Le lundi 4 novembre 2024 s’est tenue, à la Cour des comptes, la première édition des « Rencontres de la Dépense Publique » qui, vous l’aurez remarqué, abuse des lettres majuscules, sans doute pour indiquer que ladite dépense est importante, non pas dans le sens de considérable, mais d’éminente. Un bon résumé de la journée !
Coorganisée par le groupe de média Acteurs publics et la Cour des comptes, cette journée du 4 novembre, dont le thème était « Le modèle français à l’épreuve », aura été, sur bien des points, surprenante, voire sidérante.
Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, a appelé à des débats « vifs et passionnés ». Mais encadrés, puisque Pierre-Marie Vidal, fondateur et président du groupe Acteurs publics, a souhaité que les échanges sur le rétablissement des comptes publics préservent notre modèle social « auxquels nous sommes tous attachés ». Voilà qui limite déjà sérieusement les solutions ! Et qui explique sans doute pourquoi les orateurs étaient triés sur le volet, comme nous l’avons relaté la semaine dernière : il ne fallait surtout pas que l’un d’entre eux puisse faire des propositions iconoclastes.
Les partisans de la « Dépense Publique » (avec les majuscules qui s’imposent) étaient donc, ce 4 novembre 2024 à la Cour des comptes, bien plus nombreux que ses pourfendeurs. Comment, dans ces conditions, s’étonner de ce que l’on a entendu et pas entendu ?
Ce que nous avons entendu
Commençons par les politiques de tous bords, que nous n’avons pas cités dans notre article précédent. Le président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Éric Coquerel (LFI), fut le plus sidérant : « La dette et le déficit, ce n’est pas si grave », « La situation n’a rien de dramatique ». Il a condamné la politique de l’offre qui n’a pas marché et n’a consisté qu’en des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux riches. Son collègue RN Jean-Philippe Tanguy a, lui aussi, nié les bienfaits de la flat tax et de la suppression de l’ISF, et s’en est pris aux multinationales qui ne paient pas leur part du financement des services publics. Mais il a contesté le fait qu’ait été menée une politique de l’offre ces dernières années puisqu’on ne compte plus les prélèvements qui ont augmenté ou ont été créés.
Le député Charles Rodwell (Renaissance) a affirmé que la politique de l’offre était la bonne méthode, même si elle a, en partie, échoué du fait des crises qui ont empêché de baisser suffisamment les dépenses et de percevoir les recettes attendues.
Son collègue David Amiel (Renaissance), s’il a reconnu qu’il fallait stabiliser (et non réduire) la dette en part de PIB, a surtout insisté sur les dépenses en faveur de la transition écologique (et de la défense) qu’il faudrait engager rapidement. Il a été rejoint par Coquerel pour qui l’urgence, « c’est la dette écologique ».
Seule la sénatrice Christine Lavarde (LR) a plaidé franchement pour une réduction des dépenses, notamment par une redéfinition du périmètre d’action de l’État (« Qu’est-ce qu’il doit faire et ne pas faire ? Qu’est-ce que le secteur privé pourrait prendre en charge ? ») et une meilleure évaluation des politiques publiques (par exemple en prévoyant l’évaluation dès la conception de la loi).
J.P. Tanguy a critiqué les nouvelles institutions (Société du Grand Paris, intercommunalités, grandes régions, etc.) qui coûtent et n’ont pas de valeur ajoutée, et l’inflation normative. Celle-ci a également été évoquée par le maire de Talence, Emmanuel Sallaberry (tendance Modem), qui a particulièrement vilipendé le Code des marchés publics en donnant l’exemple du doublement du coût de la construction depuis 2014. Il a aussi fortement critiqué les transferts de charges de l’État vers les collectivités locales sans transfert de fonds. Sallaberry, les députés Philippe Brun (PS) et Charles Rodwell ont rejoint Christine Lavarde dans sa critique des chevauchements de compétences et de financements qui coûtent, eux aussi, énormément d’argent.
