Dans son allocution après le débat national, le président Macron n’est pas franchement sorti du logiciel politique habituel en France, celui de l’étatisme. La révolution Macron attendra… Il a pu noter cependant que la France « travaille beaucoup moins que ses voisins » et que c’est un problème. Certains ont pu être surpris, d’autant que, en dépit des 35 heures pour une bonne partie de la population, le Français se trouve dans la moyenne haute européenne par le nombre d’heures travaillées, hebdomadaires ou annuelles. Pourtant, si l’on rapporte le nombre d’heures travaillées au nombre total d’habitants, comme l’a fait l’OCDE à la fin de l’année dernière, la France arrive dernière du classement des pays de l’OCDE, avec 630 heures par habitant. Différence saisissante, ce chiffre est de 1083 heures au Luxembourg ou 952 heures en Suisse. On ne travaille pas assez chez les Gaulois, et le président voudrait y remédier… Le peut-il ?
S’il ne revient pas directement sur les 35 heures, les dispositions des heures supplémentaires défiscalisées et les accords de branche permettent de contourner quelque peu l’obstacle. De même le président ne touchera pas à l’âge légal de départ à la retraite, mais un système de surcote fournira des incitations à travailler plus longtemps. On comprend que les deux sujets soient hautement sensibles politiquement avant des échéances électorales et alors qu’il faut, aussi, tenter de répondre aux geignements des gilets jaunes. Les Français dans leur ensemble doivent travailler plus, le taux d’activité « réelle » (reflété par le chiffre précité) est trop faible. Pourtant, le président demeure trop timide pour véritablement relever le défi.
Réduire la population active ?
Pourquoi ne pas aller plus loin ? L’idée procède en effet –enfin !– d’une vision, dynamique, de « l’opportunité », contre la vision malthusienne, traditionnelle, statique et obsessionnelle en France, de « la rareté ». Les 35 heures, qui fêtent leurs 20 ans, découlent directement de cette dernière : plutôt que de se poser enfin des questions sur les conditions de la croissance et de l’emploi (par exemple, sur les obstacles réglementaires au développement d’opportunités entrepreneuriales), la gauche à la fin des années 1990 déclarait que la croissance ne pourrait plus être « riche en emploi ». La taille du gâteau ne pouvant grossir, l’emploi étant « rare », il fallait en couper des parts plus fines pour que chacun en ait un peu : c’est le « partage » du temps de travail.
Au-delà des 35 heures, la gestion statistique du chômage en France a en grande partie procédé de la même vision : l’emploi ne pouvant augmenter, effectuons des coupes dans la population active pour réduire les chiffres du chômage. Maintenons ainsi l’âge de départ à la retraite à un niveau déconnecté de l’espérance de vie actuelle. Laissons les jeunes traîner le plus longtemps possible sur les bancs des lycées et facs pour éviter qu’ils n’entrent sur le marché du travail, en faisant baisser au passage leur niveau (sans doute pas la meilleure idée pour augmenter la productivité future de ces jeunes). Des tas de gens qui auraient pu être ou rester intégrés au marché du travail et apporter leur pierre à l’édifice sont ainsi – disons-le – gaspillés.
Et comme la sagesse populaire – au moins jusqu’à il y a quelque temps – l’avait bien compris, ce n’est pas en travaillant moins collectivement ou individuellement que l’on s’enrichit, bien au contraire. De fait, ce type de politiques a un impact négatif sur la croissance, et donc, au final, sur l’emploi : vingt ans après les 35 heures, la France frôle toujours les 10 % de chômage (chômage qui n’explique qu’en partie le faible chiffre d’heures travaillées par habitant). Mais l’intuition de la sagesse populaire est-elle aussi simple à appréhender ? Comment expliquer l’effet positif d’un taux d’activité « réelle » important sur la croissance et l’emploi ? Les niveaux de vie du Luxembourg et de la Suisse seraient-ils un hasard ? Pour bien comprendre, il nous faut faire un petit rappel sur la pensée économique.
Progrès économique et productivité
L’idée, fondamentale, part des réflexions de l’économiste écossais Adam Smith, souvent présenté comme le grand-père de la science économique : le développement économique trouve sa source dans les hausses de productivité venant de la spécialisation et de la division du travail entre les hommes. Par la spécialisation en effet, nous ne nous dispersons pas à passer d’une tâche à une autre et nous devenons plus habiles dans notre domaine (« économies de spécialisation »). Chacun en se spécialisant apporte ainsi davantage de « produit » aux autres et ce, d’autant plus que la concentration sur un champ étroit suscite généralement l’innovation.
