Entretien avec Olivier de Jamblinne de Meux, membre du Comité de Direction de la Banque KBL
1. Pour les Français, le Luxembourg est considéré comme un paradis fiscal et pourtant les taux d’imposition sont assez élevés même pour un pays comme le France. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’image de Paradis fiscal est à nos yeux galvaudée. L’imposition sur le revenu et l’imposition sur les sociétés ne sont pas sensiblement éloignées de celles pratiquées en France. Interrogez nos salariés frontaliers français pour définitivement vous en convaincre. Vous constaterez que nos barèmes progressifs en matière d’IRPP sont loin d’être éloignés. A ce titre, nous avons comparativement beaucoup moins de niches fiscales que la France!
Concernant notre impôt sur les sociétés, son niveau approche les 30%, et nos sociétés connaissent un impôt sur la fortune.
Pour nos holdings, nous appliquons les systèmes européens (pour rappel, le Luxembourg est membre de l’UE) et la directive mère-fille joue en notre faveur comme pour les sociétés françaises.
La taxation du revenu salarial ou commercial ne saurait donc être qualifiée de paradisiaque.
La différence entre nos deux systèmes vient de l’esprit pro-actif et pragmatique de notre environnement fiscal qui favorise les réinvestissements et l’innovation. Si nous exonérons une vente de participation au sein d’un holding, c’est pour favoriser au maximum le réinvestissement net qui recrée des recettes fiscales. Si ce n’est pas les cas, l’impôt sur la fortune vient par exemple corriger le déséquilibre et frapper l’immobilisme d’une trésorerie massive.
Si nous créons des régimes fiscaux spécifiques, c’est bien pour favoriser la croissance et l’innovation.
Pour le bénéficiaire économique non-résident français par exemple, Luxembourg lui permet de travailler à l’international, se développer et innover. Le résultat personnel qu’il en retire (dividendes par exemple) est soumis à son système fiscal de résidence. L’outil Luxembourg lui sert de levier de croissance dans un environnement fiscal neutre et respectueux de sa législation de résidence.
2. Qu’est-ce qui attire les étrangers pour faire des investissements au Luxembourg ?
Luxembourg est avant tout une plate-forme d’outils intelligents, flexibles et sécurisés parfaitement adaptés aux critères en vigueur dans les relations d’affaires internationales.
Traiter depuis Luxembourg, c’est avoir l’assurance de bénéficier d’outils sécurisés et personnalisables respectant tous les standards internationaux (regulatory, compliance fiscale,…).
Traiter depuis Luxembourg, c’est bénéficier d’un environnement régulateure (autorités) pro-actif et pragmatique. Les autorités sont accessibles et facilitent la croissance des activités.
Traiter depuis Luxembourg, c’est évoluer dans un environnement stable tant au niveau politique que juridique et fiscal. La sécurité juridique et la prévisibilité fiscale, notamment sont deux éléments fondamentaux dans la vie des affaires. Sans ceux-ci, aucune confiance ne se créée.
Traiter depuis Luxembourg, c’est évoluer dans un milieu multi-culturel et multi-lingue où se partagent les « best practices » et s’échangent les meilleures tendances en vigueur dans le monde des affaires.
3. Le Luxembourg a été le premier pays à avoir signé la ICMA Private Wealth Management Charter of Quality. En quoi consiste cette charte et qu’apporte-t-elle de plus par rapport aux contrôles de règlementation ?
La ICMA Private Wealth Management Charter of Quality est une charte qui a été rédigée à l’initiative du Private Banking Group, Luxembourg [l’association des banquiers privés à Luxembourg, dépendant de l’Association des Banques et Banquiers, Luxembourg (ABBL)] et qui a été signée non seulement par l’ABBL elle-même mais également par tous ses membres sans exception c’est-à-dire par toutes les banques à Luxembourg.
Cette charte est, comme son nom l’indique, une charte de qualité relevant et détaillant les principes qui doivent présider aux relations entre un banquier privé et son client. Ces principes sont au nombre de trois : intégrité, transparence et être professionnel.
