid ne cesse de souligner partout les incohérences et les failles béantes du système, tandis que le pouvoir rejette indécemment sur le citoyen la responsabilité de son imprévision coupable et des lits qu’il n’a su ni maintenir, ni ouvrir,  on ne sait pas s’il existe encore des pays pour envier notre système de santé, mais ce dont on est sûr, c’est qu’il n’en existe rigoureusement aucun pour le copier.  

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7 commentaires

LAURENT46 11 janvier 2022 - 8:14

Un gros boulet de plus pour y placer sa famille de l’ENA avec X sizaines de directeurs, directeurs adjoint, directeurs de services, et bien entendu les Secrétaires et conseillers qui vont avec. C’est chaque fois la même chose. Ensuite il y a tout le fric que l’on peut y tirer puisque dans cette nouvelle République, tout l’argent lié à la santé est considéré comme Revenus de l’Etat, argent avec lequel on peut faire ce que bon semble et de bien entendu augmenter ces revenu retirés directement à la source à mesure des besoins quel qu’en soient ces besoins. Le tout sans oublier le télétravail entré dans les moeurs qui fait circuler les dossiers personnels avec toutes les infos à travers tout le pays voir à l’étrangers, le tout piratable à souhait. Enfin, comme il y a de plus en plus de RSA professionnels, d’étrangers d’un age avancé et autres qui n’ont que peu travaillé dans leur vie ou des horaires tellement aménagés que l’on peut compter les heures de travail mensuels sur une main, d’autres qui sont en retraite à 50 ans avec un début de carrière à 30 ans tous ayant droit à la retraite maximale ou minimale qu’il faut bien financer d’une manière ou d’une autre ainsi que les arrêts maladie de tous ces catégories de travailleurs particulièrement stressés. Raison de plus pour y intégrer de forts revenus venant des successions et d’autres peut-être déjà dans les tiroirs, les revenus existant à ce jour n’étant largement pas assez. C’est aussi ce que l’on nomme les Droits de l’Homme qui permettent grâce au virus variant MacCron au fainéants du monde entier de migrer dans le pays de leur choix et de préférence dans celui qui possède l’argent gratuit et qui donne sans compter.

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Obeguyx 11 janvier 2022 - 12:39

Rendez la Sécu aux cotisants. La gestion sera vite recalée et les déficits disparaîtront. La CMU et l’AME sont du ressort de l’état et pas de la Sécu. Que nos gouvernants et les élus emprunts de toujours plus de largesses avec le portefeuille du contribuable prennent ces dépenses sur leurs émoluments. Vous verrez les problèmes seront très, très vite réglés. Le reste n’est que bavardage stérile. Une fois la Sécu sur les rails, il pourra être envisagé d’éventuelles réformes, comme par exemple une meilleure couverture de remboursement (comme dans les années 1970).

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AlainD 11 janvier 2022 - 8:30

HCAAM, rien que le sigle n’augure rien de bon. Il s’agit d’un de ces nombreux machins que Macron affectionne particulièrement. Comme ce bidule est rattaché à France Stratégie, il est permis d’envisager le pire. Ne sont-ce pas ces gens là un peu barbouilloux qui ont décrété que les retraités sont trop riches ?
J’adhère totalement au contenu de l’article concernant la gestion de l’assurance maladie, ainsi que les régimes complémentaires Agirc-Arrco, confiée aux « partenaires sociaux ». De quel droit les retraités voient ils leur pouvoir d’achat amputé chaque année ? De quel pouvoir les syndicats disposent ils pour décider de nos revenus ?
Les syndicats justement, voyez comment ils ont coulé le port de Marseille à toujours vouloir plus et voyez comment ils laissent l’assurance maladie creuser son déficit. D’ailleurs lorsque quelqu’un veut y mettre de l’ordre on ne le laisse pas faire. Souvenez vous de ce dirigeant de Marseille qui s’était trop penché sur la gestion marseillaise et qui finalement s’est « suicidé » de deux balles dans la tête !! C’est qu’on ne fait pas les choses à moitié à Marseille…
Les guignols qui sont aujourd’hui aux manettes sont les mêmes(ou leurs successeurs) que ceux qui avaient imposé un numerus-clausus pour l’accès aux professions médicales… On voit le résultat aujourd’hui où certaines régions sont devenues des déserts médicaux et figurez-vous que les plumitifs de la sécu envoient des rappels à l’ordre aux médecins qui auraient trop de patients et donc les menacent de sanctions s’ils persistent. Voilà la prétention et la vanité de gens qui n’ont jamais mis les mains dans le cambouis et qui vivent du travail d’autrui. Il y a quelque chose de pourri au royaume de France ce qui n’empêchera pas Jupiter au petit pied de se représenter pour un second mandat. Notre pays est aux mains des technocrates.