Le boucher se spécialise dans la boucherie et le boulanger dans la boulangerie pour une bonne raison : la spécialisation a des avantages. Et même les supermarchés « généralistes » proposant boucherie et boulangerie embauchent en réalité des spécialistes. L’échange est évidemment ici une condition fondamentale : c’est à travers lui que chacun fait profiter les autres des avantages de sa spécialisation et que lui-même bénéficie de celle des autres.
Questions de taille
Or, le degré de division du travail et de spécialisation est limité par « l’étendue du marché » d’une économie donnée. On le comprend aisément : plus le marché est grand, plus il sera possible de répartir les coûts fixes liés à la division du travail. La spécialisation a en effet un coût : elle suppose un investissement, toujours important au fur et à mesure du développement, en capital humain (connaissances, apprentissages, compétences, au travers notamment de l’éducation) comme en capital physique (machines).
Mon jardinier est bien plus productif avec une tronçonneuse professionnelle qu’avec le tranchant d’un silex par exemple. Mais la tronçonneuse a un coût. Il faut donc que mon jardinier ait un marché suffisamment étendu pour investir dans le coût d’une tronçonneuse professionnelle, qui au passage incorpore elle-même toute une somme de spécialisations (dans la fabrication du moteur et donc de l’acier, des plastiques, et donc du pétrole, et donc des foreuses à puits et ainsi de suite). L’étendue du marché, c’est le nombre de clients, mais aussi, évidemment, leur capacité à payer. C’est ici que nous revenons à la remarque du président.
Travailler plus… pas que pour soi
Car cette toute dernière dimension, la capacité à payer, est également fondamentale comme l’a démontré un autre économiste, français lui, au début du dix-neuvième siècle : Jean-Baptiste Say. Or, ma capacité à payer vient en premier lieu des rémunérations que je reçois en contrepartie de services que je produis pour les autres (« ma demande dépend de mon offre »). Donc plus je travaille, plus je produis et, en même temps, par le revenu que j’accumule, plus je fais croître la taille du marché. Cela permet en conséquence un degré plus élevé de spécialisation et l’avancée graduelle « à la Smith » du progrès économique cumulatif. Il y a ici clairement des externalités positives attachées à l’incitation de travailler plus.
Le principe est de nouveau mis en avant au vingtième siècle, notamment par le prix Nobel d’économie 1986, James Buchanan, qui développe une analyse économique de l’éthique du travail. Dans le sillage de Smith et de Say, il voit des « rendements croissants à la taille du marché » : l’éthique personnelle du travail a un impact bénéfique pour le collectif. Outre ce qu’implique la défense du libre échange, il y a là une justification de la notion de « travailler plus », pas seulement au plan individuel (ce qui ne signifie pas défendre les semaines de 70 heures, ce qui serait contreproductif pour beaucoup), mais en termes de taux d’activité réelle dans la société. Le président Macron est donc sur la bonne voie, mais il devrait d’une part mieux expliquer son intuition aux Français et d’autre part, se donner véritablement les moyens de la poursuivre. Ce n’est pas avec les recettes étatistes habituelles qu’il y parviendra.
2 commentaires
Calcul du nb heures par habitant
Les petits pays riches accueillent bcp de travailleurs frontaliers qui, j'imagine , ne sont pas comptés dans le PIB, mais dont les heures travaillées sont probablement comptées dans le pays où ils travaillent : Au Luxembourg, moitié des travailleurs sont frontaliers (220 000 frontaliers – dont 100 000 français – pour 275 000 travailleurs résidents) / En suisse 350 000 travailleurs frontaliers , pour 4,2 millions de travailleurs résidents. Cela augmente le nb d'heures dans le pays d'accueil et diminue dans le pays de résidence…. Sans changer les ordres de grandeurs mais … obstinée rigueur?
travailler plus a des limites
Travailler plus est limité par notre capacité à se concentrer. Au bout d'un certain temps on doit s'arrêter pour se reposer.
Si on produit et qu'on a saturer le marché on doit aussi s'arrêter.
Et quand on est dans ces conditions qu'est-ce qu'on peut faire?
Or nos politiques pensent qu'ils ont saturé le marché.