Plusieurs fonctionnaires et experts des dépenses publiques ont été très sévères sur la situation actuelle. Ainsi Pierre Moscovici l’a-t-il jugée « grave » et a-t-il insisté sur la nécessité de « marquer un point d’inflexion en 2025 ». Il a aussi estimé qu’il était possible de baisser encore la dépense cette année et dans prochaines années. François Ecalle (Fipeco) et Xavier Ragot (OFCE) ont avancé les mêmes chiffres : il faut 100 à 120 Md€ d’économies pour stabiliser la dette à 110 points de PIB. Carine Camby (Cour des comptes) s’est inquiétée que la charge de la dette puisse atteindre 3 points de PIB en 2029.
M. Ragot a alors réclamé de concentrer les dépenses publiques sur l’essentiel. L’essentiel ne comprend sans doute pas les dépenses de soutien économique, condamnées par Émilie Agnoux (Le Sens du service public). Celle-ci a également suggéré que l’on règlemente davantage car cela permet d’éviter certains comportements qui génèrent ensuite des dépenses publiques. Quant à P. Brun, il a réclamé l’arrêt des économies sur les services publics. Pour lui, on a déjà fermé trop de trésoreries, de bureaux de poste ou d’écoles. Sans doute aussi s’agirait-il de supprimer tout financement public de l’enseignement privé, comme l’a proposé Simon-Pierre Sengayrac (Fondation Jean Jaurès). Une somme qui pourrait être affectée aux dépenses sociales auxquelles, a-t-il rappelé, les Français sont très attachés. D’ailleurs, a souligné Elvire Guillaud (Liepp-Sciences Po), les Français sont prêts à accepter une hausse modérée des cotisations (c’est-à -dire inférieure aux dépenses ?) pour préserver la protection sociale. Une idée soutenue par Laure de La Bretèche (Le Sens du service public) qui a affirmé que personne ne pensait que l’on puisse se passer des dépenses sociales. Pourtant, comme l’a dit C. Rodwell, notre politique sociale est en train de devenir une pyramide de Ponzi.
Lisa Thomas Darbois (Institut Montaigne) a rappelé que nos voisins dépensaient moins que nous et que leurs services publics étaient plus efficaces. F. Ecalle a, de son côté, défendu l’idée qu’il était impossible d’avoir des taux d’imposition trop élevés par rapport à nos partenaires. Pourtant, c’est vers quoi nous nous acheminons car, comme l’a dit Carine Camby (Cour des comptes), la rigidité de nos dépenses publiques à la baisse (effet cliquet) fait, qu’en cas d’urgence comme aujourd’hui, nous n’avons d’autres solutions que d’augmenter la fiscalité.
A côté des solutions déjà évoquées par certains hommes politiques, les experts ont plaidé, à l’instar de Mélanie Joder (directrice du Budget) pour un pilotage de la réduction des dépenses publiques dans la durée. Si elle a regretté n’avoir que peu de pouvoir pour contraindre la Sécurité sociale et surtout les collectivités territoriales à limiter l’expansion de leurs dépenses, M. Joder a défendu l’idée de revues de dépenses sous contrainte d’économies pour traquer les dépenses les moins efficaces. Il s’agirait de passer en revue les dépenses d’un ministère ou celles liées à une politique publique avec un objectif précis de réduction des dépenses. C. Camby soutient que nous avons un problème de qualité de la dépense, parce qu’elle mal ciblée, qu’elle entraîne des effets d’aubaine, et qu’il est difficile de faire marche arrière. Elle a aussi regretté la pauvreté des études d’impact associées aux projets de loi, ainsi que le flou et l’inconstance des objectifs fixés.
Ce que nous n’avons pas entendu
La lecture de ce qui précède ne rend pas très optimiste. D’abord parce que la gravité de la situation n’est pas reconnue par tout le monde (Coquerel en tête), et que l’effort à faire pour seulement stabiliser la dette publique semble considérable, en tout cas bien au-delà de ce que l’actuel gouvernement a prévu.
Nous pouvons également être pessimiste quand nous entendons des parlementaires nier qu’il faille réduire les dépenses publiques et qui proposent même d’en trouver de nouvelles sous couvert de « dette écologique » ou de besoins sociaux illimités à satisfaire. Frédéric Bierry (ex-LR), président de la Collectivité européenne d’Alsace, a affirmé que l’État-providence était arrivé au bout de sa logique, mais ce fut pour réclamer l’avènement d’une « Société-providence » dont nous craignons le pire !
