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Du complotisme au populisme et au despotisme

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Le complotisme consiste à chercher la main secrète d’individus ou groupes plus ou moins malfaisants derrière des faits réels ou supposés. Des conspirations sont imaginées dont il faut démasquer les auteurs et leurs complices.

L’illusion des complots

Le complotisme s’ingénie à designer des boucs émissaires. C’est l’étranger, le juif, le lépreux, l’infidèle qui forgent le malheur des peuples et qu’il faut éloigner, exorciser, tuer pour retrouver la paix, la prospérité, le bonheur. Les pogroms moyenâgeux contre les juifs se développent dans l’accusation infondée qu’ils propageaient la peste puisqu’ils en étaient si peu atteints, la vérité étant sans doute qu’ils en souffraient moins parce qu’ils avaient une meilleure hygiène (ils se lavaient les mains avant le repas).

Le complotisme utilise quelques éléments exacts pour construire un discours et imaginer des conjurations secrètes. Aux XVIIIème et XIXème siècles, les jésuites qui voulaient convertir le monde ont été accusés de vouloir le contrôler et ont été expulsés de France. L’abbé Barruel, l’un de ces jésuites expulsés, a présenté la Révolution dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme  comme le résultat d’un complot des loges maçonniques qui en effet ont contribué, avec toutes sortes de sociétés de pensée (cf. Augustin Cochin, avant 1789, à l’esprit de la Révolution sans pourtant que tout ait été, comme Barruel le soutenait, « prévu, médité, combiné y résolu, statué… ».

Le monde se moque du Moyen Age qui croyait aux loups-garous, aux sorcières, aux vampires, aux ogres, aux monstres et aux fées pour expliquer l’inexplicable. Mais le complotisme contemporain vit d’illusions semblables. Selon un sondage Ipsos de mai 2014, 20 % des Français croyaient alors à l’existence des Illuminati, déjà accusés par Barruel, qui réuniraient les principaux dirigeants de la planète pour dominer le monde. Au temps de Raymond Barre, certains soupçonnaient la Trilatérale d’avoir les mêmes objectifs. Aux Etats-Unis, le mouvement Qanon a propagé l’idée que Trump ferait l’objet d’une cabale par les milieux financiers et les médias coupables des pires crimes contre lui…

Restaurer l’esprit critique

Ce complotisme répond à des peurs et attise des haines. Il rassemble contre des ennemis supposés en surfant sur la paranoïa ou la bêtise qui sont parfois largement partagées, souvent encouragées par des cyniques qui en tirent parti comme les usines à trolls russes payées pour égarer les électeurs occidentaux. Ce développement du complotisme est la marque d’un appauvrissement culturel qui conduit lui-même à un manque de sens critique. Il est le reflet d’un simplisme aussi dangereux que réducteur.

Les fake news se développent désormais à la vitesse d’internet qui leur sert de support. Mais elles ne gagnent les esprits qu’à la mesure de leur infinie crédulité. La philosophie du soupçon a conquis la culture populaire qui n’a plus confiance, non sans raison d’ailleurs parfois, ni dans les institutions publiques, ni dans les intellectuels, ni dans les médias, sauf quand ils lui prédisent l’apocalypse comme celle du climat. Le complotisme est dangereux parce qu’il dessine la société en blanc et noir, il la simplifie au point de la caricaturer. A défaut de comprendre, il invente. Il rallie ainsi l’esprit populaire avide d’une vision du monde conçue comme une clé universelle de compréhension. Ce qu’aucune vision du monde ne peut être, parce que le monde est complexe et qu’il est imprévisible à la mesure de la liberté humaine. Le complotisme se complait dans une appréhension unidimensionnelle de la réalité. Toutes nos difficultés viennent des immigrés,  des riches, des politiciens corrompus… Mais si, certes, une immigration excessive, une richesse mal acquise ou un parlementarisme perverti sont graves et dangereux, aucun de ces facteurs n’est la cause unique des maux de la société.

En rétrécissant l’analyse et le salut du pays à un combat excessif et partiel à la fois, et par l’adhésion sommaire qu’il suscite, le complotisme développe des populismes susceptibles de se transformer aisément en despotismes. Le despote en effet fortifie son pouvoir en trompant le peuple uni contre des conspirateurs et autres ennemis successifs qu’il lui désigne. Il invente les méfaits de cet adversaire, devenu le dragon à terrasser, pour focaliser l’attention et faire oublier les misères du quotidien.

Les despotes manipulent le complotisme à l’encontre de leurs adversaires. Ainsi, dans Mein Kampf, Hitler a affirmé la véracité, totalement infondée, des Protocoles des Sages de Sion exposant le plan judéo-bolchévique de domination du monde.  Il faut peu de chose pour faire croire à ceux qui veulent le croire que les Etats-Unis ont détruit les Twin Towers afin de pouvoir guerroyer contre les djihadistes, ou qu’Israël a organisé le carnage du 7 octobre 2023 pour justifier son invasion de Gaza. Les dictatures militaires africaines du Burkina Faso, du Mali, du Niger… mobilisent leurs peuples contre les méfaits imaginaires de la France postcoloniale. Staline n’a cessé d’accuser à tort les bourgeois, les koulaks, les ingénieurs… de complot contre l’Etat pour masquer l’indigence de ce dernier. Poutine utilise quelques éléments de l’histoire ukrainienne pour y trouver la résurgence du nazisme…

Le libéralisme ne complote pas car il se méfie des solutions simplistes et des vérités assénées. Il ne promet pas de paradis parce qu’il sait que toute vie est un combat. Il ne recueille donc pas l’adhésion dans l’émotion et la violence du complotisme mais dans l’observation et l’analyse raisonnable des comportements humains et des rapports sociaux. Il est tout à la fois plus prudent, et donc plus juste, autant que plus fertile et plus efficace par sa confiance dans la richesse humaine et sa diversité qui arme le sens critique. Il résiste à toute démagogie populiste dont les dérives despotiques balisent l’histoire.

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