Qu’est-ce qui a péché dans l’approche médicale de la pandémie de Covid-19 ?
C’est l’hyperspécialisation de la médecine qui est en cause. La santé est un monde archaïque où règne encore le taylorisme ! La covid-19 est un syndrome inflammatoire qui touche tout le système, pas seulement les poumons. II suffisait de taper « SRAS » sur Wikipédia pour le savoir ! Mais chaque spécialiste a continué à faire son travail comme avant. Il est urgent de renouer avec l’approche holistique de la médecine qui envisage la santé du patient dans sa totalité, et non comme une somme de ses composantes physique, physiologique et psychologique. La capacité de démultiplication des nouvelles technologies peut nous y aider si les médecins, chercheurs et ingénieurs les comprennent et les maîtrisent ensemble.
90 % des développements cliniques aboutissent à un échec. Comment expliquez-vous cette faillite de la recherche médicale ?
Le taux d’échec des essais cliniques dans le monde est de 95% pour la psychiatrie et le cancer, et de 100% pour Alzheimer, selon le syndicat industriel américain BIO (Biotechnology Innovation Organization) ! De même, le projet européen Human Brain Project a coûté 1 milliards d’euros pour tenter de simuler le fonctionnement du cerveau sur un super ordinateur, quasiment en pure perte ! Pourquoi ? Ces recherches procèdent d’une approche dogmatique, cartésienne d’un monde perçu comme « compliqué » et prédictif, qui serait réduit à la somme de ses composantes. Or, le vivant repose sur des mécanismes à la complexité exponentielle. Exemple, il est impossible de modéliser la chute de spaghettis en sauce sur une chemise, mieux vaut prendre une serviette !
85 % des publications dans des revues scientifiques sont rendues inutiles du fait de la fraude ou de l’exagération, comment l’expliquez-vous ?
Une étude menée par l’Institut Metrics de Stanford créé en 2014 montre que l’effort de recherche publié dans le monde est gaspillé à 85% ! L’ « erreur » de la revue The Lancet à propos de l’utilisation de l’hydroxychloroquine et de la chloroquine l’été dernier en est l’archétype. C’est une conséquence du « publish or perish », la nécessité de publier à tout prix. La faute aussi au mandarinat ! Les équipes de recherche partent toutes des mêmes hypothèses pour plaire à leur boss.
Le système de la recherche scientifique que vous décrivez évoque terriblement la série Chernobyl et le crépuscule de l’empire soviétique…
Il faut savoir que le consensus d’experts est le plus grand tueur d’innovation de rupture ! Or les appels à projet de l’Agence nationale de la recherche (ANR), de BPI France, des Pôles de compétitivité, ou de la Commission européenne, reposent tous sur ces comités. Nous avons connu cet écueil pour un programme de recherche européen FP7. Mais nous avons appris de cet échec, et réussi avec des partenaires puissants le programme H2020 GEMMA sur l’autisme (2). Il faut au contraire réunir des points de vue et des intérêts divergents. Le désaccord est une des conditions de la disruption ! Autre problème, les grands groupes pharmaceutiques forment maintenant une industrie financière, lancée dans la course aux brevets. Ce mastodonte est devenu très gras et très administratif. L’industrie ne dispose donc plus des compétences internes pour évaluer les projets proposés par des start-up. Ce système est à bout de souffle.
Face à ce dogmatisme roi, vous défendez le doute scientifique…
Moins on est compétent dans un domaine, plus on se réfère au « prêt-à -penser ». Alors qu’un vrai expert n’hésitera pas à challenger la « bien-pensance dominante » avec des arguments factuels et contextualisés. La méthode de Bio Modeling Systems repose sur la biologie intégrative heuristique non mathématique. Cela consiste à détruire les hypothèses erronées sur lesquelles repose l’immense majorité des publications scientifiques aujourd’hui. À l’instar d’une enquête de police, nous cherchons d’abord à démolir les hypothèses. Nous disposons d’une base de données d’articles scientifiques fallacieux unique au monde ! Puis nous cartographions les interactions entre les composantes biologiques. Et enfin, nous vérifions les hypothèses qui semblent les plus pertinentes en les confrontant à la réalité biologique, ce en interaction avec les patients. Ce sont eux qui connaissent le mieux leurs symptômes !
