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Les nouvelles guerres de religion et la paix libérale

Cet article a été publié dans le Journal des libertés n°25 (été 2024)

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Alors que la réconciliation avec l’Allemagne, la construction européenne, puis la chute du communisme, avaient permis d’espérer une paix durable, la guerre a retrouvé toute sa force depuis que sous diverses formes le djihadisme, le communisme chinois et la Russie ont affiché leur hostilité implacable au monde occidental. Contrairement au rêve de Francis Fukuyama, la démocratie libérale n’a pas sonné la fin de l’histoire. Le libéralisme occidental adoptait volontiers l’idée que l’État n’avait pas à dicter leur salut aux individus, pas même à s’en mêler sauf à s’opposer à ceux dont la pratique religieuse nuisait à la concorde civile. Cette attitude de respect mutuel, qui exigea un long apprentissage, fut facteur de paix, ne serait-ce qu’en enlevant des motifs, religieux, de faire la guerre.

Mais la prétention de l’Occident à imposer son modèle a suscité la rébellion de tous les gouvernements qui refusaient la liberté comme une atteinte à leur hégémonie despotique comme de ceux, souvent les mêmes, qui macèrent leur ressentiment de ne pas réussir à le rattraper ou d’avoir été colonisé par lui. Ces régimes révoltés contestent la démocratie occidentale que, par un renversement de valeurs, ils présentent comme un système fondé sur l’exploitation du monde et dépravé. Ils prétendent donc faire régner un autre ordre, holiste, fondé dans l’amalgame de concepts politiques, religieux et/ou idéologiques. Selon les cas l’État y est soumis à la religion (l’Islam et à un moindre degré Israël) ou l’État sert d’Église (la Chine) ou se sert de l’Église (la Russie). Cette confusion du religieux et du politique mène souvent au totalitarisme. Elle est un écueil majeur à la tolérance des peuples et favorise des guerres qui relèvent des guerres de religion dont on sait qu’elles sont les plus violentes et les plus difficiles à juguler parce qu’elles sont irrationnelles en ce sens qu’elles sont faites, du moins motivée principalement, au nom d’une foi, d’une croyance, d’une idéologie qui, non parfois sans raison, repose in fine sur une adhésion subjective et souvent passionnelle, une conviction émotionnelle et indépendante de toute démonstration, jusqu’à des formes, surtout pour celles qui nourrissent la guerre en leur nom, de pseudo-mysticisme et de mystification qui font leur danger extrême.

D’une certaine manière, ce regain des guerres, actuelles ou potentielles, et leur violence tiennent sans doute précisément au recul de l’idéal libéral-démocratique dont il faudrait retrouver le sens pour être à même de faire mieux prévaloir la paix des nations.

Les dominations religieuses

Israël ou la création d’une nation écartelée

Alors que, depuis la Révolution française notamment, les juifs s’intégraient en Europe, une série de pogroms meurtriers éclata en Russie d’avril 1881 à mai 1882, suivis des « Lois de Mai » particulièrement répressives à l’égard des Juifs. En France, l’affaire Dreyfus fut aussi un traumatisme pour la communauté juive [1]. Déjà dans la seconde moitié de ce XIXème siècle, des mouvements étaient apparus, tel les « Amants de Sion », avec pour objectif le retour du peuple juif sur sa terre ancestrale et la restauration de la patrie juive. Un médecin russe, Léon Pinsker, avait rédigé en 1881 un pamphlet Autoémancipation ! pour résoudre la « question juive » par l’établissement d’une patrie juive indépendante. Le journaliste Theodor Herzl, austro-hongrois né à Budapest dans une famille juive religieuse et travaillant pour un journal de Vienne, était à Paris lorsque l’affaire Dreyfus éclata en 1898. Il considéra que la résurgence de l’antisémitisme devait provenir de la dissémination de la nation juive dans les autres nations au sein desquelles elle n’était pas miscible. Il en tira la conclusion qu’il fallait rassembler la nation juive en un territoire pour former un État juif et rédigea Der Judenstaat (« L’État des Juifs ») dans les six dernières semaines de son séjour à Paris. Il se consacra ensuite à cette cause à travers le monde et fut à l’initiative du premier Congrès sioniste à Bâle en 1897, qui se réunira ensuite tous les ans et sera à l’origine de l’ensemble des institutions constitutives de l’État d’Israël.

Le projet sioniste rencontra très vite l’opposition d’une part de l’orthodoxie juive qui considérait largement le sionisme politique comme un blasphème, « car il contrevenait au principe selon lequel Dieu lui-même ferait survenir la rédemption du peuple juif », et d’autre part des assimilationnistes qui croyaient pouvoir assurer le sort des Juifs en les incitant à renoncer à une large partie de leurs particularismes.

Mais Herzl était obstiné. Il avait imaginé de réunir les juifs sur un territoire qui leur serait propre et dont ils acquerraient la propriété. Il ne faisait pas de lien nécessaire entre territoire et religion puisqu’il envisageait que le nouveau territoire puisse être en Argentine aussi bien qu’en Palestine ou en Ouganda (sur proposition de l’Empire britannique en 1903). Il était respectueux du droit, privé et public, et de la propriété. Il souhaitait œuvrer à une reconnaissance internationale de son projet. Dès le début du XXème siècle, le Congrès favorisa l’implantation en Palestine d’une communauté juive d’environ 500 000 âmes, une sorte de base pré-étatique qui favorisa, après la Shoah, la création d’Israël en 1948 comme la solution pour éviter de nouvelles catastrophes comme celle de la Shoah qui en a été le déclencheur.

Le sionisme religieux était relativement faible jusqu’à la guerre des six jours en juin 1967 qui a amplifié l’esprit messianique d’une partie des juifs d’Israël voyant la main de Dieu dans cette victoire. Ces derniers œuvrèrent à la multiplication de colonies juives qui aujourd’hui abritent 475 000 Israéliens dans des localités qui mitent la Cisjordanie où vivent 2,8 millions de Palestiniens. Aux dernières élections législatives de 2022, la liste du sionisme religieux a obtenu 10,84% des voix. Ses élus sont indispensables à la majorité de Netanyahu et ils disposent de deux ministres radicaux Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, tous deux favorables à l’instauration d’une théocratie fondée sur la Halakha (Loi juive) et à la récupération de toutes les terres en Judée Samarie ainsi qu’ils désignent de leur ancien nom biblique la Cisjordanie. Comme l’indique Alain Dieckhoff :

« les leaders de l’ultra-orthodoxie s’attachent à renforcer la place du judaïsme dans la société en restreignant par exemple la distribution de permis de travail et l’ouverture des commerces le shabbat. Ils ont œuvré en mars 2023 pour que la Knesset vote une loi sur le levain (hametz) qui permet aux directeurs d’hôpitaux d’interdire dans leurs établissements, pendant la période de la Pâque, l’entrée de produits alimentaires à base de levain (que les juifs ne sont pas censés consommer durant cette semaine pascale) »[2] .

Ils veulent ainsi, avec d’autres courants orthodoxes comme le Shas des sépharades, marquer toujours plus l’espace social de l’empreinte du judaïsme.

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