Sans entrer dans les détails, on peut mentionner que le premier principe précise ce qu’il faut comprendre en matière d’intégrité dans la relation d’affaires (connaissance des clients, de prévention du blanchiment d’argent, de financement d’activités terroristes ou de fraude externe, d’abus de marchés) et dans celle du personnel (recrutement, politique de rémunération, prévention de fraude interne et le contrôle interne).
En ce qui concerne la transparence, elle est abordée tant vis-à-vis de la clientèle que de par l’environnement règlementaire.
Enfin, être professionnel se traduit dans l’intérêt légitime des clients et sa primauté (respect de la vie privée et discrétion professionnelle, gestion des conflits d’intérêts, « best execution » des instructions des clients, gestion des plaintes ) et dans l’efficience (qualité et exhaustivité de l’information à la clientèle, qualité du personnel bancaire).
Somme toute, bon nombre de ces points étaient déjà d’application au sein des banques luxembourgeoises dans leurs relations avec leurs clients mais l’écrire dans une charte et la signer engageait le signataire à les respecter et ce, pour le plus grand bénéfice de ses clients.
Un paragraphe cependant était totalement novateur, surtout si l’on conserve à l’esprit que la signature de cette charte remonte à fin 2012 c’est-à-dire qu’elle est antérieure aux premières déclarations du premier ministre de l’époque (Mr Jean-Claude Juncker) sur l’accord du Grand-Duché de participer à l’échange automatique d’informations ou, en d’autres termes, sur l’abandon du secret bancaire portant sur les avoirs détenus par des non-résidents dans des comptes ouverts dans les banques luxembourgeoise.
Ce paragraphe est le suivant :
« Any provider of financial services must avoid actively, systematically or knowingly contributing to tax evasion or any action contrary to the laws and regulations of the jurisdictions under which financial services are provided. Private Banks undertake to make available to their clients data enabling them to complete their tax declaration.”
Ceci signifie qu’en signant cette charte, la banque s’interdisait à l’avenir d’accepter de façon consciente d’ouvrir un compte à un client dont elle sait que le but principal ou exclusif est d’éluder l’impôt d’avec les autorités fiscales de son pays de résidence et qu’elle devait fournir à son client tout document nécessaire afin qu’il puisse remplir ses obligations fiscales d’avec son pays de résidence.
L’ICMA (International Capital Market Association), sous l’égide de laquelle cette charte a été rédigée, a proposé aux associations bancaires (et à leurs professionnels membres) de plusieurs pays européens de la signer (Allemagne, Belgique France, Royaume Uni, Suisse, pour ne citer que ceux-là) à la suite de l’ABBL et des banquiers luxembourgeois. A notre connaissance, aucune association contactée n’a donné suite de sorte que les banquiers luxembourgeois et leur association professionnelle sont à ce jour les seuls à s’être concrètement engagés !
Depuis, de multiples règlementations régissant la pratique du métier de banquier – et, notamment, de banquier privé – ont été développées et mises en places par les autorités de tous pays et de l’UE. Elles rendent cette charte quelque peu désuète mais elle a précédé bon nombre des règles qui ont été imposées aux banques depuis lors et elle reste malgré tout d’application, qui plus est volontaire puisqu’elle fut rédigée à l’initiative de et par des banquiers privés au bénéfice de leurs clients sans l’aide des régulateurs sauf celle de la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF i.e. l’autorité de contrôle des banques et professionnels du secteur financier à Luxembourg) qui lui a apporté tout son soutien lors de sa publication en 2012.
A notre connaissance cette charte n’est rien moins qu’unique dans le monde bancaire et beaucoup de pays toujours désireux de donner des leçons de moralité au Grand-Duché feraient bien de s’en inspirer ou, mieux, de demander à leurs banques de la signer.
Entretien réalisé par Nicolas Lecaussin
Nota bene: Le Luxembourg a été retiré de la « liste grise » [du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales] de l’OCDE et le pays est noté depuis vendredi dernier comme « largement conforme » en matière de transparence fiscale (au même titre que des pays comme les USA, le Royaume-Uni, l’Allemagne…).
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À propos de la charte et de la lutte contre l'évasion fiscale
Je voudrais faire remarquer que le lien qui existe entre un contribuable et l'administration fiscale de son pays est similaire au lien entre une proie et son prédateur.
Je ne crois pas qu'il soit particulièrement moral d'empêcher une proie d'échapper à son prédateur.