Vous avez aimé le RSI, le RSA, la CMU, l’AME, l’ASS…. ? Vous allez adorer le CPA. Le compte personnel d’activité (CPA) est en effet une mesure emblématique de la loi El Khomri en matière de « sécurisation des parcours professionnels ». Et, mal estimé, le coût pour les entreprises et le contribuable va encore alourdir le déficit et la fiscalité.
En quoi consiste-t-il ? En gros, il s’agit d’étendre le compte personnel de formation (CPF) entré en vigueur le 1er janvier 2015. Celui-ci est alimenté en fonction des heures travaillées, à raison de 24 heures par an pour un salarié à temps plein pendant 5 ans, puis de 12 heures annuelles pendant 2,5 ans, pour atteindre un maximum de 150 heures.
Avec le CPA seront concernés les jeunes sortis du système de formation initiale sans qualification, les indépendants et les conjoints collaborateurs et les agents publics. Le gouvernement entend aussi donner davantage de droits (relèvement du plafond jusqu’à 400 heures et accélération du rythme d’acquisition des heures) aux salariés sans diplôme.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit d’étendre les formations éligibles au CPF. Les bénéficiaires du CPA pourront ainsi se former à la création ou à la reprise d’entreprises. Quant aux demandeurs d’emploi et aux salariés n’ayant pas la condition d’ancienneté de 5 ans requise jusqu’alors, ils pourront se faire financer un bilan de compétences.
En plus du CPF, le CPA comprendra également le C3P, le compte personnel de prévention de la pénibilité, entré en vigueur également le 1er janvier 2015. Le C3P permet aux salariés, exposés à au moins l’un des dix facteurs de pénibilité inscrits dans le code du travail, du cumuler des points afin de se former, de réduire son temps de travail sans diminution de salaire, ou encore d’anticiper son départ à la retraite.
La loi El Khomri prévoit de créer – à côté du CPF et du C3P – le CEC, le compte engagement citoyen pour retracer l’ensemble des activités bénévoles ou de volontariat, dans le but de reconnaître les compétences acquises et d’accéder à des formations en créditant de 20 heures le CPF des personnes concernées.
Le CPF est aujourd’hui financé par une contribution des entreprises de 10 salariés ou plus de 0,2 % de leur masse salariale. En 2015, près de 208 000 dossiers ont été validés (mais seules 2 616 personnes ont entamés et terminés une formation dans l’année !). La durée moyenne des formations est d’environ 238 heures (151 heures pour les salariés, 585 heures pour les demandeurs d’emploi). Les montants dépensés en 2015 ne sont pas connus à ce jour (ou du moins, ils ne sont pas publics), les prises en charge étant variable selon les branches professionnelles.
Les coûts du CPA encore très mal estimés
Le gouvernement doit cependant posséder quelques chiffres puisqu’il estime les dépenses du CPF en 2016 à 885 millions d’euros. Dans l’étude d’impact qu’il a remis à l’Assemblée nationale, les dépenses générées par les nouvelles mesures sont estimées entre 465 et 608 millions d’euros par an, qui se répartissent de la façon suivante :
– 100 millions d’euros par an, pour l’ouverture du CPF aux bilans de compétences et aux formations à la création ou reprise d’entreprises ;
– entre 286 et 396 millions d’euros par an, pour l’extension des droits des salariés sans diplôme ;
– entre 33 et 66 millions d’euros par an, pour la formation des jeunes sortis du système de formation initiale sans qualification ;
– 46 millions d’euros par an, pour le compte engagement citoyen (CEC).
À cela, il convient d’ajouter, l’ouverture du CPF aux indépendants qui n’est pas chiffrée dans l’étude d’impact du ministère. Ce dernier estime que les organismes chargés de collecter les fonds de la formation professionnelle continue des non-salariés disposent de suffisamment de fonds – 280 millions d’euros de collecte annuelle – pour cela. Mais ces organismes vont-ils réaffecter un pourcentage de leur collecte ou vont-ils augmenter la cotisation actuelle des non-salariés pour financer ce nouveau dispositif ?
Par ailleurs, les calculs effectués par le ministère sont sujets à caution. Prenons l’exemple du CEC. L’étude d’impact ministérielle évalue les bénéficiaires à 525 000 personnes, et estime que seules 20 % des 20 heures créditées seront utilisées. Pourquoi 20 %, et pas 25 % ou 55 % ? Mystère !
Autre chiffre contestable, celui du coût du CPF, estimé à 885 millions d’euros pour 2016. Si l’on prend les chiffres de 2015, avec 208 000 formations validées d’une durée moyenne de 238 heures, cela représente 49,5 millions d’heures. Le coût moyen pédagogique de ces formations est de 22 € de l’heure (page 219 de l’étude d’impact). Au total, le coût est donc de plus de un milliard d’euros. Et cela ne prend pas en compte les salaires des personnes parties en formation. Alors, pourquoi estimer le coût du CPF à 885 millions d’euros en 2016 ? Le dispositif qui vient d’être mis en place ne va-t-il pas plutôt monter en puissance et avoir davantage de bénéficiaires cette année qu’en 2015 ?
Enfin, dans l’estimation financière, le ministère occulte complètement le coût de la mise en place du CPF pour les agents publics. Comme il est indiqué pudiquement dans l’étude d’impact : « le contenu des droits, situations et congés inscrits dans le compte personnel d’activité a vocation à faire l’objet de cycles de concertation dans le cadre de l’agenda social pour la fonction publique ». Bref, le dispositif sera créé par la loi El Khomri, mais ce qu’on y mettra sera discuté avec les syndicats. Et donc son coût ne peut pas être estimé.
Quand on sait que le RSA, qui faisait suite au RMI, a vu son budget croître de 71 % entre 2009, année de sa création, et 2015 pour atteindre aujourd’hui un montant de 9,8 milliards d’euros, on craint que le coût de ce CPA soit largement sous-estimé.
Et comment tout cela sera-t-il financé ? Pour le gouvernement, « ce coût sera financé par des redéploiements au sein des fonds de la formation professionnelle ». Autant dire que l’on n’en sait rien. Ou plutôt que les entreprises d’une part, et le déficit public d’autre part seront mis à contribution.