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Réduire les dépenses publiques tout en redressant les services publics, c’est possible (et c’est peut-être même le seul moyen)

Jean-Philippe Delsol dans Atlantico

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Atlantico : 80% des Français estiment qu’il est urgent de réduire la dette publique, selon un sondage Elabe pour Les Échos et l’Institut Montaigne. Faut-il pour autant présenter la baisse des dépenses publiques comme un arbitrage douloureux entre les différentes missions de l’Etat ? Chacune des grandes missions régaliennes de l’Etat ne recèle-t-elle pas déjà d’énormes économies possibles en rationalisant la dépense publique et en mettant fin aux gaspillages?

Jean-Philippe Delsol : Il y a bien entendu des économies possibles dans l’exécution des fonctions régaliennes de l’Etat. Dans la politique de la Ville, 10Md€ par an sont investis depuis 40 ans sans résultat (selon la Cour des comptes). Une large majorité des emplois aidés représente des aubaines pour ceux qui auraient procédé à ces embauches mêmes sans subvention (cf. rapport DARES juillet 2023). Les subventions de l’Etat aux associations continuent d’enfler ; elles dépassent les 7Md€ par an et ont augmenté de 2Md€ entre 2016 et 2018 !

Pour le moins il serait temps de remettre à plat toutes ces aides et bien d’autres encore.

Mais le problème est peut-être d’abord que les missions régaliennes de l’Etat sont délaissées du fait que les finances publiques sont accaparées par les dépenses sociales. En France près des deux tiers des dépenses publiques sont des dépenses sociales et seulement 6 % sont consacrées à la justice, à l’armée et à la police. La sécurité publique est donc délaissée pendant que l’Etat providence enfle comme la grenouille de la fable. Selon l’OCDE, les dépenses sociales représentent, en 2022, 31,6 % du PIB français contre 21,1% en moyenne pour l’ensemble des pays de l’OCDE, 30,1% en Italie, 29% en Belgique, (du PIB), 26,2% au Danemark…

Nicolas Marques : C’est une erreur de présenter la baisse des dépenses publiques comme incompatible avec une offre qualitative de services publics. Il existe des leviers d’économies inutilisés au sein de la sphère publique, qui permettraient de réduire significativement le coût des services rendus aux contribuables à qualité égale.

Les retraites des fonctionnaires sont sans doute le gisement d’économie le plus significatif. Si l’Etat provisionnait ses retraites, c’est-à-dire mettait de l’argent de côté pour autofinancer les retraites de ses personnels, il économiserait plusieurs dizaines de milliards par an et réduirait massivement son déficit.

L’Etat en France a – pour des raisons historiques – fait le choix de promettre aux fonctionnaires des pensions différentes de celles du privé. Son idée était de rendre la fonction publique attractive en proposant notamment des retraites définies en fonction du dernier traitement indiciaire. Ce choix était tout à fait respectable, mais l’Etat a fait l’erreur de ne jamais provisionner les promesses faites à ses personnels. Au contraire, des institutions prévoyantes comme la Banque de France ou le Sénat ont pris l’habitude dès le 19ème siècle de placer des capitaux afin d’autofinancer tout ou partie des retraites qu’elles s’engageaient à verser. Les retraites des anciens employés de ces institutions responsables sont financées par les marchés financiers, par les dividendes et plus-values financières, au lieu d’être à la charge du budget et du contribuable. L’Etat ne s’est pas comporté en employeur responsable et le budget supporte une charge de retraite de 60 milliards d’euros par an au titre des retraites des fonctionnaires. Dans une étude récente, nous avons montré que si l’Etat avait capitalisé pour les retraites comme le Sénat, il aurait économisé 433 milliards d’euros sur 15 ans et réduit son déficit de 30 %. Si l’Etat avait été aussi prévoyant que la Banque de France, encore plus rigoureuse, il aurait économisé de l’ordre de 750 milliards d’euros sur 15 ans et réduit son déficit de 50 %.

On le voit bien, il y a là un potentiel d’économie énorme qu’il est indispensable d’activer. Si l’on veut remettre en ordre les finances publiques, qui sont dans le rouge depuis la fin du baby-boom, il faut se mettre à provisionner les retraites des fonctionnaires. Jusqu’à présent, l’Etat a fait l’impasse sur ce levier. Sa stratégie était de se débarrasser du fardeau que représente les retraites des fonctionnaires en mettant en place un régime universel de retraites. Cette stratégie a échoué, l’Etat doit en tirer les conséquences et se mettre à provisionner les retraites des fonctionnaires. Bien sûr, cette démarche prendra du temps, mais les Etats qui s’y sont mis se félicitent de ce levier qui génère des économies massives et concourt à la remise en ordre des finances publiques.

Dans le cadre des dépenses publiques, en quoi le saupoudrage d’argent public à un trop grand nombre d’acteurs ne permet pas de réformer le système et d’aboutir à une réduction des dépenses ? Ne faudrait-il pas mieux savoir choisir des priorités, notamment en matière de soutien à telle ou telle cause ou dans certains secteurs ?

