Le Rapport 2022 sur les inégalités dans le monde vient d’être rendu public par la Paris School of Economics que dirige Thomas Piketty. D’emblée, l’attention du lecteur est attirée – comme à chaque rapport d’ailleurs – sur l’accroissement des inégalités dans le monde. Mais une analyse plus fouillée du rapport démontre que certaines positions de Piketty, surtout celles concernant les pauvres, ont bien changé.
« Plus d’inégalités dans certains pays mais aussi moins d’inégalités entre les pays »
Selon les auteurs, les inégalités de revenus et de patrimoine seraient aujourd’hui très fortes. En 2021, un adulte gagne en moyenne 16 700 euros par an (23 380 dollars) et possède en moyenne 72 900 euros de patrimoine (102 600 dollars). Mais ces moyennes masqueraient des disparités considérables, à la fois à l’intérieur des pays et entre eux. Actuellement, les 10 % les plus riches de la planète gagneraient 52 % du revenu mondial, tandis que la moitié la plus pauvre n’en gagnerait que 8 %. Et un individu appartenant aux 10 % des plus hauts revenus gagnerait en moyenne 87 200 euros par an (122 100 dollars), tandis que celui qui appartient aux 50 % des revenus les plus bas en gagnerait 2 800 euros (3 920 dollars).
La moitié la plus pauvre de la population mondiale serait pratiquement dépourvue de patrimoine, puisqu’elle ne possèderait que 2 % du total. À l’inverse, les 10 % les plus riches en détiendraient 76 %. Le patrimoine moyen de la moitié la plus pauvre se monterait à 2 900 euros par adulte (soit 4 100 dollars), celui des 10 % les plus riches à 550 900 euros par adulte (771 300 dollars). Les causes de ces inégalités ? Selon le rapport, « depuis les années 1980, les inégalités de revenus et de patrimoine sont en augmentation presque partout, à la suite de programmes de dérégulation et de libéralisation qui ont pris des formes différentes d’un pays à l’autre.
Que le privé possède une part plus importante des richesses n’est-il pas une très bonne nouvelle ?
Cette augmentation n’a pas été uniforme : spectaculaire dans certains pays (notamment aux États-Unis, en Russie ou en Inde), elle a été plus modérée dans d’autres (en Europe, en Chine) ». Pourtant, on peut aussi lire que « si les inégalités se sont creusées dans la plupart des pays, les inégalités entre pays se sont quant à elles amoindries au cours des deux dernières décennies. ». Les auteurs reconnaissent donc que les pays se sont bien enrichis durant cette période : « Le monde reste aujourd’hui particulièrement inégalitaire, et ce malgré le rattrapage économique et la forte croissante des pays émergents. Cela signifie en outre que les inégalités intérieures pèsent aujourd’hui davantage que les inégalités entre pays (…) Ces quarante dernières années, les pays se sont nettement enrichis, mais les États nettement appauvris. La part de patrimoine détenue par des acteurs publics est proche de zéro ou négative dans les pays riches, ce qui signifie que la totalité de la richesse se trouve aux mains du privé ». Que le privé possède une part plus importante des richesses n’est-il pas une très bonne nouvelle ? Faut-il des économies comme en Chine et en Russie avec un Parti et des apparatchiks mafieux qui possèdent les entreprises et dirigent tout ?
L’une des plus importantes conclusions du rapport est que 2020, année de la pandémie, a été une excellente période pour devenir milliardaire, leur nombre ayant connu la plus forte augmentation jamais enregistrée. Les 0,01 %, un « club » comptant quelque 520 000 membres sur la planète, a vu sa part dans la richesse mondiale passer d’environ 10 % à 11 %, les autres grimpant à 3,5% contre environ 2% avant la pandémie. Les données et la méthodologie utilisées dans ce rapport posent quelques problèmes que l’IREF a déjà soulevés. Un autre réside dans le fait que les auteurs ne précisent pas assez le profil de ces riches : ce sont des entrepreneurs, parmi lesquels beaucoup de jeunes et de femmes, qui ont créé des centaines de milliers d’emplois. Ensuite, l’équipe de Piketty note que les confinements ont pesé sur les revenus, en particulier ceux des ménages les plus pauvres. Oui, nous l’avons souligné aussi à l’IREF et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons été contre ces mesures.