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Dudufe 13 janvier 2022 - 11:44

Encore un article clair net et précis de Monsieur Thierry Benne.
En revanche une erreur s’est glissée dans le chapitre certification des comptes annuels de l’AM ,alinéa 3.
Il est écrit : Taux de personnel non soignant en France 34% contre 25 chez nos proches voisins d’où un excès de 9%.
Non l’excès est de 9 points (confusion classique mais importante) En réalité l’excès en % est de 25/34 soit 36% ! (4 fois plus).

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Dudufe 13 janvier 2022 - 12:09

errare humanum est…dans mon commentaire précédent j’ai , moi aussi fait une erreur, il fallait lire 34/25 = 1.36 soit + 36%

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bixente 13 janvier 2022 - 6:31

je trouve ça affligeant que en pleine pandémie mondiale on mette le point sur la dette contracté par l’administration publique…. la dette comme la montré la crise n’est plus le problème mais la solution. Parler ainsi de la dette n’est vraiment pas être dans la réalité et c’est au contraire comme le réclame les soignants une hausse des dépenses qui devrait être faite plutôt qu’une coupure budgétaire … De la même manière rappeler la fraude sociale montre que la cible est encore portée sur des personnes qui vivent ou complète des mois grâces a ces aides mais on oublie de rappeler que la fraude fiscale représente 80 à 100 millions d’€.
Bref cet article illustre les travers d’une partie de la France reclus sur ses fondements erronés et qui ne souhaite évoluée.

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Dufournet 17 janvier 2022 - 4:06

Merci d’avoir réagi à ce projet etatomacronien totalement bureaucratique qui nous conduirait à un énorme naufrage de plus des services publics devenus le Titanic de la caste dont la France est en train de crever.

Une chose importante a été l’oubliée de cette synthèse c’est la question du pourquoi la part des emplois dits « non soignants » a augmentée ,sous entendant l’arrivée de personnes destinées à « gérer »mieux l’hopital et qui s’est révélée pire que le mal qu’il faut combattre
Il est exact que les hopitaux ont recruté beaucoup d’ « administratifs » en charge de la « gestion » sauf que ces personnels ont repris les processus de gestion administrative procédurière existants depuis des lustres, et qu’ils n’avaient ni les compétences ni le niveau hiérarchique pour mettre en oeuvre la rénovation fondamentale dont nos administrations et notamment l’hospitalière a besoin pour être efficiente et à la hauteur de sa tâche.
Ceci est mal compris par bien des gens qui n’ont jamais été confrontés à la réorganisation des services
administratifs, comptables et de Gestion en pensant que la reconception et l’amélioration permanente des
« processus »ne concerne que les processus industriels, alors que les gains de productivité sont aussi importants dans
ces domaines pour lesquels les processus apparaissent moins techniques.
Les trente pour cent environ de manque d’efficacité dans nos administrations représentent des milliards par an au seul niveau des hôpitaux.
A cela s’ajoute la méconnaissance des règles et outils conceptuels des « bonnes pratiques » en matière de gestion et de management des ressources humaines et matérielles qui ont fait l’objet des études il y a près de cinquante ans des universités américaines qui ont été mises en pratique depuis une trentaine d’années et avec succès dans toutes les
entreprises performantes et respectueuses des critères durables.
Oui ,il y a du pain sur la planche si l’on voulons redevenir un pays moderne sur le chemin du progrès … oui un pays « progressiste » comme dirait Macron sauf que le progrès doit être mis au service d’une vie plus aisée de la population
et non de ceux qui nous exploitent.
A titre d’illustration du mauvais choix des critères de gestion, le malus imposé au lit d’hôpitaux en est l’archétype ! Des sottises comme celles la il y en a des centaines dans l’Administration; Cela coûte cher mais de
plus cela tue ! On va laisser aux manettes ce genre d’irresponsables ??

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