Jean-Philippe Delsol : Il faudrait cibler les secteurs les plus dépensiers par rapport à nos voisins chez lesquels on ne vit pas plus mal.

La France consacre 3,4 points de PIB de plus que la moyenne des pays européens aux dépenses de retraites et de vieillesse. Notre système de répartition est de plus en plus couteux en faisant peser des charges de retraite croissantes sur des actifs de moins en moins nombreux.  La seule solution est d’introduire de la capitalisation dans le système comme une grande majorité de pays développés l’ont fait avec succès. Il conviendrait de permettre aux Français d’affecter une part progressivement de plus en plus importante de leurs cotisations de retraite à de la capitalisation. Ils comprendraient vite que c’est pour eux plus sécurisé et d’un meilleur rendement dans le temps.

Par ailleurs, la liberté laissée à chacun de recevoir sons salaire complet, charges comprises, et de s’assurer, auprès de la compagnie ou mutuelle de son choix, pour son chômage ou sa maladie, dans un cadre a minima fixé par la loi, permettrait de faire évoluer les comportements naturellement. Chacun trouverait vite son intérêt à moins recourir aux assurances pour payer moins de cotisation. C’est ainsi que cela fonctionne à la satisfaction générale pour les assurances habitation ou automobiles dont les risques ne sont pas moindres.

Nicolas Marques : Pour réaliser des économies durables au-delà du potentiel majeur que représente les retraites des fonctionnaires, il sera utile de redéfinir les priorités et de s’interroger sur la façon de produire les services publics. L’expérience montre que déléguer des activités au secteur privé permet de dégager des économies significatives. C’est ce qui s’est opéré avec la privatisation des autoroutes, n’en déplaise à ceux qui pensent que l’Etat aurait dû exiger un prix plus important et passent sous silence les économies récurrentes de fonctionnement générées par le recours au secteur privé.

Pour faire des économies, il faudra aussi que l’Etat accepte de faire sa révolution culturelle en interne. Il faut qu’il apprenne à faire confiance à ses managers en les transformant en chevilles ouvrières de la recherche d’économies. Les entreprises l’ont bien compris. Lorsqu’elles veulent faire des économies, la meilleure façon d’arriver au résultat est souvent de « donner les clefs du camion » aux équipes concernées en créant la structure d’incitation permettant d’atteindre les économies recherchées. L’Etat, au contraire, a tendance à brider ses managers de terrain, à ne pas leur donner les moyens de découvrir les gisements de gains de productivité. C’est un problème que l’on observe dans plusieurs domaines. La question de l’autonomie des universités patine depuis des décennies. Si les universités avaient davantage le contrôle sur leurs moyens, leurs recrutements et la façon de motiver leurs personnels, elles afficheraient des résultats tout aussi bons que leurs homologues étrangères. L’analyse vaut aussi pour les hôpitaux publics, dont les directeurs sont prisonniers d’une multitude d’injonctions paradoxales. Ils sont censés faire des économies mais n’ont en main que des leviers comptables, les postes et investissement étant la seule variable d’ajustement. Bilan les personnels se découragent, le rapport qualité/prix des prestations se dégrade et les plans d’urgence se multiplient.

Le gouvernement français est actuellement dans une logique purement comptable pour réaliser des économies. En quoi les mesures de coupes budgétaires annoncées ne permettront pourtant jamais de redresser efficacement les finances publiques ?

Jean-Philippe Delsol : En effet, le gouvernement fait « les fonds de tiroirs ». Il n’y a aucune mesure de fonds. On ne traite donc pas la cause du mal mais ses effets momentanés. Il faut des réformes structurelles qui responsabilisent les individus. Il faut rendre leur autonomie aux hôpitaux, aux collectivités locales, aux familles… Depuis des dizaines d’années, quelles qu’en soient les majorités, la France s’installe dans le doux collectivisme irresponsable que Tocqueville avait pronostiqué et qui tend à augmenter la puissance de l’Etat pour décharger les Français de toutes leurs responsabilités dans le choix et la gestion de leurs assurances sociales, de leur retraite, de l’école de leurs enfants, de leur formation, de leur travail, de leurs loisirs, de leurs préférences culturelles…. Au-delà d’un niveau raisonnable et nécessaire, les aides sociales détruisent le travail et la volonté. Nous périssons aujourd’hui sous la dictature d’une morale sociale substituée à la morale personnelle et d’une responsabilité sociale qui anéantit toute responsabilité individuelle.

Nicolas Marques : L’Etat, obnubilé par le court terme, est incapable de faire des économies durables, de se projeter dans le temps et d’être ambitieux. Quand ses représentants parlent d’économies, c’est trop souvent pour réduire les dépenses de quelques milliards d’euros et faire des économies de façade. Geler temporairement certaines dépenses permet d’afficher des comptes annuels légèrement moins déséquilibrés mais ne génère pas d’économies à proprement dit, les dépenses étant seulement étalées dans le temps.

