Une fois de plus nous avons pu constater avec la grève des laboratoires biomédicaux de la semaine dernière combien il est difficile de gérer correctement un secteur économique dans lequel l’intervention de l’État est omniprésente. En l’occurrence il s’agit du secteur de la santé.
Ce « bras-de-fer » entre les laboratoires et l’État n’a rien de surprenant dans une économie administrée
Rappelons les faits : Dans un premier temps, la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) estime que les laboratoires ont très largement profités de la crise Covid qui leur a permis de dégager des profits records. Ces profits sont en effet passés de 5,1 à 9,4 Mds entre 2019 et 2020. En conséquence, l’organisme de gestion de la Sécu demande, dans le cadre de la Loi des Finances de la Sécurité Sociale (LFSS) « une baisse pérenne de cotation des actes de biologie médicale non liés à la covid-19, devant générer une économie de 250 millions d’euros dès 2023 ». Informés le 7 novembre de cette décision, le Syndicat des biologistes médicaux appelle immédiatement les confrères à la grève dès le 14 novembre : s’ils étaient disposés à verser une contribution exceptionnelle liée aux actes engagés dans le cadre de la lutte contre la Covid, ils rejettent par contre toute dévalorisation de leurs actes pour les années à venir. 95% des laboratoires répondirent à cet appel.
Ce « bras-de-fer » entre les laboratoires et l’État n’a rien de surprenant dans une économie administrée. Il est au contraire typique de ce que l’on obtient quand on dédaigne les mécanismes marchands, c’est-à-dire, la propriété et le contrat. A cet égard, la comparaison entre l’assurance maladie à la française et, par exemple, l’assurance des véhicules automobiles est instructive : Sur le marché de l’assurance automobile de nombreuses compagnies d’assurance sont en concurrence. Ces entreprises de droit privé négocient les taux de remboursement avec leurs prestataires (les carrossiers, les mécaniciens, les dépanneurs, etc.) avec lesquels ils s’engagent contractuellement. Elles offrent ensuite tout un menu de contrats (avec ou sans franchise, différents bonus-malus, tout risque ou au tiers, etc.) à leurs clients potentiels. Ces derniers se lient alors par contrat avec l’assureur de leur choix. Sans doute tout n’est-il pas parfait sur ce marché, mais je n’ai pas souvenir de grève nationale des carrossiers ou des mécaniciens par suite d’un conflit avec les assureurs ; ni de discussions sans fin sur « le juste prix » pour le carrossier ou le remorqueur (ce qui ne veut pas dire qu’en tant que client nous je ne me pose pas ce type de question).
Il en va tout autrement pour l’assurance maladie version française. Plus question de concurrence entre les assureurs : tout le monde est affilié de force au régime de la Sécurité Sociale (le choix n’intervient qu’au niveau des complémentaires qui n’ont d’ailleurs elles-mêmes guère de liberté). Chacun doit en conséquence s’acquitter de ses cotisations (les prélèvements obligatoires) et les multiples intervenants dans le secteur de la santé doivent négocier avec la Sécu les montants du remboursement de leurs prestations. Doit-on d’ailleurs parler de négociations sachant qu’en fin de compte c’est le pouvoir politique qui décidera de ces montants par le biais, justement, de la LFSS (pour laquelle on pourra si nécessaire actionner le 49.3…). C’est ainsi que cette administration –- certes sous le contrôle du gouvernement et dans une bien moindre mesure du parlement—va gérer les 595,9 Mds d’euros encaissés en 2021 dont plus de 200 Mds € seront reversés à l’assurance maladie.
Les performances de cette gestion étatique de l’assurance maladie sont pour le moins avec une branche maladie très largement déficitaire : 30,4 Mds de déficits en 2020, 26,1 Mds en 2021 et 19,7 Mds prévus pour 2022, une année sans Covid.
Ce n’est pas en ponctionnant ceux qui effectuent correctement leur travail que l’on redressera les comptes de la Sécu
Dans un contexte marchand, un assureur réalisant de tels déficits se devrait de réagir vite sous peine de disparaître. Il renégocierait les différents contrats qui le lient à ses fournisseurs et ses clients, dans le respect bien entendu de la propriété et du droit des contrats. Dans l’économie administrée à la française ce sera à l’administration de la Sécu sous la direction de ses ministres de tutelle de tenter de trouver une solution. Alors on prendra de l’argent là où l’on en trouve et on fera des coupes là où cela paraîtra politiquement faisable sans remettre en cause, bien entendu, ni le monopole ni les modalités de sa gestion. Et l’on prendra soin, bien entendu, de présenter ces mesures comme étant justes et légitimes.