Piketty reconnaît, à mi-voix, que néanmoins les pauvres s’enrichissent.
Mais Piketty ne semble pas se soucier des politiques monétaires menées durant cette période, qui ont gonflé les prix et fait exploser l’inflation, la pire ennemie des pauvres.
Enfin, comme il l’a fait dans son dernier livre, Piketty reconnaît, à mi-voix, que néanmoins les pauvres s’enrichissent. Un graphique à la page 15 montre que depuis 1995, la richesse des 50 % les plus pauvres du monde a augmenté de 3 à 4 % par an. Un autre graphique à la page 61, intitulé « La courbe de l’éléphant des inégalités mondiales », montre que les 50 % des personnes les plus pauvres du monde ont vu leurs revenus augmenter de 50 % à 200 % entre 1980 et 2020 ! Piketty le sait très bien : la proportion de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté (1,90 dollar par jour) selon les critères de la Banque mondiale, est tombée à près de 8% en 2019, la proportion la plus faible jamais atteinte.
On remarque donc que la situation des pauvres s’est bien améliorée depuis qu’il y a plus de privatisations et moins d’Etat. Au lieu d’en tirer les bons enseignements, Piketty&Co conseillent toujours les mêmes remèdes périmés qui traînent sur les étagères de leurs officines : plus de redistribution des richesses et mise en place d’un impôt progressif sur la fortune des multimillionnaires. « Étant donné le niveau atteint par la concentration des patrimoines, un impôt progressif léger serait susceptible de faire rentrer des recettes significatives dans les caisses des États. Les derniers développements en matière de taxation internationale montrent qu’il est bel et bien possible d’aller vers des politiques économiques plus justes, à l’échelle de la planète comme au niveau national ». On ne change pas de leurre quand il marche.
6 commentaires
Le dernier rapport de Thomas Piketty : les mêmes tromperies sur les riches même s’il reconnaît que les pauvres se sont enrichis
Parti et des apparatchiks mafieux ! mais est-ce que la grosse majorité des Etats ne sont pas eux aussi devenus mafieux ? Il serait bien de creuser un peu de creuser un peu de ce côté là.
Le dernier rapport de Thomas Piketty : les mêmes tromperies sur les riches même s’il reconnaît que les pauvres se sont enrichis
Contrairement à la pauvreté, qui a pour limite le niveau zéro de la richesse, au-dessous duquel règne l’exclusion sociale, la richesse n’en connaît pas d’autre que l’appétit de ceux qui la convoitent et les ressources dont ils la tirent, avec toutes conséquences sur un environnement commun et l’inexorable creusement des inégalités sociales, depuis que l’humanité existe.
Quelle que soit l’idée que chacun puisse se faire de la justice sociale, nul ne peut être indifférent au fait qu’après vingt siècles de civilisation, le nombre de pauvres profonds dans le monde soit devenu plusieurs fois ce qu’était la population humaine totale de la planète, toutes conditions confondues, quel que soit le nombre de ceux qui échappent de nos jours à la misère ; outre les effets d’un progrès scientifique et technique qui a considérablement changé les conditions d’existence de tous, partout dans le monde.
Mais se satisfaire de ce constat pour prétendre en changer les effets ne suffit pas. C’est ignorer d’une part l’aspiration de chacun à améliorer sa condition et d’autre part le fait que richesse et pauvreté existant l’une par l’autre, chacun est le riche ou le pauvre de plus pauvre ou de plus riche que lui. Là est ce qui rend les inégalités sociales inéluctables, tout en renvoyant aux termes de l’équation à résoudre pour les réduire autant que possible ; les termes de cette équation étant les suivants :
— Richesse collective de l’humanité, entendue comme la somme des richesses naturelles et résultant de l’ensemble des activités et autres apports de tous les membres de la société. À noter le qualificatif « naturelles », qui souligne le fait que la richesse de la collectivité n’est pas le fruit de la seule industrie de ses membres, mais inclut ceux de la prédation irréversible qu’ils exercent sur leur environnement commun.