Et comment ne pas être très pessimiste après avoir entendu Dominique Reynié (Fondapol) insister sur le fait que personne ne peut se faire élire sur une réduction des dépenses publiques, et que rien ne pourrait changer tant que nous maintiendrons l’élection du président de la République au suffrage universel.
Certes, nous avons eu des propositions pour limiter la hausse continue des dépenses publiques, sinon les baisser : mieux évaluer, supprimer les « machins » inutiles, s’attaquer à l’inflation normative, éliminer les enchevêtrements de compétences, procéder à des revues de dépenses sous contrainte d’économies, etc. Tout cela est bon à prendre, mais n’est pas suffisant.
Sur la réduction du nombre de fonctionnaires, par exemple, nous sommes restés sur notre faim. Si Pierre Moscovici a demandé à ce que l’on étudie le fait de ne pas remplacer tous les fonctionnaires qui partent à la retraite après avoir cherché à améliorer les services publics, ce fut pour affirmer aussitôt qu’il n’y avait pas trop de fonctionnaires. Le député Philippe Brun (PS) préfèrerait que l’on redéploye des effectifs plutôt que de les réduire, par exemple en ayant moins d’administratifs à l’Éducation nationale et plus d’enseignants face aux élèves. Seul François Ecalle a plaidé pour une solution radicale : le coup de rabot. Selon lui, c’est particulièrement efficace lorsqu’on a affaire à des gestionnaires qui ont une certaine autonomie (comme les collectivités locales). Ainsi, a-t-il rappelé, sous Sarkozy, 30 000 emplois publics ont pu être supprimés chaque année pendant 4 ans.
Mais personne n’a évoqué la dette cachée (hors bilan), en particulier celle liée aux retraites non provisionnées des fonctionnaires (1 800 Md€), qui aggrave considérablement la situation des finances publiques. S’agissant des retraites, seule L. Thomas Darbois (Institut Montaigne) a conseillé que l’on s’intéresse enfin à la capitalisation.
Personne n’a suggéré la suppression du statut de la fonction publique qui est un véritable carcan tant pour les agents que pour leurs employeurs qui se retrouvent contraints dans la gestion de la masse salariale et des compétences.
Personne n’a évoqué des privatisations. F. Bierry s’est même dit opposé au fait que les Ehpad associatifs (en déficit) des départements alsaciens puissent être rachetés par le secteur privé ! Heureusement, son collègue président du département de la Mayenne, Olivier Richefou (tendance Modem), a défendu le secteur privé, et s’agissant du financement de la dépendance, a plaidé pour un système assurantiel que développe déjà d’ailleurs certaines compagnies privées, mais aussi la Préfon (Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique).
Personne n’a promu le salaire complet qui permet à chacun de prendre conscience du coût de la protection sociale, encore moins la liberté de s’assurer auprès du prestataire de son choix pour les risques que l’on souhaite couvrir (chômage, maladie, prévoyance, etc.).
Personne n’a défendu l’idée d’une assiette plus large de l’impôt sur le revenu (moins de 45% des foyers fiscaux sont imposables) ou de l’impôt local (payés par les seuls propriétaires) avec l’instauration d’une flat tax.
Personne n’a plaidé pour des économies drastiques dans la politique de la ville, le financement des associations, celui de l’audiovisuel public, etc.
Personne n’a proposé le chèque éducation (ou bon scolaire) pour permettre aux parents de choisir l’école qu’ils désirent pour leurs enfants, et favoriser ainsi l’enseignement privé moins onéreux et plus efficace que l’école publique.
Personne n’a insisté pour libérer l’hôpital public de la bureaucratisation, de faciliter la concurrence entre établissements, voire de les privatiser.
Personne n’a prôné la subsidiarité, ni une meilleure décentralisation.
Seule la sénatrice Christine Lavarde (LR) a été à la hauteur de l’enjeu en proposant de redéfinir le périmètre d’action de l’État. C’est en effet, nous semble-t-il, par là qu’il faudrait commencer.