Telle est la mésaventure que connaissent aujourd’hui les laboratoires biomédicaux. Le gouvernement, et les directeurs de la CNAM, relèvent que le taux de rentabilité de ces laboratoires, par suite de restructurations et de concentrations, est passé en peu de temps de 16% à 30%. En bref, ils sont devenus plus performants et ils ont eu beaucoup de travail pendant la crise sanitaire. Si l’on n’abaisse pas le remboursement des actes de biologie médicale ils vont donc continuer à réaliser des profits, chose inconcevable à la vue des déficits de la Sécu. On décide donc unilatéralement de procéder à la baisse des remboursements. Les laboratoires, de leur côté, crient au scandale. Ils font remarquer que, contrairement à d’autres acteurs du secteur, ils ont su être performants durant la crise, s’adapter aux besoins et que ces profits sont indispensables pour réaliser les investissements du futur et assurer des soins de qualité aux français. Ils observent aussi qu’on ne peut pas les taxer de manière pérenne sur le constat de bénéfices occasionnels. Ce n’est pas en ponctionnant ceux qui effectuent correctement leur travail que l’on redressera les comptes de la Sécu.
Le bras de fer ainsi engagé, avec la grève comme outil de pression, tourne pour l’instant en faveur des laboratoires qui du coup ont « suspendu » leur grève. Dans un communiqué en date du 17 novembre, le Syndicat des biologistes explique qu’il « se réjouit de la décision de Thomas Fatôme [directeur de la CNAM] annoncée par un mail aux laboratoires, de ne pas appliquer de baisses répétées de la valeur des actes, contrairement à ce qu’il avait annoncé le 7 novembre ».
Quelle morale tirer de ces événements ? Tout d’abord qu’ils n’ont rien d’exceptionnels : c’est en fait le mode de fonctionnement d’une économie administrée : on remplace les choix économiques par des choix politiques. On remplace les contrats et les prix par des tarifs votés par des instances politiques qui décident par la même occasion du niveau des profits des acteurs privés (laboratoires, infirmiers, médecins, kinés, ambulanciers, pharmaciens…). Est-ce que cela permet d’accroître le bien-être social, d’œuvrer pour l’intérêt général ? C’est ce dont certains, au premier rang desquels nous retrouvons la quasi-totalité des politiques, supporters inconditionnels du modèle français, voudraient nous convaincre. Mais rien n’est moins sûr, car ce mode d’administration fait la part belle aux resquilleurs qui essaient de vivre aux dépens des autres, aux grosses voix qui seront plus certaines d’obtenir ce qu’elles veulent. Parallèlement il tend à exploiter ceux qui ont le malheur d’accomplir efficacement leur tâche et d’innover.
Vouloir se substituer au mécanisme de l’échange volontaire et des prix est une erreur grossière. Il y a de bien meilleurs moyens de venir en aide à ceux qui sont dans le besoin et d’offrir à tous des services de santé de qualité. Puissent un jour nos concitoyens et leurs gouvernants prendre au sérieux l’avertissement d’Adam Smith, l’un des premiers et des plus grands économistes que nous ayons eu : L’État doit se délester d’une charge « pour laquelle il n’a ni la sagesse ni les connaissances : celle d’être le surintendant de l’industrie des citoyens ».
3 commentaires
D’accord avec vous. Si la sécurité Sociale luttait enfin contre la fraude aux prestations sociales. Si elle faisait enfin le ménage dans son fichier d’assurés sociaux…. plus nombreux que la France compte d’habitants ! Il faut le faire ! Si elle vérifiait que les « centenaires » (vivant à l’étranger) étaient toujours en vie. L’Allemagne le fait. Elle aurait les moyens de payer correctement les soins et celle et ceux qui les assurent.
C’est ainsi que l’on tue ce qui reste de libéral en France. Ici on n’aime pas la liberté (les mots ont un sens), c’est clair. Je voudrais voir la tête des députés et ministres si on diminuait leurs émoluments.
Excellent article fort bien venu. Je corrigerais simplement « économie administrée » par « économie dirigée » qui me semble bien plus à propos et, ce depuis l’avènement de Giscard …