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L’euro virtuel selon Christine Lagarde : révolution monétaire ou piège centralisé ?

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Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), a jeté un pavé dans la mare en annonçant que l’euro virtuel – ou euro numérique – pourrait être opérationnel dès octobre 2025. Cette monnaie digitale émise par une banque centrale (CBDC) est conçue pour coexister avec les espèces et les systèmes bancaires traditionnels et ambitionne (rien de moins !) de placer l’Europe en tête dans la course mondiale à la numérisation monétaire. Derrière les discours optimistes sur la modernité et la souveraineté, le projet soulève cependant de profondes inquiétudes : est-il une réponse adaptée aux défis du XXI siècle ou un outil de contrôle déguisé ?

Une urgence stratégique ?

L’idée d’un euro numérique court depuis plusieurs années dans les couloirs de la BCE. En 2021, Christine Lagarde en traçait déjà les grandes lignes dans plusieurs interviews données à des médias divers (Bloomerg Tv, Figaro) : l’euro numérique serait l’équivalent dématérialisé d’un billet de banque. Simple en théorie, cette vision s’inscrit dans une dynamique globale, la Chine testant son yuan numérique depuis 2020 avec 260 millions d’utilisateurs en 2023 selon la Banque populaire de Chine quand la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale américaine envisagent de se doter de leurs propres CBDC. En Europe, la Banque centrale européenne accélère le pas, arguant que l’essor des cryptomonnaies privées (Bitcoin, Ethereum) et des stablecoins (Tether, USDC) finit par menacer la stabilité monétaire. En mars 2025, le marché des cryptomonnaies pèse en effet près de 1 800 milliards d’euros, un chiffre en hausse de 20 % par rapport à 2024.

Cela dit, la zone euro reste encore viscéralement attachée aux espèces. En 2022, les transactions électroniques ont certes représenté 45% de la valeur totale des échanges, mais dans les magasins, 79% des paiements ont été effectués en liquide.  selon une étude de la BCE . Alors qu’en penser ? Christine Lagarde martèle que l’euro virtuel viendra en complément répondre aux besoins d’une économie numérique mais ne remplacera pas les billets. L’annonce d’octobre 2025 – un calendrier avancé de deux ans par rapport aux prévisions initiales – surprend donc un peu. La BCE justifie cette précipitation par la nécessité de contrer l’influence croissante des Big Tech (Apple Pay, Google Wallet) qui contrôlent désormais près de 30 % des paiements mobiles en Europe.

Un pari risqué

L’euro virtuel est présenté comme un potentiel catalyseur économique qui serait capable de réduire les coûts de transaction (150 milliards d’euros par an, soit 1 % du PIB) tout en redynamisant la consommation. Mais ces bénéfices restent hypothétiques. La BCE  voit grand : dans un rapport interne de 2024, elle dit s’attendre à ce que 60 % des ménages européens utilisent l’euro numérique d’ici… 2030 ! Son ambition repose sur une infrastructure numérique censée être robuste, mais un incident récent est venu  ébranler cette confiance : une panne de Target 2 survenue le 27 février 2025 a perturbé les paiements interbancaires pendant 10 heures et son coût estimé frôle le milliard d’euros. L’eurodéputé allemand Markus Ferber s’interroge : « Si la BCE échoue sur des systèmes existants, comment gérer une CBDC à l’échelle continentale ? » Ce fiasco technique, ajouté à des cyberattaques en hausse (les pertes liées aux piratages bancaires ont atteint 4,3 milliards d’euros en 2024) fragilisent le projet.

Une souveraineté monétaire sous contrôle

Il y a peut-être plus grave encore, parce que si le plaidoyer de Christine Lagarde en faveur de l’euro virtuel présenté comme LE rempart contre une perte de souveraineté monétaire peut séduire une partie du personnel politique (Bruno Le Maire notamment), cette souveraineté aura tout de même un prix et pas des moindres : celui d’une centralisation accrue. En 2024, Pékin a limité l’usage du yuan numérique dans certains secteurs (jeux d’argent, dons non autorisés), traçant chaque transaction via une blockchain dûment contrôlée par l’État. En Europe, où le RGPD protège les données personnelles, la BCE promet un équilibre entre traçabilité et confidentialité. A voir… Surtout qu’aucun cadre juridique précis n’a été publié à ce jour, alimentant les craintes de dérives. Des économistes nous mettent en garde contre la CBDC qui pourrait devenir une arme de surveillance massive, où chaque achat serait scruté par des algorithmes au profit des bureaucrates.

