La droite extrême ressemble parfois à la gauche et engrange des voix sur tous les terrains en trompant souvent son monde. Mais alors que le Front national s’affiche résolument étatiste et collectiviste, Robert Ménard, maire de Béziers, fait briller une petite lueur différente et pourtant paradoxale. Jean-Philippe Delsol analyse les programmes présentés par l’un et l’autre au travers d’une part d’un commentaire de l’ouvrage de Maël de Calan « La vérité sur le programme du Front national » et d’autre part d’une présentation critique des cinquante mesures proposées par le rassemblement curieusement intitulé « Oz la droite » qui veut réhabiliter l’identité française en la baptisant dans une orthographe digne de certaines banlieues.
Maël de Calan : La vérité sur le programme du Front National, Plon, mai 2016
Le Front National dénonce, parfois à juste titre, l’UMPS, la confusion des thèmes politiquement corrects sur lesquels se retrouvent parfois les partis traditionnels. Mais le FNG, ou Front National de Gauche, qui marque la convergence idéologique entre le Front de gauche et le Front National ressort sans conteste de l’analyse de Maël de Calan. Son ouvrage passe au crible sans concession le programme de Marine Le Pen sur le plan économique et social comme au regard des sujet d’ordre sociétal. Il souligne les très nombreuses contradictions qui émaillent le discours du FN tant il s’emploie à satisfaire tout le monde et son contraire. Il veut plaire aux agriculteurs en augmentant leurs prix de vente et aux consommateurs en réduisant leurs prix d’achat, aux salariés en rehaussant d’office de 200€ les salaires et aux PME en abaissant leurs charges salariales ; il veut favoriser la concurrence et la combattre, dépenser sans compter l’argent public pour les retraités, les handicapés, les agriculteurs, la justice, les services publics, les femmes, les fonctionnaires…et néanmoins consolider sa souveraineté monétaire en quittant l’Europe et l’euro. Mais les dévaluations qui s’en suivront et la création continue de monnaie qu’exigeront ces budgets publics gonflés come la grenouille de la fable conduiront nécessairement à une situation de faillite come celle que la Grèce a vécue. Rien ne l’arrête pourtant. Il veut encadrer l’économie, administrer les prix, fermer les frontières…Il propose des mesures irréalistes et probablement néfastes comme l’immigration quasi zéro (vingt fois moins de migrants qu’aujourd’hui) par un coup de baguette magique.
Le Front National fait la leçon à tout le monde mais il est lui –même coupable de comportements bien contestables dans le financement du parti. Il pratique des alliances avec certains pays qui jettent le doute sur son indépendance. Il ment avec aplomb en faisant croire à la viabilité de son projet qui n’est qu’une accumulation de mesures populistes. Il se propulse dans l’arène sur le dos de boucs émissaires successifs : l’Europe, les étrangers, les multinationales…
Le petit livre de Maël de Calan pourra paraître excessif à certains. Il faut pourtant dire qu’il est bien documenté et craindre qu’il soit parfaitement réaliste. Malheureusement, parce que le Front National lève parfois de vraies questions et met le doigt sur de vrais problèmes. Mais il ne suffit pas d’être contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre ! Le discernement est une rare vertu et pourtant la plus nécessaire en politique. Puisse ce petit livre, facile à lire et très didactique, convaincre des dangers qui guettent ceux qui se laisseraient trop facilement tenter par des sirènes de mauvais aloi.
Un « Oz » trop osé
Le rassemblement organisé à Béziers par Robert Ménard, élu ave le soutien du Front national, a fini ces travaux le week-end des 28 et 29 mai en définissant en cinquante propositions une orientation nouvelle, non pas un programme mais la « frontière… que la gauche interdit de franchir ». La vision qui y est énoncée ne pouvait pas plaire au Front National, qui l’a fait savoir, tant elle défend la liberté économique et s’insurge contre les abus de position dominante de la puissance publique. Ce catalogue vise à réduire les dépenses publiques et la pression fiscale, abaisser le nombre des fonctionnaires, simplifier les normes, introduire le chèque scolaire, supprimer les 35 heures, abolir le principe de précaution, rendre une liberté de sélection aux université, faire maigrir l’Etat-providence…. « Mieux vaut le risque dans la liberté que la certitude dans l’assistanat » souligne le texte à bon escient.