Vous venez de d’inventer un outil de diagnostic et une solution thérapeutique pour le syndrome de fatigue [ou d’épuisement] chronique (SFC (3)). Ce syndrome flou, affectant des millions de personnes dans le monde, est désormais une maladie diagnosticable et traitable. Comment avez-vous fait ?
C’est notre approche pragmatique qui a permis la découverte de la solution thérapeutique pionnière CADI-T1031, en partenariat avec l’Association du syndrome de fatigue chronique (ASFC). Pour la première fois, une patiente elle-même scientifique a participé au processus, avec succès. Nous décryptons les mécanismes biologiques et la dynamique de la maladie. Ensuite, nous combinons des tests et des molécules existants pour offrir un traitement personnalisé brevetable.
Vous faites appel à l’intelligence artificielle également…
Ne le dites à personne, ce qu’on appelle pompeusement « intelligence artificielle », ce sont des algorithmes souvent basiques. Ils servent à démultiplier le travail de nos biologistes intégrateurs pour éliminer les publications scientifiques non-fiables. Nous faisons appel à l’intelligence humaine augmentée. Preuve que les synergies entre médecine et technologie au service du patient n’ont rien d’utopique. Centrale-Santé, un groupement ouvert de l’Association des Centraliens, expérimente aussi cette synergie entre soignants et ingénieurs depuis 1996. Il ne s’agit pas de remplacer l’humain par la machine. Au contraire, la transformation numérique doit permettre de renouveler les pratiques et de renouer avec l’approche holistique de la médecine traditionnelle afin de travailler à nouveau sur le patient dans son ensemble.
Vous avez bénéficié du statut de jeune entreprise innovante …
En effet, ce statut favorise, lui, les innovations de rupture. Le crédit impôt recherche (CIR) nous a aidé également car il n’y a pas d’évaluation à priori. Mais les gouvernements ne cessent de le rogner. Par exemple, le coefficient salarial – qui permet de calculer les coûts « environnés » que l’État prend en charge dans le CIR – a baissé de 1,75 à 1,43 « mais ils affirment qu’ils n’ont rien changé ». Et on ne sait jamais ce qui va se passer d’une année à l’autre…
Manuel GEA fait sa carrière dans les biotechnologies , le numérique et la santé. Après ses études d’ingénieur, il a rejoint Colgate-Palmolive dans le marketing, puis met en place la practice Pharma au cabinet de conseil McKinsey. Passionné par la santé, il intègre Boehringer Ingelheim en tant que Directeur Général d’une division pharma, puis diverses entreprises de santé telles que Hemispherx Biopharma, Pherecydes Pharma. Il est aujourd’hui Co-fondateur et CEO de Bio-Modeling Systems.
(1) C . Glenn Begley ex Amgen, publié dans Nature, 2012
(2) GEMMA program (Genome, Environment, Microbiome and Metabolome in Autism, Génome, environnement, microbiome et métabolome dans l’autisme)
(3) Le terme « fatigue » été mal traduit en français. Le SFC devrait plutôt être désigné sous le terme de syndrome d’épuisement chronique.
CEO :Chief ExecutiveOfficer, PDG
Boss : patron
Taylorisme : organisation du travail fondée sur le morcellement des tâches
publish or perish : publier ou périr
CADI™ (Computer AssistedDeductiveIntegration) Discovery : plateforme de modélisation heuristique non-mathématique pionnière où des biologistes intégrateurs construisent des modèles descriptifs 100% explicables des maladies.
coûts environnés : frais de structure (coûts en main d’œuvre, matériel, etc. …)