Les voix politiques : entre soutien et rejet

Pour l’instant le projet divise, les responsables européens ne sont pas tous sur la même longueur d’onde. Une eurodéputée italienne dénonce un « outil orwellien » où, sous prétexte de modernité, on impose un système qui pistera chaque citoyen. Et en effet, quelles garanties avons-nous pour notre vie privée ? On a beau tenter de nous rassurer en claironnant que l’euro numérique respectera les standards les plus stricts en matière de protection des données, sans calendrier clairement établi et sans plus de détails ces promesses sonnent un peu creux.

Les économistes restent partagés. Si le professeur à Harvard Kenneth Rogoff défend les CBDC dans un article de 2024 et voit même dans l’euro virtuel l’opportunité de moderniser une zone euro engluée dans des systèmes bancaires fragmentés, d’autres y voient une menace existentielle puisque les CBDC peuvent transformer la monnaie en levier politique. Virtuellement, rien ne pourra empêcher un gouvernement de bloquer vos achats de viande pour des raisons écologiques ou vos dons à des associations jugées indésirables.

Un calendrier précipité

Le calendrier pour la mise en place de l’euro numérique paraît à la fois très ambitieux et très précipité. En novembre 2023, la BCE lançait une courte phase préparatoire de deux ans afin de tester des prototypes avec des groupes bancaire reconnus, mais les résultats restent confidentiels. Cette rapidité, cette opacité, peuvent être sujettes à caution et d’autres institutions se montrent plus prudentes. Jerome Powell, président de la Fed, déclarait d’ailleurs en 2024 qu’« un dollar numérique doit être irréprochable avant d’être lancé. La hâte est l’ennemi de la perfection », mais la BCE semble ne rien vouloir entendre, au risque d’un fiasco. Surtout que sur le plan social, l’euro virtuel se heurte à une résistance culturelle plus ou moins forte selon les pays. La majorité des Européens veulent préserver les espèces. En Italie, où la quasi-totalité des petites transactions se font en liquide, des commerçants craignent une marginalisation. Cette fracture aussi bien générationnelle que géographique rendra sans doute moins facile une adoption que l’on eût souhaité harmonieuse.

Malgré les assurances de Lagarde, la crainte de voir disparaître le cash persiste. En 2022, des discussions sur les réseaux sociaux ont amplifié la peur que la BCE ne supprime les billets, cristallisant la défiance populaire. La tentation d’éliminer les espèces – anonymes, intraçables et pouvant favoriser le travail au noir – pourrait croître. Friedrich Hayek, dans son livre La Dénationalisation de la monnaie (1976) nous avertissait déjà : « Le monopole monétaire des États est une source de tyrannie potentielle ». L’euro virtuel pourrait donner raison à cette prophétie.

Une dystopie en germe ?

Ce sont surtout les utilisations potentielles de l’euro numérique qui sont au cœur des débats.  En théorie, il pourrait engendrer  des innovations plus ou moins discutables, comme le versement direct d’ aides sociales (avec d’éventuelles restrictions sur leur utilisation), des incitations écologiques (bonus perçus pour des dépenses vertes)… Une CBDC doit être neutre, or la neutralité apparaît comme illusoire dans un système centralisé. Imaginons un scénario où un gouvernement, sous une quelconque pression budgétaire, décide de limiter l’usage de l’euro virtuel à certains produits, à certaines régions ; ou, pire, d’appliquer des sanctions financières qui cibleraient des individus selon leurs opinions détectées via leurs transactions. Ces hypothèses, qualifiées de « paranoïaques » par la BCE, trouvent toutefois un écho dans l’expérience chinoise, où le yuan numérique servit à réprimer des dissidents en 2023.

Qu’en conclure ?

La Banque centrale européenne mise sur cette innovation pour asseoir sa légitimité face à la concurrence mondiale mais le projet – perçu comme précipité et mal défini – charrie avec lui des risques majeurs : surveillance accrue, fragilité technique, érosion des libertés. L’euro numérique est pour le moment très ambigu : est-ce un pas vers l’avenir ou un risque majeur pour les libertés ?