— Population humaine concernée, dans son intégralité, par le partage de cette richesse collective.
— Activités nécessaires à la satisfaction des besoins de l’ensemble de la population ; « Tout être humain [étant] avant toute autre activité ou toute autre opinion un consommateur » (Gaston Bouthoul in Traité de sociologie, tome II, p. 180 – Payot 1968.), la condition sociale de l’être humain est le fruit de la relation existant entre ses besoins – vitaux et superflus, puisqu’à la différence des autres animaux l’homme s’en invente – et les innombrables activités notamment économiques, contribuant à l’accroissement incessant de la richesse collective.
— Caractère incontournablement pyramidal de toute structure sociale fondée sur l’interdépendance hiérarchisée de ses membres comme l’est la société humaine.
Plus les être humains sont nombreux, – ce qui est le cas depuis qu’ils existent –, plus l’économie est prospère et plus s’accroît l’enrichissement collectif, les plus riches étant par définition les premiers servis. C’est ainsi que s’est développée jusqu’à la démesure l’indissociable binôme économie/population – celle-ci conditionnant celle-là et non l’inverse – ainsi que le volume de la pyramide sociale en représentant le peuplement, entraînant l’éloignement incessant de son sommet par rapport à sa base, le creusement des inégalités entre riches et pauvres augmentant d’autant, quelle que soit la vision aussi partiale que romantique qu’a proposé Marx de l’opposition entre riches et prolétaires ; vision à laquelle se réfèrent depuis, avec davantage d’obstination que de discernement, autant les partisans du capitalisme que ceux d’une archaïque lutte des classes.
Avec l’augmentation prévue de la population mondiale (cf. projections de l’ONU), les inégalités sociales ne pourront que se creuser encore, du simple fait de l’augmentation de la population mondiale, compliqué de sa globalisation.
La pauvreté étant infiniment plus facile à partager que la richesse, les flux migratoires qui se sont maintenant solidement établis, sont irréversibles et ne feront que gonfler, les nations ne pouvant indéfiniment rester indifférentes au sort de populations pléthoriques fuyant les désordres et violences de natures politique, religieuse, ethnique, économique, climatique, etc. qui s’amplifient et se multiplient partout dans le monde. Tous les pays sont concernés, les politiques et les digues les plus protectionnistes étant vouées à céder sous la force de la déferlante démographique à attendre spécialement d’Afrique, continent dont la population miséreuse est appelée à doubler avant la fin du présent siècle.
Et s’il est encore possible de limiter les inégalités sociales et d’en compenser les effets, autrement que par des moyens comme la redistribution par l’impôt notamment, sachant qu’il s’agit là de palliatifs toujours insuffisants et qui ne changent rien aux causes fondamentales de ce qu’ils combattent, nous devons être conscients du fait que l’origine de tous les maux dont souffre l’humanité est avant tout d’ordre démographique.
L’effectif de l’humanité n’a jamais été régulé au-delà de ce qu’ont pu provoquer les guerres et les épidémies petites et grandes, contrairement à ce qu’il en a été pour d’autres espèces peuplant la planète, placées sous le régime de la sélection naturelle, parfois avec l’aide de l’homme qui aurait été avisé de penser à lui-même. Mais rares sont les leaders politiques qui ont le courage d’aborder cette question, et inexistants les responsables religieux à qui le dogme interdit d’en traiter, les uns et les autres étant au demeurant plus soucieux du nombre de leurs fidèles et électeurs que de leur bien-être.
Sans compter la réponse qu’attendent dorénavant un environnement saccagé et pillé ; une biosphère vouée à un déséquilibre compromettant la survie de toutes les espèces, et des ressources en voie d’épuisement, une population moins nombreuse aurait pour effet la réduction de ses besoins et par conséquent celle de sa production et de son enrichissement. C’est seulement sur ces bases que pourrait être obtenu le rapprochement de la base et du sommet de la pyramide sociale, exprimant une réduction des écarts de richesse, donc des inégalités sociales, et que l’effet de celles-ci pourrait être corrigé, dans les conditions d’une meilleure gouvernance à tous les niveaux de la société.