Mais ce libéralisme est bien tempéré par un souverainisme qui reste exacerbé et teinté de populisme. Ce sont les petites entreprises qui sont protégées, mais pas les grandes, et l’ouverture des grandes surfaces doit faire l’objet d’un moratoire ; l’agriculture comme l’emploi et le logement bénéficieront d’une préférence française ; la France se retirera des traités européens…
De nombreuses mesures sont évoquées en faveur de la sécurité avec le renforcement de la défense nationale, de la police et de la justice. Certes, il n’est pas faux qu’à bien des égards, « l’insécurité est une guerre et l’ordre une libération ». Mais à vouloir trop en faire, la contradiction s’impose et la liberté est en risque.
A vouloir passer des frontières ce catalogue outrepasse la ligne rouge. Il défend la civilisation occidentale en voulant supprimer ce qui la fonde. Car il veut instituer le « Principe de supériorité du politique sur le juridique : limitation du contrôle de constitutionnalité ». Il se propose ainsi rien moins que remettre en cause l’état de droit fondateur de notre société de liberté et de progrès économique et humain. Il veut contrevenir à l’alchimie de nos cultures issues de Jérusalem, d’Athènes et de Rome dont la fusion lente et spontanée a favorisé le miracle de l’état de droit, cet ordre qui l’emporte sur la force, qui reconnaît le droit pour régler les conflits. L’état de droit, c’est plus encore le droit qui passe avant la loi, avant la politique, parce qu’il reconnait un droit naturel comme limite à la puissance de l’Autorité, quelle qu’elle soit.
L’état de droit, c’est précisément le droit que la Grande Charte anglaise de 1215 a obligé le Roi à respecter. C’est ce lien avec la tradition romaine selon laquelle le prince doit respecter le droit. Tout imbus de sa puissance qu’il est, l’Empereur Justinien (VIème siècle) reconnaît néanmoins que « C’est une parole digne de la majesté du souverain, que le prince se déclare lui-même soumis à la loi ». Et son lointain successeur Frédéric II de Hohenstaufen publie en 1231 son Liber augustalis dans lequel il se considère comme la « Fontaine de justice », mais sous l’obligation de protéger et d’observer le droit. C’est quand les rois d’abord, puis les pouvoirs populaires après eux oublieront cette obligation, quand il se saisiront de la loi pour en faire leur bon vouloir, que l’arbitraire sera de retour, que la puissance publique débordera sur les frontières de la vie privée, que la volonté de l’Etat sera sans limite.
Robert Ménard demande avec raison l’ « Abolition des lois attentatoires à la libre d’expression » en visant notamment les lois mémorielles qui reconstruisent l’histoire et interdisent d’en débattre. Mais ces lois existent parce que la loi a cru pouvoir piétiner le droit en niant la liberté de pensée et de parole de chacun, en réécrivant l’histoire comme Staline façonnait les photos du Politburo au gré des purges. Il veut remettre en cause la loi Taubira sur le mariage pour avoir nié la réalité du mariage, hétérosexuel par nature, mais dans le même temps, il veut faire ce qu’il reproche à cette loi en instituant la loi au dessus de la réelle nature qu’exprime le droit dans ses principes.
Il ne convient pas de supprimer ou limiter le contrôle de constitutionnalité, mais plutôt de l’ordonner à des principes de droit qu’il faudrait sans doute refonder en puisant dans le substrat de notre histoire et de nos libertés. Méfions nous de toute politique par trop sûre de détenir la vérité. Vouloir construire des cités parfaites génère la terreur. Il ne peut pas y avoir de bonne politique sans conserver aux Hommes leur liberté de faire. La politique fait la loi, mais la loi ne peut pas tout sinon préserver cette liberté des hommes dont la richesse est infiniment plus grande que celle de la loi.
2 commentaires
Qui, à part elle ?
Mais qu'espérez-vous ? Que le changement vienne de politiciens carriéristes et décrédibilisés par leur longue suite d'échecs et de reniements, comme Hollande, Juppé ou Sarkozy ?
Qu'on soit d'accord ou non avec ses idées, son programme, qu'on la juge dangereuse, démago ou autre, qui, à part Marine Le Pen, peut donner de l'espoir de changement aux Français trahis par les politiciens depuis tant d'années ?
Allez, faites-nous rire: Mélenchon ? Lui qui a appelé à voter Hollande en 2012, et qui recommencera en 2017, bon gré, mal gré, si Hollande passe le 1er tour ?
J'ai un nom à proposer: Nicolas Dupont-Aignan. Son programme économique est beaucoup moins collectiviste que celui de Mme Le Pen. Et je pense qu'il fera moins peur à nos compatriotes avec son patriotisme serein et de bon sens.