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9 commentaires

L'Oeil du cyclone 14 mars 2025 - 12:10 am

Les pulsions de contrôle illustrent parfaitement le gouffre entre le socialisme de marché et le libéralisme. Pour le socialiste de marché, la liberté n’est qu’un adjuvant économétrique. Pour le libéral, elle est le fondement philosophique de l’homme et de l’échange économique. Les gens contourneront une contrainte, à plus forte raison une contrainte illégitime au regard du droit naturel. Une monnaie limitée est une limitation à sa valeur, et donc une limitation de sa valeur. Les gens trouveront d’autres outils d’échange, étalons de mesure et réserves de valeur. En plus, les moyens de paiement électroniques sont dépendants d’infrastructures complexes (ordinateurs, terminaux, réseaux, énergie constante, etc.) qui les rendent non-résilients. Enfin, au plan sociologique, le gain de contrôle sur les secteurs informels (drogue, prostitution, travail au noir, etc.) concernera les à-côtés du pékin moyen sans impacter les véritables circuits de blanchiment du crime organisé qui infiltrent déjà les banques officielles. Bref, comme avec l’Amérique de la prohibition alcoolique, cela occasionnera une banalisation des déviances aux lieu de les marginaliser. L’argent électronique doit donc s’insérer parmi les autres moyens de paiement et non les supplanter. Mais comment douter que nos zélites zeuropéistes vont s’essayer à un nouveau “moment orwello-soviétique” avant de se rendre compte que c’est inopérant dans le monde réel ?

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Regis 14 mars 2025 - 9:13 am

Il y a quelque chose de faux dans l’article, les Américains n’utiliseront pas les CBDC, Donald Trump les a refusé le 13 janvier 2025, en signant un décret.

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PIET 14 mars 2025 - 9:17 am

Christine Lagarde ? Une avocate qui ne connait rien aux marchés économiques mondiale ; d’ailleurs connait-elle à minima la gestion étatique d’un pays … pas certain …! c’est d’ailleurs elle (en tant que directrice du FMI) qui préconisait afin de régler la dette de la France, de se servir sur les comptes des assurances vie … c’est tout dire ; en fait comme tous ses collègue qui vivent de la politique elle ne sait pas limiter et supprimer des dépenses non indispensables car ces mots ne font pas partis de son vocabulaire …!!!

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loic ruello 14 mars 2025 - 9:21 am

sur le plan technique cet eurodéputé allemand pose la bonne question : quand on est pas foutu de gerer la crise monétaire actuelle comment essayer autre chose qui ira forcément dans le mur

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BARBARAY 14 mars 2025 - 9:31 am

Et si pour être innovant, un pays faisait à contre-courant des autres dans certains domaines ? La folie ne peut qu’engendrer la catastrophe. Et une chose est certaine, en constatant toutes les arnaques financières existantes, il sera urgent de retirer son argent des banques.

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bob 14 mars 2025 - 10:18 am

Merci pour cet article intéressant sur un sujet absolument CAPITAL !

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Picot 14 mars 2025 - 10:46 am

Si c’est flou, il y a un loup.

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Jojo 14 mars 2025 - 4:03 pm

Le mandat de Christine Lagarde est limité, son action jusqu’à présent est molle et invisible. Qui peut dire ce qu’elle a fait d’utile pour le peuple européen depuis qu’elle a pris ses fonctions ?
Il est évident qu’elle aimerait laisser une trace bien réelle et prestigieuse de son passage à la BCE, alors allons-y pour l’Euro virtuel. Même mal ficelé et problématique, le projet restera dans les annales comme l’oeuvre qu’elle aura lancé, quitte pour ses successeurs à replâtrer un système défaillant.
L’intérêt des citoyens européens ? C’est quoi ça ?

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Albatros 18 mars 2025 - 11:42 am

Encore une ambition à la con de l’Europe bureaucratique ! Après le fiasco de la politique énergétique (“RePower EU” en 2022) parfaitement débile avec le “Green Deal”, celui annoncé et inévitable de la défense européenne (la Commission n’a aucune compétence en la matière), vient celui de l’imbécile en chef de la BCE, une Française de surcroît (cocorico !) qui fut ministre du désastre économique et financier français sous le Grenelle de Sarkozy, largement surpassée par le crétin incompétent Le Maire.
L’UE se suicide et nous regardons ailleurs (les éoliennes par exemple).

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