Certains prônent la frugalité pour tous dans une société dont la démographie est abandonnée à une hypothétique transition par laquelle la population mondiale décroîtrait d’elle-même après être passée par un maximum au cours du siècle prochain. Mais il y a lieu de tenir compte de l’aspiration de l’homme à améliorer sa condition et celle de ses enfants, espérant en cela dans le progrès et visant les conditions de vie des mieux lotis que lui-même et non celles des plus pauvres. À quoi servirait l’effort de frugalité d’une population croîssant sans cesse ?
Les inégalités sociales sont avant tout liées à notre démographie et leur réduction passe par une dénatalité qui s’impose au monde, massivement et d’urgence, pour bien d’autres raisons mettant en cause la survie de l’espèce humaine. Ceci requiert en premier lieu une prise de conscience générale, ce qui est loin d’être le cas, et un effort d’éducation sans précédent bien qu’insuffisant, partout où règnent les taux de natalité les plus élevés. Faute de cela, nous serons 9 milliards dans 25 ans et plus de 11 au début du prochain siècle, avec les déséquilibres sociaux dont chacun peut imaginer les conséquences désastreuses, au détriment premier des plus défavorisés.
Le dernier rapport de Thomas Piketty : les mêmes tromperies sur les riches même s’il reconnaît que les pauvres se sont enrichis
Piketty , l’homme aux arguments musclés, constate bien que les pauvres du monde s’enrichissent, mais que ça n’est pas une raison pour cesser de punir les riches.
Sinon, on peut toujours trouver ses parutions sur le site Amazon.
Le dernier rapport de Thomas Piketty : les mêmes tromperies sur les riches même s’il reconnaît que les pauvres se sont enrichis
Je m’en fous. Ma richesse est ailleurs. Et celle-là est ni taxable, ni imposable. Elle peut simplement être contrainte. A moi de ne pas me laisser faire. Le reste est du petit roman. Merci à Nicolas d’avoir apporté ces précisions d’ordre purement matérielles; J’espère que les lecteurs ne seront pas dupes.
Le dernier rapport de Thomas Piketty : les mêmes tromperies sur les riches même s’il reconnaît que les pauvres se sont enrichis
Le tableau décrit par Paul Couty, avec l’image de la pyramide qui grossit, sur les raisons de la croissance « méconique » des inégalités et de la pauvreté relative est intéressant. Mais si cette vision est réaliste, alors l’espoir renait. En effet l’explosion démographique de l’humanité est semble-t-il résolument sur le déclin, en dépit du cas particulier de « retard » de l’Afrique. (Voir notamment: https://www.polytechnique-insights.com/tribunes/societe/la-population-mondiale-pourrait-decroitre-a-partir-de-2065//). Après le pic de 10 ou 11 milliards, le mouvement de baisse va être sensible.
Quand on analyse les différents types de transitions démographiques et leurs aboutissements, il apparait, me semble-t-il, que dans les pays développés où la durée de vie s’est allongée sur une période courte (1 à 2 siècles) et d’une façon spectaculaire, l’objectif prioritaire des sociétés – celui qui structure les comportements et les lois – est passée de la reproduction du « groupe » à la prolongation sans limite et « quoi qu’il en coûte » (et cela coûtera de plus en plus cher) de la vie des individus déjà nés. C’est une mutation anthropologique.
Le fait est qu’une fois tombé en dessous du taux assurant la reproduction du groupe, le taux de fécondité ne remonte plus durablement en dépit des politiques d’incitation (Europe, Chine, etc.).
Le dernier rapport de Thomas Piketty : les mêmes tromperies sur les riches même s’il reconnaît que les pauvres se sont enrichis
@ Jean-Claude Angoulvant
Merci de votre comentaire.
Je me permets d’ajouter que la condition sociale de l’humanité étant, avant tout autre considération, d’ordre structurel et démographique, seules des mesures du même ordre permettraient de parvenir à davantage d’équité sociale, par éradication de la pauvreté extrême.
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