De même, reporter des dépenses sur d’autres entités, comme l’Etat propose de le faire en réduisant la prise en charge des affections de longue durée par le régime général, ne génère aucune économie. Cela soulagera les comptes de l’Assurance maladie, mais creusera les dépenses des complémentaires santé. La vraie démarche à même de générer des économies en santé consisterait à investir massivement dans la prévention et à autoriser les complémentaires à proposer des prestations de type régime de base. Nous en sommes bien loin. Certains au sein de l’administration rêvent encore de supprimer les régimes complémentaires, sans comprendre que l’étatisation de la protection sociale est un échec.

D’autres prétendent que la remise en ordre des finances publiques passe par une remise en cause de la politique de baisse de charges, présentée à tort comme des « aides aux entreprises ». Ils oublient que la réduction des charges est clef pour la compétitivité, l’emploi et le pouvoir d’achat et font un contresens. Augmenter les charges et la fiscalité sur la création de richesse affaiblirait encore plus la croissance, ce qui se retournerait immanquablement contre les finances publiques. Une réalité que même le gouvernement oublie parfois. Il a commis l’erreur d’étaler dans le temps la réduction des impôts de production, ce qui nuit à l’objectif de réduction du chômage. Fin janvier, le taux de chômage était de 7,5 % en France, contre 6 % dans l’union européenne. Par rapport à nos voisins, nous avions 500 000 chômeurs en trop, ce qui représentait un gâchis social et un manque-à-gagner de richesses pour la collectivité. Prétendre qu’il faudrait étaler dans le temps la baisse des impôts entravant la création de richesse pour soulager les comptes publics est un contre sens. C’est justement parce que nous ne créons pas assez de richesses que les comptes publics sont dans le rouge.

En quoi le poids de l’Etat et de la bureaucratie sont une source majeure de gaspillages ?

Jean-Philippe Delsol : Il y a sans doute deux causes majeurs à l’inefficacité de l’Etat, la centralisation et le statut de la fonction publique :

– L’Etat veut tout faire, mais il fait tout mal. Le quasi-monopole accordé à des institutions publiques pour gérer les retraites, les assurances sociales, le chômage… ont créé des monstres couteux et mal gérés.  Peu à peu l’Etat déshabille les collectivités locales en les privant de ressources propres. Il faut revenir à la subsidiarité : en bas tout le possible, en haut tout le nécessaire.

–  Le statut de la fonction publique garantit des emplois à vie, ou presque, qui coûtent très chers et qui n’incitent guère à l’assiduité et à la productivité. Est-il normal que les employés de mairie, les personnels hospitaliers ou ceux des écoles, et bien d’autres, soient bénéficiaires d’un statut d’agent public alors qu’ils assurent des emplois qui ont leur équivalent dans le privé et qui ne requièrent pas la même protection particulière que ceux des militaires, des policiers ou des juges.  Il y a sensiblement moins d’emplois plein temps de personnel non médical par lit dans le secteur privé que dans le secteur public ! Le coût d’un élève est 30 à 40% moins cher dans le privé que dans le public ! Il y a, à Bercy, 60 000 fonctionnaires de plus que dans le ministère équivalent au Royaume-Uni et 90 000 de plus qu’en Allemagne !

Il faut sortir d’une culture dominante du public, généraliser une culture de responsabilité pour tous.

Nicolas Marques : Plus l’Etat règlemente, plus il fige les méthodes de production, plus il bride l’innovation, ce qui dégrade immanquablement le rapport qualité/prix pour les contribuables.

Le logement fournit une illustration emblématique de ce type de spirale perverse. L’augmentation tendancielle du coût du logement est un phénomène global en Europe, mais elle pèse plus largement sur les ménages français. Se loger coûte 2,6 % de plus du revenu en France par rapport à la moyenne de l’Union européenne, soit un surcoût de 1 100 euros par an et par ménage. C’est en grande partie en raison d’un spirale inflationniste nourrie par la hausse des prix du foncier, conséquence de sa rareté organisée par l’administration. Au lieu de remettre en cause les réglementations qui réduisent artificiellement le foncier, l’Etat se contente de développer des palliatifs. Depuis des années, il encourage les aides aux ménages et le logement social. Mais une vraie politique sociale du logement s’attèlerait à déréguler ce marché clef. Elle permettrait de faire baisser les coûts d’accession à la propriété et les loyers. Elle améliorerait les conditions de vie de centaines de milliers de Français, condamnées à s’éloigner de leurs lieux de travail et parfois assignés à résidence dans des cités dortoirs. Moins réglementer, c’est moins brider la création de richesse, c’est aussi réduire le coût de production des biens et services, améliorer le pouvoir d’achat des ménages et réduire les besoins d’interventions publiques correctrices. C’est d’une véritable révolution culturelle dont nous avons besoin

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