Alors que l’ancien ministre Gérald Darmanin presse le Gouvernement de supprimer les 35 heures et que ce dernier semble vouloir se contenter de la suppression d’un jour férié, la lecture de la dernière étude de la Dares sur la durée de travail des indépendants pourrait éclairer le débat.
La direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail et de l’Emploi vient de publier le soixantième numéro de ses « Analyses » qui s’intéresse à la durée de travail des indépendants.
Les indépendants travaillent 422 heures de plus par an que les salariés
L’étude nous apprend que les indépendants ont travaillé en moyenne, en 2023, 1 971 heures, soit 422 heures de plus que les salariés (+27,2%). Cet écart s’explique par un nombre de jours travaillés plus important pour les indépendants – 243 jours contre 206 pour les salariés (+37) –, mais aussi par des journées de travail plus longues – 8,1 heures contre 7,5 (+36 minutes). Au total, les indépendants travaillent donc environ 52 jours de plus que les salariés au cours d’une année.
Bien sûr, ces moyennes cachent de grandes disparités en fonction de l’activité exercée, du statut et de la taille de l’entreprise. Ainsi les indépendants dits « classiques » – c’est-à-dire ceux qui ne relèvent pas du statut de micro-entrepreneur – ont-ils travaillé 2 151 heures en 2023, soit 602 heures de plus que les salariés. Ils ont totalisé 253 jours travaillés (+47) et réalisé des journées de 8,5 heures (+1h).
En revanche, les micro-entrepreneurs n’ont exercé leur activité que pendant 1 421 heures dans l’année, soit 128 heures de moins que les salariés (et 730 de moins que les indépendants classiques). Cela s’explique par le fait que statut de micro-entrepreneur est notamment utilisé par des personnes pour exercer une activité complémentaire à leur occupation principale (salarié, retraité, étudiant, etc.). Elles font donc baisser la moyenne. C’est ce qui explique en grande partie pourquoi les micro-entrepreneurs ne travaillent que 213 jours dans l’année et ne font que des journées de 6,7 heures. Si la Dares ne s’était intéressée qu’aux micro-entrepreneurs à temps plein, les chiffres auraient probablement été tout autres.
Ainsi, quand la Dares affirme que la durée effective de travail des indépendants a baissé significativement ces quinze dernières années alors que celle des salariés a peu évolué, c’est évidemment la création du statut de micro-entrepreneur (à l’époque auto-entrepreneur), en 2008, qui en est la cause principale. D’autant plus que la part des micro-entrepreneurs parmi les indépendants progresse chaque année. Ils représentent près d’un indépendant sur quatre en 2023.
Dans le tableau ci-dessus, nous pouvons aussi remarquer que les indépendants comptent moins de jours d’absence (principalement pour repos et maladie) que les salariés : 30,1 jours en moyenne par an (et même seulement 27,7 pour les indépendants classiques), contre 46,1 jours, soit un tiers de moins.
Les métiers de bouche sont ceux qui travaillent le plus
Nous ne sommes pas surpris de constater que ce sont les métiers de bouche qui travaillent le plus (2 865 heures) devant les agriculteurs (2 667 h), les professionnels de l’hébergement-restauration (2 476 h) et ceux du transport (2 129 h). Ces indépendants comptabilisent respectivement 300, 315, 275 et 264 jours de travail dans l’année.
Si l’on prend en considération la journée de travail, on constate quelle est la plus longue chez les métiers de bouche (9,6 heures), puis chez les médecins et dentistes (9,3 h) et dans la construction (8,7 h).
Les données de la Dares montrent aussi que les indépendants employant des salariés, quelle que soit la taille de l’unité qu’ils dirigent, déclarent des durées de travail plus élevées que ceux qui travaillent seuls (1 750 h). Ce sont les chefs d’entreprise de 11 à 49 personnes qui travaillent le plus, avec 2 453 heures annuelles effectuées en 258 jours. Ils ont en particulier les journées moyennes les plus longues (9,5 heures). Juste derrière, nous trouvons les dirigeants des entités de 2 à 10 personnes qui travaillent 2 364 h et 266 jours dans l’année.
Quant aux dirigeants d’entreprise de 50 personnes ou plus, ils accomplissent 2 294 heures, réparties sur 247 jours en moyenne dans l’année, soit une journée de travail qui dépasse également les 9 heures (9,3 h).
Enfin, nous noterons que 59% des indépendants seulement (53% des indépendants classiques) déclarent pouvoir prendre un repos de 48 heures consécutives dans la semaine contre 85% des salariés.
L’existence de deux mondes opposés
Les données de la Dares concernant les salariés confondent, a priori, ceux du privé et ceux du public, mais aussi ceux qui travaillent à temps plein et ceux qui sont à temps partiel. Nous avons donc une moyenne relativement basse de 1 549 heures travaillées par salarié en 2023 alors que le temps de travail annuel officiel est de 1 607 heures.
Comme nous l’avons montré, dans la fonction publique territoriale, le temps de travail effectif est de 1 579 heures, soit 1 296 heures de moins qu’un professionnel indépendant opérant dans les métiers de bouche (qui a donc un temps de travail 81,5% plus élevé que le fonctionnaire territorial).
Rappelons que, selon l’Urssaf, en 2022, les travailleurs indépendants classiques (hors auto-entrepreneurs) gagnaient, en moyenne, 45 531 € bruts, soit 3 794 € par mois. Les fonctionnaires recevaient eux, en moyenne, 3 001 € bruts en 2021.
Donc, si nous comptons bien, les indépendants gagnent 21,16 € bruts de l’heure, tandis que les fonctionnaires perçoivent 22,40 € en supposant qu’ils travaillent effectivement les 1 607 heures requises.
Si les indépendants travaillent autant, ce n’est pas pour faire fortune mais pour tenter de gagner correctement leur vie tout en entretenant les fonctionnaires.
Gérald Darmanin a raison de proposer l’abolition des 35 heures (que ne l’a-t-il proposé quand il était au gouvernement !), mais il devrait être plus offensif sur la réduction du nombre de fonctionnaires.