Les privilèges salariaux des fonctionnaires en poste dans les territoires ultramarins sont une survivance du passé coûteuse pour le contribuable et inefficace dans l’atteinte de ses objectifs. Pire, ils déstabilisent la vie locale en y créant une économie de rente.
En 2008, Yves Jégo, alors ministre des outre-mer, avait supprimé (en l’étalant sur 20 ans) l’indemnité temporaire de retraite, aussi appelée « retraite-cocotiers », qui, accordée aux retraités de la fonction publique d’État affectés à l’un des six territoires ultramarins (y compris ceux n’y ayant jamais travaillé), leur assurait un complément de pension d’entre 35 et 75 %.
Si les retraites cocotiers sont donc appelées à disparaître, les privilèges cocotiers, c’est-à-dire les compléments de revenus accordés aux fonctionnaires en poste dans les DOM-COM, n’ont pas été réformés et continuent de grever les finances publiques, année après année, pour un résultat jugé largement insatisfaisant.
Un dispositif flou et coûteux…
Dans les années 2000, de nombreux rapports parlementaires s’étaient attachés à étudier le maquis normatif entourant les compléments de revenus des fonctionnaires en poste dans les outre-mer, sans que leurs vœux de réformes soient entendus. En 2015, la Cour des comptes avait publié un rapport fourni sur le sujet. Elle enjoignait au Gouvernement d’agir, ce qui, huit ans plus tard, n’a toujours pas été suivi d’effet, l’incitant à formuler d’itératives remontrances dans un référé adressé à la Première ministre, Elisabeth Borne.
Datant des années 50, cette sur-rémunération est gérée par empilement de textes normatifs (deux lois et de multiples décrets et arrêtés ministériels) et coûte chaque année 1,5 Mds€ au contribuable, pour la seule fonction publique d’État, un chiffre en hausse de 28 % entre 2012 et 2020, alors que, dans le même temps, les effectifs concernés n’augmentaient que de 9 %.
Notons que ce chiffre de 1,5 Mds€ ne comprend pas la dépense correspondant aux fonctionnaires hospitaliers et territoriaux, qu’aucune administration compétente n’a été capable de fournir avec précision, les effectifs de ces deux fonctions publiques, dont le chiffre oscille entre 76 200 et près de 100 000, demeurant également assez floues.
Les bonifications de salaire se divisent en deux catégories principales. La première est constituée d’une majoration du traitement indiciaire mensuel qui atteint 40 % aux Antilles et en Guyane, 53,65 % à la Réunion, 75 % à Saint-Pierre-et-Miquelon, entre 73 et 108 % en Nouvelle-Calédonie ainsi qu’en en Polynésie, et 105 % à Wallis-et-Futuna. La seconde est une indemnité d’éloignement, sorte de prime d’entre 10 et 18 mois de salaire, versée en plusieurs parties pendant la totalité du séjour, qui n’a été supprimée qu’aux Antilles et à la Réunion.
Notons également la sur-administration qui sévit dans les DOM-COM où il y a 90 fonctionnaires pour 1000 habitants, contre une moyenne nationale de 74.
… qui ne tient pas compte des tensions locales de recrutement et participe à la construction d’une économie rentière
L’objectif des compléments de salaire était, à l’origine, de compenser la cherté de la vie dans les territoires visés ; celui de l’indemnité d’éloignement était d’attirer les agents publics dans des régions peu attractives. Dans les deux cas, l’échec est patent.
Selon les dernières mesures de l’INSEE, l’écart de prix entre la métropole et les DOM (départements d’outre-mer) s’élevait à 15,8 % en Guadeloupe, 13,8 % en Martinique, 8,9 % à la Réunion, c’est-à-dire entre 2,5 et six fois moins que les majorations indiciaires évoquées. Du côté des primes d’éloignement, l’absence de ciblage des métiers, des compétences et des territoires conduit à un système notoirement inefficace.
La plus haute juridiction financière française notait que Mayotte ou le sud de la Guyane avaient de grandes difficultés à recruter, alors que La Réunion n’en connaissait aucune. D’autre part, des avantages financiers peuvent se justifier pour rendre plus attirants certains métiers en tension outre-mer, dans les catégories A et A+ ou dans la police, mais les catégories B et C trouvent tous les candidats voulus, notamment dans le vivier d’ultramarins installés en métropole et souhaitant revenir au pays.
Ce déversement d’argent public a favorisé la constitution d’une économie de rente, sous perfusion perpétuelle, ainsi que l’augmentation du coût de la vie, en particulier dans le domaine de l’alimentaire. Les distributeurs, en situation d’oligopole, ont ajusté les prix au niveau de revenus de leur cible et leurs produits sont devenus inaccessibles aux locaux, la surtaxation, via notamment l’octroi de mer, n’étant pas faite pour améliorer la situation. Toujours selon l’INSEE, l’écart entre les prix alimentaires de l’outre-mer et ceux de la métropole serait de 36,7 % à la Réunion et d’environ 40 % en Guyane et aux Antilles.
De tout cela, il ressort qu’il faut recommander l’indexation des compléments de traitement des fonctionnaires en poste dans les outre-mer sur la différence réelle des prix entre la métropole et le territoire idoine, ce qui, selon la Cour des comptes, permettraient d’économiser 850 M€. En outre, le système des indemnités d’éloignement doit être entièrement réformé et limité aux métiers et aux zones géographiques en tension. Avec une révision chaque année de celles-ci par simple arrêté ministériel, rien n’interdirait de les faire varier en fonction des besoins de l’administration et de ses facilités, ou difficultés, de recrutement.
2 commentaires
La fonction publique, ténia de la France, est d’une inventivité extraordinaire quand il s’agit de se nourrir du travail des créateurs de richesses.
On devrait aussi parler des fonctionnaires locaux pas vraiment encadrés et donc laissés la bride sur l’encolure…